Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 février 2016 3 10 /02 /février /2016 19:00

Lors de la crise mondiale de 2008-2009, l’investissement non résidentiel des entreprises a chuté de plus de 10 % dans de nombreux pays de l’OCDE. La reprise qui s’ensuivit fut inégale. Sept ans après la reprise mondiale, l’investissement demeure particulièrement faible dans le monde. Entre 2010 et 2014, la croissance de l’investissement dans les pays de l’OCDE a atteint en moyenne le rythme de 2,2 % par an, alors qu’elle atteignait 3,5 % par an durant la décennie qui précéda la crise mondiale [Leboeuf et Fay, 2016]. Cette faiblesse n’a pas été anticipée : l’investissement a été systématiquement bien plus faible que ne l’attendaient les prévisions, aussi bien celles réalisées par les organismes privés que par les institutions publiques. Elle est d’autant plus inquiétante qu’elle pèse à court terme sur la demande globale et freine à plus long terme au potentiel de croissance de l’économie.

GRAPHIQUE  Ecart de l’investissement non résidentiel des entreprises des pays développés par rapport à son niveau d'avant-crise (en %)

Comment expliquer la faiblesse de l’investissement mondial ?

source : Leboeuf et Fay (2016)

Ces dernières années, plusieurs études ont cherché à expliquer cette faiblesse de l’investissement, mais elles ne sont pas parvenu à un consensus ; certaines la considèrent comme véritablement énigmatique, alors que d’autres affirment que les fondamentaux suffisent pour l’expliquer. Par exemple, Bergljot Barkbu, Pelin Berkmen, Pavel Lukyantsau, Sergejs Saksonovs et Hanni Schoelermann (2015), ainsi que Christine Lewis, Nigel Pain, Jan Strasky et Fusako Menkyna (2014), ne rejettent pas forcément l’idée que la faible croissance de la production que l'on observe depuis la crise contribue à expliquer la faiblesse de l’investissement dans les plus grands pays avancés, mais ils estiment qu’elle ne suffit pas pour l’expliquer entièrement : en fait, ce serait avant tout l’incertitude qui freinerait la reprise de l’investissement. A l’inverse, dans ses Perspectives de l’économie mondiale d’avril, le FMI (2015) estime que la faiblesse de l’activité économique suffit à expliquer la faiblesse de l’investissement ; les contraintes financières et l’incertitude relative à la politique économique ont pu toutefois quelque peu contribuer à la faiblesse de l’investissement dans certains pays, notamment les pays périphériques de la zone euro qui subirent les plus fortes turbulences sur les marchés lors de la crise de la dette souveraine. Plus récemment, en utilisant les données relatives à un échantillon de 22 pays avancés sur la période s’étalant entre 1996 et 2014, Matthieu Bussière, Laurent Ferrara et Juliana Milovich (2015) constatent que les anticipations de demande et l'incertitude jouent un rôle déterminant dans les décisions d’investissement des entreprises et ils estiment que le coût du capital semble jouer un rôle plus modeste : le pessimisme quant à la demande future expliquerait plus de 80 % de la faiblesse de l’investissement et l’incertitude environ 17 %.

Contribuant à leur tour à éclairer ce débat, Maxime Leboeuf et Bob Fay (2016) ont récemment cherché à déterminer les facteurs expliquant la faiblesse de l’investissement mondial en analysant le rôle des perspectives de croissance et de l’incertitude dans l’investissement non résidentiel des entreprises privées dans les plus grandes économies avancées entre le deuxième trimestre de l’année 2003 et le quatrième trimestre 2014. Ils estiment que la prise en compte des mesures des anticipations de croissance de la production et de l’incertitude à propos de la demande mondiale dans des modèles traditionnels d’investissement améliore tout particulièrement leur capacité à expliquer les variations de l’investissement.

En l'occurrence, avant la crise financière mondiale, l’ample disponibilité du crédit, les faibles niveaux d’incertitude et les anticipations d’une forte demande soutenaient l’expansion de l’investissement. La chute de l’investissement en 2008 et 2009 s’explique tout particulièrement par la forte hausse de l’incertitude et par la chute des anticipations de croissance de la demande étrangère, ainsi que par le resserrement de l’offre de crédit, par la chute des profits et par la hausse du coût réel d’utilisation du capital. La seule hausse de l’incertitude a contribué à réduire l’investissement d’environ 10 % entre 2008 et 2009 ; la détérioration des perspectives de croissance étrangère a amputé de 6,4 points supplémentaires le niveau d’investissement en 2008-2009, tandis que la détérioration des perspectives de croissance domestique l’aurait amputé de 3,8 points additionnels. Leurs résultats suggèrent que le principal facteur derrière la faiblesse de l’investissement mondial au cours des dernières années est avant tout le pessimisme des entreprises quant à la future demande. Les moindres niveaux d’incertitude n’ont stimulé la croissance de l’investissement que modestement en 2013 et 2014. De même, le desserrement des contraintes de crédit, la réduction des coûts d’emprunt et l’amélioration des profits des entreprises ont également soutenu la reprise de l’investissement des entreprises à partir de 2010.

Leboeuf et Fay tirent de leurs constats deux grandes implications en ce qui concerne les perspectives futures pour l’investissement. Premièrement, une poursuite de la reprise mondiale devrait continuer à soutenir l’investissement. Par contre, si le ralentissement de la croissance dans les pays émergents s’aggravait ou si la croissance ralentissait dans les pays avancés, alors la reprise de l’investissement s’en trouverait compromise. Deuxièmement, la reprise actuelle de l’investissement demeure vulnérable à des chocs d’incertitude.

 

Références

BANERJEE, Ryan, Jonathan KEARNS & Marco LOMBARDI (2015), « (Why) is investment weak? », BRI, working paper.

BARKBU, Bergljot Bjørnson, S. Pelin BERKMEN, Pavel LUKYANTSAU, Sergejs SAKSONOVS & Hanni SCHOELERMANN (2015), « Investment in the euro area: Why has it been weak? », FMI, working paper, n° 15/32, février.

BUSSIÈRE, Matthieu, Laurent FERRARA & Juliana MILOVICH (2015), « Explaining the recent slump in investment: The role of expected demand and uncertainty », Banque de France, working paper, n° 571.

FMI (2015), « Private investment: What’s the holdup? », World Economic Outlook, chapitre 4.

LEBOEUF, Maxime, & Bob FAY (2016), « What is behind the weakness in global investment? », Banque du Canada, document d’analyse du personnel, n° 2016-5, février. 

LEWIS, Christine, Nigel PAIN, Jan STRASKY & Fusako MENKYNA (2014), « Investment gaps after the crisis », OCDE, economics department working paper, n° 1168, octobre.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher