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8 mai 2015 5 08 /05 /mai /2015 09:12

Après quatre ans de dépression et de déflation, les Etats-Unis ont connu une reprise rapide de l’activité économique durant le printemps de l’année 1933. Entre mars et juillet, la production industrielle a augmenté de 57 %. Les Etats-Unis n’ont jamais connu une reprise plus rapide dans le reste de son histoire. La crise financière mondiale de 2008 et la Grande Récession qui l’a suivie ont renouvelé l’intérêt pour l’étude de la Grande Dépression des années trente. Comme la politique monétaire est aujourd’hui contrainte par la borne inférieure zéro comme elle le fut il y a huit décennies, les économistes se sont interrogés quelles forces ont freiné ou accéléré la reprise suite à la Grande Dépression. En l’occurrence, ils se sont demandés pourquoi la reprise de 1933 a tardé et pourquoi elle fut si rapide une fois amorcée.

Si, comme l’ont notamment démontré Christina et David Romer (2013), le recul de l’inflation anticipée a contribué à la gravité de la Grande Dépression, la hausse de l’inflation anticipée a peut-être mis un terme à cette dernière. Peter Temin et Barrie Wigmore (1990) ont en effet suggéré que la reprise de 1933 s’expliquait par une forte révision à la hausse des anticipations d’inflation. Ils affirment que le président Franklin Roosevelt, qui arriva au pouvoir en mars 1933, instaura un nouveau régime de politique macroéconomique qui entraîna la révision des anticipations d’inflation et amorça ainsi la reprise. Gauti Eggertsson (2008) a développé un modèle théorique où la révision des anticipations d’inflation peut expliquer la reprise de la Grande Dépression. 

Les travaux théoriques de ces dernières décennies ont en effet conclu qu’une banque centrale ne peut sortir une économie d’une trappe à liquidité qu’en amenant les agents à réviser à la hausse leurs anticipations d’inflation. Comme l’ont notamment suggéré Paul Krugman (1998) ou Gauti Eggertsson et Michael Woodford (2003), si la banque centrale parvient à accroître l’inflation anticipée, cela pousse les taux d’intérêt réels à la basse, même si les taux d’intérêt nominaux sont déjà à leur borne inférieure zéro. Lorsqu’il annonça le relèvement de la cible d’inflation et l’accroissement rapide de la base monétaire, Haruhiko Kuroda, le gouverneur de la Banque du Japon, prit comme référence du changement de régime macroéconomique de Roosevelt pour affirmer que l’adoption de politiques inflationnistes était susceptible d’accroître la production lorsque l’économie est confrontée à une trappe à liquidité. Selon Christina Romer (2013), l’abenomics est à même d’impulser un changement de régime macroéconomique aussi radical que celui impulsé par l’administration Roosevelt. Parallèlement, la chute des anticipations d’inflation et la stagnation de l’activité ont amené plusieurs économistes et responsables politiques à craindre ces dernières années que la zone euro bascule dans une trappe déflationniste à la japonaise. La BCE a notamment adopté un programme d’assouplissement quantitatif en janvier 2015 afin de relever les anticipations d’inflation. 

Pourtant, ni Temin et Wigmore, ni Eggertsson n’ont démontré empiriquement que les anticipations d’inflation avaient effectivement changé durant le deuxième trimestre de 1933. Hausman (2013) conclut qu’en accroissant les revenus agricoles la dévaluation a directement stimulé la demande dans les Etats agricoles, aidant à stimuler la croissance de a production en 1933. Jason Taylor et Todd Neumann (2014) ont analysé un éventail de forces qui ont pu avoir contribué à la reprise de mars 1933 et du basculement des Etats-Unis dans une nouvelle récession. Les deux études ont suggéré qu’une hausse des anticipations d’inflation pouvait avoir joué un rôle déterminant dans la reprise. Taylor et Neumann constatent que la reprise s’est accélérée rapidement suite à certaines nouvelles relatives à l’inflation. Hausman suggère que la dévaluation, en accroissant les prix agricoles, a signalé une accélération de l’inflation et stimulé par là l’économie en amenant les agents à réviser leurs anticipations d’inflation à la hausse.

De leur côté, Andrew Jalil et Gisela Rua (2015) se sont demandé si les anticipations d’inflation changèrent durant le deuxième trimestre de 1933. Pour répondre à cette question, ils ont examiné trois types de preuves empiriques à partir des comptes-rendus historiques. Ils ont tout d’abord construit de nouvelles séries de données qui mesurent le nombre d’articles d’information contenant le terme d’inflation dans plusieurs journaux quotidiens. Ensuite, ils ont étudié les comptes-rendus des observateurs de l’époque, puis les prévisions des analystes de l’époque pour déterminer ce qu’ils anticipaient en termes d’inflation. L’ensemble des données que les auteurs recueillent indiquent que le deuxième trimestre de 1933 fut effectivement marqué par une forte hausse des anticipations d’inflation.

Jalil et Rua se demandent alors quels événements ont provoqué la révision des anticipations d’inflations. Ils identifient les nouvelles relatives à l’inflation dans les journaux. Ils entreprennent alors une étude d’événements pour estimer l’impact de ces nouvelles sur les marchés financiers. Ils constatent que ces nouvelles ont eu un large impact sur les marchés financiers. En l’occurrence, au cours des 24 heures qui suivaient une nouvelle relative à l’inflation, les indices boursiers augmentaient de pratiquement 5 % et le dollar se dépréciait d’environ 2 %. La stratégie de communication de Roosevelt provoqua la révision d’anticipations d’inflation : il s’engagea à ramener les prix à leurs niveaux d’avant-crise et annonça l’abandon de l’Etalon-or.

Enfin, Jalil et Rua examinent les répercussions macroéconomiques de cette révision des anticipations d’inflation. Durant les mois qui coïncident avec le changement de régime inflationniste de Roosevelt, la croissance de la production fut supérieure de 7 points de pourcentage que ce qui aurait été prédit d’après le comportement normal des indicateurs monétaires et financiers. Leur analyse suggère que la révision des anticipations d’inflation a joué un rôle causal dans la reprise de 1934.

 

Références

EGGERTSSON, Gauti B. (2008), « Great expectations and the end of the Depression », in American Economic Review, vol. 98, n° 4.

EGGERTSSON, Gauti B., & Michael WOODFORD (2003), « The zero bond on interest rates and optimal monetary policy », in Brookings Papers on Economic Activity, n° 1.

HAUSMAN, Joshua (2013), « Growth after a financial crisis: The U.S. in spring 1933 ».

JALIL, Andrew, & Gisela RUA (2015), « Inflation expectations and recovery from the Depression in 1933: Evidence from the narrative record », Réserve fédérale, working paper, avril.

KRUGMAN, Paul (1998), « It’s baaack: Japan’s slump and the return of the liquidity trap », in Brookings Papers on Economic Activity, n° 2.

ROMER, Christina (2013), « It takes a regime shift: Recent developments in Japanese monetary policy through the lens of the Great Depression », discours prononcé à la conférence annuelle du NBER, 12 avril.

ROMER, Christina, & David ROMER (2013), « The missing transmission mechanism in the monetary explanation of the Great Depression », in American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 103, n° 3.

TAYLOR, Jason E., & Todd C. NEUMANN (2014), « Recovery spring, faltering fall: March to november 1933 ».

TEMIN, Peter, & Barrie A. WIGMORE (1990), « The end of one big deflation », in Explorations in Economic History, vol. 27, n° 4.

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5 mai 2015 2 05 /05 /mai /2015 20:06

Lorsque la Fed évoqua au milieu de l’année 2012 l’éventualité d’un ralentissement (tapering) de ses achats d’actifs, cette annonce déstabilisa le taux de change et les marchés financiers des pays en développement et émergents. Ces turbulences affectèrent tout particulièrement l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et la Turquie, si bien que ces pays furent qualifiés de « cinq fragiles ». L’idée selon laquelle la politique monétaire des pays avancés influence fortement les économies en développement n’est pas nouvelle. La Fed avait déjà été « accusée » d’avoir entrainé une vague d’instabilité financière dans les pays en développement au milieu des années quatre-vingt-dix en relevant ses taux directeurs. Le resserrement de la politique monétaire américaine aurait provoqué la « crise téquila » de 1994, puis par contagion la crise asiatique de 1997 et la crise russe de 1998. Beaucoup ont suggéré que les pays en développement qui avaient laissé flotter leur monnaie avaient été relativement épargnés par l’instabilité financière. Cet épisode historique aurait ainsi illustré le « triangle des incompatibilités » ou « trilemme » que Robert Mundell a formalisé : les pays ne peuvent avoir simultanément une politique monétaire autonome, un taux de change fixe et une mobilité des capitaux. En d’autres termes, les pays ne peuvent retrouver l’autonomie de leur politique monétaire qu’en laissant leurs taux de change flotter.

Pourtant, en 2012 et en 2013, les pays émergents qui laissaient librement flotter leur monnaie semblent avoir tout autant été affectés par l’annonce du tapering que ceux disposant d’un régime de change plus rigide, ce qui a mis en question la validité du triangle des incompatibilités. Hélène Rey (2013) a affirmé que la politique monétaire des pays avancés, en l’occurrence celle de la Fed, influençait les politiques monétaires nationales des autres pays, via les mouvements de capitaux, la croissance du crédit et l’endettement des banques. Elle a suggéré que les pays faisaient face, non pas à un trilemme, mais à un « duo irréconciliable » : ils ne peuvent avoir à la fois une politique monétaire indépendante et la libre mobilité des capitaux. En l’occurrence, les pays en développement et émergents ne peuvent alors retrouver l’autonomie de leur politique monétaire qu’en restreignant la mobilité des capitaux.

Joshua Aizenman, Menzie Chinn et Hiro Ito (2015) ont voulu mettre à l’épreuve la thèse de Rey. Pour cela, ils ont cherché à déterminer pourquoi et comment les conditions financières des pays en développement et émergents (qu’ils qualifient de pays périphériques) sont affectées par les dynamiques des économies du centre (en l’occurrence, les Etats-Unis, le Japon, la zone euro et la Chine). Ils ont tout d’abord estimé la sensibilité des variables financières des pays périphériques aux dynamiques des économies du centre, puis ils ont examiné comment cette sensibilité était influencée par les conditions macroéconomiques, les politiques économiques, les relations réelles et financières entretenues avec les pays du centre et le niveau de développement institutionnel.

Pour la plupart des variables financières examinées, la force des liens entretenus avec les économies du centre a constitué le facteur dominant au cours des deux dernières décennies. L’analyse suggère que les relations commerciales, les relations financières associées aux IDE, la concurrence internationale, le développement financier, les soldes courants et la dette nationale ont une certaine importance. Elle suggère également que le régime de change et l’ouverture financière jouent directement sur la sensibilité des économies périphériques aux économies du centre. En l’occurrence, une économie périphérique est davantage affectée par les économies du centre si elle présente une plus grande stabilité du taux de change et une plus grande ouverture financière. Néanmoins, les régimes de change ont des effets principalement indirects sur la force des liens financiers. Aizenman et ses coauteurs en concluent que le trilemme reste valide : les pays n’ont pas à choisir qu’entre l’autonomie monétaire et l’intégration financière.

La prise en compte de la Chine parmi les économies du centre ne change pas vraiment les résultats obtenus. Au cours des deux dernières décennies, l’économie chinoise a connu une forte croissance, si bien qu’elle contribue à une part toujours plus significative de la production mondiale. Pourtant, la Chine n’exerce pas encore la même influence sur les marchés financiers des pays périphériques que les Etats-Unis, la zone euro ou le Japon. Aizenman et ses coauteurs estiment que son système financier n’est peut-être pas suffisamment développé pour qu’elle joue un rôle moteur dans les cycles financiers mondiaux.

 

Références

AIZENMAN, Joshua, Menzie D. CHINN & Hiro ITO (2015), « Monetary policy spillovers and the trilemma in the new normal: Periphery country sensitivity to core country conditions », NBER, working paper, n° 21128, avril.

REY, Hélène (2013), « Dilemma not trilemma: The global financial cycle and monetary policy independence », document de travail présenté à Jackson Hole, 24 août.

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1 mai 2015 5 01 /05 /mai /2015 18:29

Une monnaie remplit trois fonctions : celle d’intermédiaire des échanges, celle d’unité de compte et celle de réserve de valeur. Selon Paul Krugman (1991), une devise internationale n’assure pas de la même manière chacune de ces trois fonctions selon qu’elle est utilisée par le secteur privé ou par le secteur public. Une devise internationale joue le rôle de monnaie véhiculaire, de monnaie de libellé et de monnaie d’investissement pour le secteur privé : en effet, les résidents utilisent la devise internationale comme intermédiaire pour échanger des biens, des services et des actifs financiers avec le reste du monde ; les acheteurs peuvent plus facilement comparer les prix lorsque ceux-ci sont libellés dans la même devise ; les résidents investissent en devise internationale pour réduire leur exposition au risque et préserver leur liquidité.  Une devise internationale joue le rôle de monnaie d’intervention, de monnaie d’ancrage et de monnaie de réserve pour le secteur public : une banque centrale peut acheter ou vendre de la devise internationale pour alimenter la dépréciation ou l’appréciation de sa devise ; l’ancrage d’une monnaie sur la devise internationale permet de limiter les fluctuations du taux de change et ainsi de favoriser les échanges avec l’économie émettant la devise internationale ; une banque centrale peut accumuler de la devise internationale pour se constituer des réserves et protéger plus efficacement son taux de change.

C’est notamment au regard de ce cadre conceptuel qu’Agnès Bénassy-Quéré (2015) se demande si l’euro peut rivaliser avec le dollar comme devise internationale. Elle note que depuis son introduction en 1999, l’euro a été utilisé de plus en plus comme réserve de valeur, aussi bien pour le secteur public que pour les agents privés, comme le suggère par exemple sa part croissante dans les encours d’obligations internationales. Sa part dans les portefeuilles internationaux est toutefois restée limitée. Si l’euro a de plus en plus été utilisé comme monnaie de diversification, son poids en tant que monnaie véhiculaire a peu varié. En effet, l’euro est rarement utilisé dans les transactions n’impliquant pas la zone euro. L’euro est certes utilisé dans 33,4 % des conversions de devises en avril 2013, mais cette part chute à 9,3 % si l’on exclut les conversions euro-dollar. Le dollar garde son rôle majeur sur le marché des changes.

Bénassy-Quéré passe ensuite en revue les avantages d’une internationalisation de l’euro. Si l’euro acquérait le statut de devise internationale, la zone euro bénéficierait de gains de seigneuriage et elle obtiendrait le « privilège exorbitant » d’émettre de la dette internationale libellée en euro. L’incertitude et les coûts de transaction diminueraient pour les résidents de la zone euro qui commerceront avec le reste du monde en euro. Enfin, la zone euro gagnerait en influence internationale. Bénassy-Quéré note cependant que l’internationalisation de l’euro ne se ferait pas sans coûts. La zone euro pourrait notamment perdre le contrôle sur sa politique monétaire. En effet, les banques du reste du monde accorderaient des prêts en euro, ce qui déstabiliserait la création monétaire. Si ces banques étaient à court de liquidité, la BCE devrait jouer un rôle de prêteur international en dernier ressort, au détriment des objectifs domestiques de politique monétaire. Plus largement, la BCE devrait prendre en compte la situation du reste du monde pour orienter sa politique monétaire, à nouveau au détriment des objectifs domestiques. En outre, le risque serait que l’euro ait tendance à être surévalué si le reste du monde désire investir en actifs libellés en euro.

L’analyse théorique et historique suggère qu’une devise peut jouer un rôle pivot au niveau international si elle est émise par une grande économie, si cette dernière est dotée de marchés financiers profonds et liquides, si elle présente une stabilité nominale aussi bien interne (une faible inflation) qu’externe externe (un taux de change stable), si elle se dote d’un environnement réglementaire suffisamment sûr pour maintenir la stabilité financière et si elle possède certains attributs de pouvoir autres qu’économiques (notamment une réelle puissance militaire et une voix unique dans les instances et forums internationaux).

A la différence des Etats-Unis, la zone euro ne possède pas tous ces attributs. En effet, elle est plus peuplée que les Etats-Unis et elle pèse davantage que ces derniers dans le commerce international. En outre, la zone euro représente 12,1 % du PIB mondial. Toutefois, cette part est non seulement inférieure à la part des Etats-Unis dans le PIB mondial, mais elle tend également à diminuer plus rapidement que cette dernière. La part de la Chine dans le PIB mondial est déjà égale à celle des Etats-Unis et elle continue à croître. La zone euro ne dispose pas de marchés financiers aussi profonds et liquides que les Etats-Unis. La crise de la zone euro a réduit l’attractivité de l’euro comme devise internationale, tout du moins à court terme. Si l’inflation a été particulièrement faible et stable en zone euro (ce qui est favorable à l’usage de l’euro comme devise internationale), le taux de change de l’euro s’est révélé instable vis-à-vis du dollar. Enfin, la zone euro manquera d’influence géopolitique tant que les Etats-membres ne consentiront pas à transférer davantage de leur souveraineté nationale.

Bénassy-Quéré estime toutefois qu’il n’est pas impossible pour l’euro d’atteindre un statut similaire à celui du dollar au niveau international. Un système monétaire multipolaire se révèlerait même stabilisateur dans une économie mondiale elle-même multipolaire. Cependant, la fenêtre d’opportunité qui se présente à l’euro pour atteindre ce statut se sera très certainement refermée d’ici une décennie avec l’ascension du renminbi. Avoir une devise internationale n’a jamais été un objectif de l’unification monétaire en Europe ; par contre, Pékin affiche plus ouvertement une stratégie d’internationalisation du renminbi. En outre, la croissance chinoise est bien plus rapide que la croissance de la zone euro.

 

Références

BENASSY-QUERE, Agnès (2015), « The euro as an international currency », mars.

BENASSY-QUERE, Agnès, & Benoît CŒURE (2010), Economie de l’euro, La Découverte, deuxième édition.

KRUGMAN, Paul (1991), Currency and Crises, MIT Press.

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