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1 décembre 2014 1 01 /12 /décembre /2014 22:06

La science économique tend à considérer l'entrepreneuriat comme essentiel à l'accumulation du capital, à l'innovation et à la croissance économique, si bien qu'elle cherche à identifier les diverses barrières susceptibles de freiner le développement de l'entrepreneuriat et par là le processus de destruction créatrice. Mais ses analyses occultent souvent l'hétérogénéité des entrepreneurs. Par exemple, ils ne partagent pas les mêmes compétences, que ce soit pour gérer leur entreprise, la développer ou bien créer des emplois. Ils ne font également pas preuve de la même aversion face au risque. Rien n’assure qu’une entreprise survivra, or les coûts que sa création et que son fonctionnement occasionnent ne sont toujours réversibles. En outre, une telle incertitude précarise la trajectoire de l’entrepreneur. Dans ce contexte, le risque entrepreneurial peut dissuader de nombreux individus de créer leur propre entreprise, alors même qu’ils ont toutes les compétences pour la gérer et la développer. En effet, ils ne peuvent se rendre compte de la réalité de leurs compétences qu’une fois leur entreprise créée. Par conséquent, des activités qui auraient été florissantes sont susceptibles de ne jamais voir le jour. De cette perspective, il semble justifié pour les autorités publiques d’offrir une forme d’assurance aux potentiels entrepreneurs. Cette assurance risque toutefois de perturber l’allocation des ressources si elle incite des entrepreneurs peu efficaces à créer leur entreprise. De ce point de vue-là, le risque entrepreneurial contribue à évincer les potentiels entrepreneurs les moins sûrs de leurs compétences.

Pour observer la tension entre ces deux risques, Johan Hombert, Antoinette Schoar, David Sraer et David Thesmar (2014) ont étudié une réforme qui a été mise en œuvre en France en 2002, en l’occurrence le Plan d’Aide de Retour à l’Emploi (PARE). Celle-ci a fourni une assurance aux chômeurs qui se lançaient dans une activité entrepreneuriale. En effet, jusqu’alors, les entrepreneurs ne pouvaient bénéficier d’allocations chômage si leur entreprise faisait faillite ; avec le PARE, ils pouvaient désormais avoir le droit aux allocations chômage si leur entreprise faisait faillite dans les trois années qui suivaient sa création. En outre, la réforme offrir aux « entrepreneurs chômeurs » la possibilité de combler tout écart entre leurs revenus entrepreneuriaux et leur allocation chômage en percevant une partie de cette dernière, les assurant ainsi contre d’éventuels problèmes de liquidité qui se feraient jour au cours des trois premières années. 

Hombert et ses coauteurs constatent que la réforme entraîna une forte accélération des créations d’entreprises. Dès la mise en œuvre de la réforme, la création mensuelle d’entreprises s’accrut immédiatement de 25 %. La croissance d’entrées est plus large de 12 points de pourcentage dans les secteurs où ce sont essentiellement des petites entreprises qui sont créées. Si les entreprises créées grâce à la réforme sont initialement de plus petite taille que les autres, elles ne présentent pas de différences vis-à-vis de ces derniers en termes de taux de survie, de croissance ou de probabilité d’embauche dans les trois années consécutives à leur création. Les entreprises nouvellement créées sont estimées avoir créé chaque année entre 9000 et 24000 emplois. En outre, la réforme n’a pas conduit à significativement changer la population des entrepreneurs. Les caractéristiques personnelles des entrepreneurs, telles que leur niveau d’éducation ou leur ambition, ne sont pas moindres pour les personnes qui se sont lancées dans l’entrepreneuriat avec la réforme. 

La réforme est susceptible d’avoir généré un processus de destruction créatrice si l’essor de nouvelles entreprises a érodé les parts de marché des entreprises en place. Hombert et alii constatent que l’entrée de nouvelles entreprises a exercé de puissants effets d’éviction, en particulier sur les petites entreprises en place, qui ont connu un ralentissement de la croissance de 2,6 points de pourcentage suite à la réforme. L’analyse des données ne suggère pas la présence d’effets de débordement sur les grandes entreprises en place, ce qui est cohérent avec l’idée que les petites entreprises en place sont plus exposées à l’intensification de la concurrence que les grandes. L’effet d’éviction est de même ordre d’amplitude que l’effet direct de création d’emplois, si bien que l’effet net sur l’emploi est nul. 

Que ce soit avant ou après la réforme, les salaires et la productivité sont plus élevés dans les entreprises nouvellement créées que dans les entreprises déjà en place qui voient leur emploi décliner. Deux ans après la création, la valeur ajoutée annuelle par travailleur est supérieure de 7000 euros dans les premières que dans les secondes. Par conséquent, même si les emplois créés par les entreprises nouvellement créées après la réforme sont complètement compensés par les destructions d’emplois dans les petites entreprises déjà en place, cette réallocation de la main-d’œuvre des secondes vers les premières est finalement susceptible d’avoir un impact positif sur la productivité agrégée et ainsi sur l’ensemble de l’économie française.

Finalement, les quatre auteurs évaluent et comparent les bénéfices et coûts de la réforme. Les bénéfices (notamment la réduction de la durée de chômage, la réallocation des emplois vers les secteurs plus productifs et plus rémunérateurs) pourraient atteindre 350 millions d’euros, tandis que les coûts (les dépenses supportées par l’agence pour l’emploi pour orienter les chômeurs vers l’emploi) s’élevaient à 100 millions d’euros. Bref, les bénéfices de la réforme semblent plus que compenser ses coûts. 

 

Référence

HOMBERT, Johan, Antoinette SCHOAR, David SRAER & David THESMAR (2014), « Can unemployment insurance spur entrepreneurial activity? », NBER, working paper, n° 20717, novembre.

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27 novembre 2014 4 27 /11 /novembre /2014 19:58

Dans les pays avancés, la production est aujourd’hui bien en-deçà du niveau qu’elle aurait atteint si elle avait continué sur la trajectoire qu’elle suivait avant qu’éclate la Grande Récession. Comme la production potentielle a été fortement révisée à la baisse depuis la crise, l’essentiel de cette perte en production pourrait être permanente. Pour la zone euro, le PIB est presque 15 % inférieur au niveau qu’atteignait la production potentielle en 2008 et la production potentielle est inférieure de 10 % au niveau qu’elle aurait atteint si elle avait poursuivi sur sa trajectoire d’avant-crise. La perte en production de l’Europe est assez semblable à celle que subit le Japon lorsque ses bulles spéculatives éclatèrent, ce qui suggère que la zone euro glisse peu à peu dans la même stagnation économique qu’embrassa l’économie nippone il y a deux décennies.

GRAPHIQUE  Trajectoire observée du PIB en zone euro et estimations de son PIB potentiel réalisées en différentes dates (en milliards de dollars 2005)

Larry-Summers--perte-de-production-PIB-potentiel--stagnatio.png

source : Larry Summers (2014)

En suggérant que les pays avancés font aujourd’hui face à une « stagnation séculaire », Larry Summers (2014) soulève l’éventualité qu'une économie se retrouve dans l'impossibilité d’atteindre simultanément le plein emploi, une croissance satisfaisante et la stabilité financière au travers la seule politique monétaire conventionnelle. En effet, si l’économie subit un puissant choc accroissant la propension à épargner et en réduisant la propension à investir, les taux d’intérêt devraient diminuer jusqu’à ce que l’économie revienne au plein emploi, que ce soit sous l’effet des seules forces du marché ou bien de l’intervention des autorités publiques : ce taux d’intérêt associé au plein emploi est appelé « taux d’intérêt naturel ». Or, les taux d’intérêts nominaux ne peuvent baisser à l’infini. Si le choc est particulièrement puissant, le taux d’intérêt nominal peut ne pas suffisamment diminuer pour ramener l’économie au plein emploi. Dans un tel contexte, la flexibilité des prix et des salaires est susceptible d’aggraver le problème au lieu de se révéler stabilisatrice. Plus les prix et salaires sont flexibles (à la baisse), plus les agents anticipent qu’ils chuteront lorsque l'économie connaît une récession, ce qui accroît les taux d’intérêt réels ; ces derniers s’éloignent alors davantage du taux d’intérêt naturel, aggravant le chômage et déprimant davantage la demande globale. Bref, un déclin des taux d’intérêt naturels dans un contexte de faible inflation peut empêcher l’économie de retourner le plein emploi.

Plusieurs raisons amènent à penser que les taux d’intérêt naturels ont effectivement diminué [Summers, 2014 ; The Economist, 2014]. Le ralentissement de la croissance démographique et le ralentissement du progrès technique dépriment la demande de capital fixe pour équiper les travailleurs ; le vieillissement démographique amène les agents à davantage épargner au cours de leur vie active ; avec la baisse des prix des biens d’investissement, un même montant d’épargne permet d’acheter davantage de capital que par le passé ; avec le creusement des inégalités de revenu, une part croissante des revenus est captée par les agents ayant une faible propension à consommer, en l’occurrence les hauts revenus ; la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital contribue elle-même à transférer des revenus vers les agents ayant la plus faible propension à consommer, etc. Ces diverses tendances étaient déjà à l’œuvre avant même que l’économie mondiale bascule dans la Grande Récession. La bulle internet, puis la bulle immobilière, en stimulant temporairement la demande globale, ont juste dissimulé la faiblesse structurelle de l'économie.

Olivier Blanchard, Davide Furceri et Andrea Pescatori (2014) considèrent que les facteurs qui ont conduit à affaiblir les taux d’intérêt réels sont peu susceptibles d’être inversés, si bien que le taux d’intérêt naturel est susceptible de rester particulièrement faible durant une longue période. Il y a plusieurs canaux via lesquels cette causalité s’exerce [End et Hoeberichts, 2014]. Claudio Borio et Piti Disyatat (2014) affirment de leur côté que les faibles taux d’intérêt sont susceptibles de s’auto-valider, entraînant alors une chute permanente du taux d’intérêt naturel. Selon eux, les faibles taux d’intérêt réels stimulent l’endettement et les pays sont alors susceptibles de basculer dans une véritable trappe d’endettement. Dans une telle situation, il est difficile de relever les taux d’intérêt sans endommager l’économie, si bien que les banques centrales ne resserrent pas leur politique monétaire et les taux d’intérêt deviennent structurellement faibles.

Par conséquent, Jan Willem van den End et Marco Hoeberichts (2014) ont cherché à déterminer s’il y avait effectivement un lien causal entre le taux d’intérêt réel et le taux d’intérêt naturel. Leur modélisation des économies japonaise, allemande et américaine montre qu’une chute du taux d’intérêt réel a en effet affecté le taux d’intérêt réel en le poussant davantage à la baisse. C’est en particulier le cas du Japon et dans une moindre ampleur l’Allemagne ; par contre, il ne semble pas y avoir de lien causal aux Etats-Unis. Leur analyse confirme que de faibles taux d’intérêt peuvent effectivement conduire à une stagnation de l’activité économique.

Il est difficile de démontrer à partir des données empiriques que les économies avancées sont effectivement confrontées à une stagnation séculaire, notamment en raison des incertitudes entourant les estimations de la sous-estimation des capacités de production, de son impact sur l’inflation, des répercussions de la crise sur la production potentielle et des taux d’intérêt naturels. Łukasz Rawdanowicz, Romain Bouis, Kei-Ichiro Inaba et Ane Kathrine Christensen (2014) ont toutefois cherché à mettre à l’épreuve l’hypothèse de la stagnation séculaire. D’après leur analyse, les signes d’une stagnation séculaire sont les plus flagrants en zone euro et en particulier dans les pays-membres en difficulté ; ils sont par contre moins visibles aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Deux décennies après y être basculée, le Japon semble dans une phase avancée de la stagnation séculaire. En effet, les quatre économistes de l’OCDE constatent que les larges écarts que les PIB des pays avancés accusent vis-à-vis de leur trajectoire d’avant-crise s’expliquent à la fois par une réduction de la production potentielle et par de larges écarts de production (output gaps) négatifs. L’insensibilité de l’inflation à l’insuffisance de la demande lui a permis de rester positive (même si elle n’en demeure pas moins faible) ; ce faisant, elle a joué un rôle stabilisateur au cours des dernières en contenant la hausse des taux d’intérêt réels. La crise elle-même semble avoir contribué à la baisse des taux d’intérêt naturels en dégradant la production potentielle. Par conséquent, les politiques de taux zéro ont perdu en efficacité. C’est en particulier le cas des pays-membres de la zone euro, en raison des puissants effets d’hystérèse dont ils ont fait l’objet suite à la crise. Au Japon, les taux d’intérêt réels ont été en-deçà des taux d’intérêt naturels depuis plus de deux décennies. 

Pour Summers, les pays avancés peuvent s'appuyer sur deux stratégies pour sortir de la stagnation séculaire. La première consiste à réduire davantage les taux d’intérêt réels. Pour cela, les banques centrales peuvent relever leurs cibles d’inflation en espérant conduire les agents à réviser leurs anticipations d’inflation à la hausse, auquel cas les taux d’intérêt réels diminueront même si les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure zéro. Jan Willem van den End et Marco Hoeberichts rejettent une telle stratégie. En effet, ils concluent de leur propre analyse que la politique monétaire peut devenir moins efficace pour stimuler l’activité, puisqu’en réduisant les taux réels, cet assouplissement est susceptible de réduire davantage le taux naturel. Cela diminue l’effet de relance sur la demande, car celui-ci dépend de l'écart entre le taux naturel et le taux réel. D’autre part, élever le taux naturel sera plus efficace pour éviter la stagnation séculaire qu’une politique visant à réduire le taux réel, par exemple en déplaçant les anticipations d’inflation. Cette dernière est même susceptible d’être contreproductive puisqu’elle est susceptible de réduire les taux réels. Summers rappelle en outre que le maintien de faibles taux directeurs stimule les prises de risque et l’endettement, alimentant alors l’instabilité financière.

