La croissance de la productivité a fortement ralenti à travers le monde. En 2014, la croissance de la productivité de la productivité globale des facteurs (PGF) a oscillé autour de zéro pour la troisième année consécutive, alors qu’elle atteignait 1 % en 1996-2006 et 0,5 % en 2007-2012.
Comme Barry Eichengreen, Donghyun Park et Kwanho Shin (2015) l’indiquent, il serait tentant d’invoquer la crise financière pour expliquer ce ralentissement ; elle a en effet perturbé l’offre de crédit (qui se révèle importante pour l’innovation) et les échanges internationaux (qui sont importants pour la diffusion des innovations). Mais le ralentissement de la PGF est un phénomène généralisé : il touche aussi bien les pays qui ont été les plus touchés par la crise que les pays qui en ont été relativement épargnés. D’autre part, dans les pays avancés, ce ralentissement s’est amorcé avant la crise mondiale. Certains ont pu suggérer que le ralentissement de la croissance de la productivité dans les pays avancés puisse s’expliquer par un épuisement de l’innovation (comme le pense notamment Robert Gordon) ou bien par la stagnation séculaire, c’est-à-dire par une insuffisance chronique de la demande globale [comme le suggère notamment Larry Summers, 2014]. Barry Eichengreen, Donghyun Park et Kwanho Shin (2011), tout comme d’autres auteurs, ont suggéré que les pays émergents étaient susceptibles de basculer dans véritable trappe à revenu intermédiaire (middle-income trap) : à partir d’un certain niveau de développement, les pays ne parviennent plus à poursuivre leur croissance en se contentant de réallouer la main-d’œuvre du secteur agricole vers le secteur industriel, si bien qu’ils risquent de ne finalement pas parvenir à rejoindre le club des pays avancés. Pourtant, cette thèse ne parvient pas à expliquer que la croissance de la productivité ait également ralenti dans les pays à faible revenu.
Pablo Ferriera, Antonio Galvao, Fabio Reis Gomez et Samuel Pesoa (2010) avaient cherché à estimer les changements structuraux touchant la PGF dans un échantillon de 77 pays entre 1950 et 2000. Puis ils avaient identifié et cherché à expliquer les ruptures dans la croissance de la PGF. Ils ont constaté que le tiers des données présentent au moins une rupture de rythme. Les ruptures conduisant à une décélération de la croissance sont plus communs, ce qui suggère qu’après une rupture la PGF a des difficultés à accélérer. Les ruptures étaient principalement concentrées au début des années soixante-dix dans les pays avancés, mais elles ont été bien plus diverses en termes de calendrier dans les pays en développement. Ferriera et ses coauteurs ont interprété ces résultats comme suggérant que les effondrements de la croissance de la PGF dans les pays avancés sont principalement associés à des facteurs externes (mondiaux), notamment les chocs des prix de l’énergie, alors que les ralentissements de la croissance de la PGF dans les pays en développement s’expliquent principalement par des chocs sont spécifiques à chacun d'entre eux.
Dans une étude plus récente, Eichengreen, Park et Shin (2015) ont identifié des épisodes passés de décélérations brutales et soutenues de la croissance de la PGF en utilisant les données pour un large échantillon de pays et d’années. Les ralentissements de PGF n’ont pas seulement eu lieu durant les années soixante-dix (période sur laquelle se sont focalisées les précédentes études), puisque les auteurs observent de tels épisodes à la fin des années quatre-vingt, au début des années quatre-vingt-dix et au milieu des années deux mille, à la veille de la crise financière mondial. Ces ralentissements sont répandu : ils constatent 77 ralentissements dans leur échantillon, aussi bien dans les pays à faible revenu que dans les pays à revenu intermédiaire et dans les pays à haut revenu. Les ralentissements ont surtout lieu lorsque le PIB par tête est proche de 4.000 dollars, de 11.000 dollars et de 33.000 dollars (aux prix de 2005), mais les auteurs soulignent qu’aucun niveau de vie, ni aucune période de temps, n'immunisent les pays contre le risque d’effondrement de la croissance de la productivité.
Cette analyse permet à Eichengreen et à ses coauteurs de comprendre quelles politiques doivent être privilégiées ou au contraire écartées pour réduire le risque de ralentissement de la croissance de la PGF. Ils constatent par exemple une relation négative entre l’incidence des effondrements de la PGF et la réussite scolaire, lorsque l’on mesure cette dernière avec la durée moyenne de scolarité. En outre, les pays présentant les systèmes politiques les plus robustes sont les moins susceptibles de connaître des effondrements de la PGF. Les pays consacrant une part élevée de leur PIB à l’investissement sont davantage exposés aux effondrements de PGF, ce qui est cohérent avec l’idée d’un arbitrage entre la croissance extensive et la croissance intensive qui donnent respectivement une priorité à l’expansion des capacités de production et à la croissance de la productivité.
Eichengreen et ses coauteurs jugent la distinction entre chocs mondiaux et chocs spécifiques aux pays comme particulièrement importante. De faibles niveaux de réussite scolaire, des taux d’investissement inhabituellement élevés et de faibles systèmes politiques sont des facteurs contribuant aux ralentissements spécifiques aux pays. Les facteurs mondiaux jouent également un rôle important : la difficulté d'obtenir du crédit (telle qu'elle est mesurée par le LIBOR), l'aversion au risque (telle qu'elle est mesurée par le TED spread) et les prix du pétrole sont positivement et fortemment corrélés avec la probabilité d'un effondrement de la PGF. En outre, même si les effondrements de la PGF affectent aussi bien les pays riches que les pays pauvres, la nature de ces effondrements diffère souvent selon le niveau de vie du pays. Par exemple, dans les pays à revenu intermédiaire, le ralentissement est associé à l’épuisement du processus de réallocation de la main-d’œuvre du secteur agricole vers le secteur industriel. Dans les pays à haut revenu, les effondrements de la productivité sont souvent associés à la transition vers les services, où les gains de productivité sont plus difficiles à obtenir.
Références
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