L’alternative consisterait à accroître la demande en accroissant l’investissement et en réduisant l’épargne. La production et l’emploi s’en trouveraient stimulés sans pour autant que soit compromise la stabilité financière. Summers avance plusieurs mesures, notamment l’investissement public (financé par voie de dette) et la réduction des inégalités afin de redistribuer les revenus vers les agents ayant la plus forte tendance à consommer, c’est-à-dire les plus pauvres.

 

Références

BLANCHARD, Olivier, Davide FURCERI & Andrea PESCATORI (2014), « A prolonged period of low real interest rates? », in C. Teulings & R. Baldwin (dir.), Secular Stagnation: Facts, Causes and Cures.

BORIO, Claudio, & Piti DISYATAT (2014), « Low interest rates and secular stagnation: Is debt a missing link? », in VoxEU.org, 25 juin.

The Economist (2014), « Secular stagnation: Doom and gloom », 19 novembre.

END, Jan Willem van den, & Marco HOEBERICHTS (2014), « Low real rates as driver of secular », Banque des Pays-Bas, working paper, octobre. 

RAWDANOWICZ, Łukasz, Romain BOUIS, Kei-Ichiro INABA & Ane Kathrine CHRISTENSEN (2014), « Secular stagnation: Evidence and implications for economic stagnation », OCDE, economics department working paper, n° 1169. 

SUMMERS, Lawrence H. (2014), « Reflections on the new 'Secular Stagnation hypothesis' », invoxEU.org, 30 octobre.

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25 novembre 2014 2 25 /11 /novembre /2014 20:57

Lors de la récente crise mondiale, la demande globale s’est effondrée et, avec elle, les échanges internationaux. Ce « grand effondrement » a été suivi par un fort rebond du commerce international avec la reprise mondiale (cf. graphique 1). Pourtant la croissance des échanges n'a pas réussi à retrouver son rythme d'avant-crise. En effet, elle atteignait en moyenne 7,1 % par an entre 1987 et 2007, mais seulement 3 % par an entre 2012 et 2013. Alors qu’au cours des quatre précédentes décennies, décrites par certains comme une période d'« hypermondialisation », le volume du commerce s’accroissait deux fois plus rapidement que la production mondiale, la première semble désormais croître plus lentement que la seconde (cf. graphique 2). La question qui se pose est si ce ralentissement du commerce international est un phénomène conjoncturel, susceptible de se corriger avec l’accélération de la croissance mondiale, ou bien s’il s’explique par des déterminants structurels qui le rendraient alors permanent, auquel cas une accélération substantielle de la croissance mondiale ne s’accompagnerait plus d’une aussi forte croissance des échanges.

GRAPHIQUE 1  Croissance des échanges internationaux

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source : Constantinescu et alii (2014a)

Certains suggèrent que ce ralentissement serait avant tout conjoncturel et qu’il s’expliquerait en l’occurrence par la crise de la zone euro. L’Union européenne représente en effet un tiers de l’ensemble des échanges. La chute puis la stagnation de la demande globale dans la zone euro a fortement déprimé ses importations, c’est-à-dire finalement les exportations du reste du monde. L’apparition d’un large excédent courant pour l’ensemble de la zone euro suggère que celle-ci déprime effectivement la demande mondiale et par là les échanges. Si cette interprétation est correcte, les échanges internationaux seront fortement stimulés par le retour de la croissance en zone euro.

GRAPHIQUE 2  Taux de croissance annuels moyens (en %)

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source : Constantinescu et alii (2014a)

Pour Cristina Constantinescu, Aaditya Mattoo et Michele Ruta (2014a ; b), économistes au FMI et à la Banque mondiale, le récent ralentissement du commerce ne semble toutefois pas s’expliquer par les seuls facteurs conjoncturels. L’évolution du ratio des importations sur le PIB au cours des 10 dernières années suggère que des facteurs de long terme ont joué un rôle déterminant dans le récent ralentissement du commerce. La plupart des économies enregistrent un ratio stable depuis la crise mondiale. Mais dans le cas de la Chine et des Etats-Unis, ce ratio a cessé d’augmenter avant la crise ; en l’occurrence, il est stable depuis 2005, ce qui suggère que des facteurs de long terme jouent effectivement un rôle dans le récent ralentissement du commerce. Les trois auteurs constatent que la relation entre le commerce et le revenu semble avoir connu un changement structurel dans les années deux mille. L’élasticité du commerce à long terme (mesurant la sensibilité du commerce au revenu) s’est élevée dans les années quatre-vingt-dix, puis elle a fortement diminué dans les années deux mille pour finalement retrouver les valeurs qu’elle atteignait dans les années soixante-dix. Une hausse de 1 % du revenu mondial était associée à une hausse de 2,2 % des échanges internationaux au cours des années quatre-vingt ; elle était associée à une hausse de seulement 1,3 % durant les années deux mille. En d’autres termes, si la croissance des échanges internationaux a ralenti, ce n’est pas seulement parce que la croissance du revenu mondial est plus lente, mais aussi parce que la première est moins sensible à la seconde. Surtout, il s'agirait d'une sorte de retour « à la normale ».

L’accroissement de l’élasticité du commerce au revenu au cours des années quatre-vingt peut s’expliquer par la fragmentation internationale de la production. Notamment avec le développement des technologies d’information et de communication, il est devenu plus facile pour les entreprises de fragmenter leur processus de production et de répartir les différentes tâches de production entre plusieurs pays. Or une telle fragmentation de la production accroît mécaniquement le volume des échanges internationaux pour un volume donné de production. En l’occurrence, de plus en plus de composants ont été importés en Chine pour y être assemblés et réexportés dans le reste du monde (cf. graphique 3). Dans les années quatre-vingt-dix, les entreprises américaines ont de plus en plus délocalisé leur production, si bien que le commerce est devenu plus sensible au revenu aux Etats-Unis. La part des importations de biens manufacturés dans le PIB américain a plus que doublé au cours des années quatre-vingt-dix (cf. graphique 4). Au cours de cette décennie, les biens intermédiaires importés par les pays émergents provenaient avant tout des Etats-Unis ; l’économie américaine était en outre la principale destination de leurs produits finis. 

GRAPHIQUE 3  Part des importations de biens intermédiaires dans les exportations chinoises de marchandises (en %)

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source : Constantinescu et alii (2014a)

Pour Constantinescu et ses coauteurs, la moindre sensibilité du commerce au revenu que l’on a pu observer au cours des dernières années peut éventuellement s’expliquer par les changements dans la structure du commerce associés à l’essor ou à la contraction des chaînes de valeur mondiales, par les changements dans la composition du commerce mondial (par exemple, l’importance relative des biens vis-à-vis des services), par des changements dans la composition du revenu mondial (notamment l’importance relative de l’investissement et de la consommation) et des changements dans le régime commercial (avec par exemple la montée du protectionnisme). Les auteurs passent alors en revue chacune de ces potentielles explications. Tout d’abord, la répartition entre biens et services dans les échanges mondiaux est restée remarquablement stable au cours des dernières années, si bien que la moindre élasticité peut difficilement s’expliquer par un changement dans la composition du commerce international. Ensuite, le commerce est aussi sensible à l’investissement qu’à la consommation, si bien que la moindre élasticité ne peut s’expliquer par un changement dans la composition de la demande. En outre, le protectionnisme n’a connu qu’un faible essor suit à la crise financière.

GRAPHIQUE 4  Importations américaines de biens manufacturés (en %)

Constantinescu-Mattoo-Ruta--importations-biens-manufacture.png

source : Constantinescu et alii (2014a)

En fait, le changement dans la relation entre le commerce et le revenu au niveau mondial semble avant tout s’expliquer par les changements dans le commerce intrafirme aux Etats-Unis et en Chine. Alors que l’élasticité du commerce au revenu est restée la même en Europe, elle est passée de 3,7 à 1 aux Etats-Unis et de 1,5 à 1,1 en Chine. Elle a certes fortement augmenté dans certaines régions à travers le monde, mais celles-ci ne représentent qu’une faible part du commerce mondial. Si le commerce est resté fortement sensible au PIB dans la zone euro, c’est peut-être parce que ses pays-membres (en particulier l’Allemagne) ont continué d’étendre leurs chaînes de valeur en Europe de l’est. Par contre, le récent déclin de l’élasticité du commerce au revenu en Chine pourrait dénoter un changement dans le rôle qu’elle joue dans la production mondiale. La part des biens intermédiaires importés dans les exportations chinoises a atteint un pic de 60 % au milieu des années quatre-vingt-dix, puis a diminué pour atteindre aujourd’hui 35 % (cf. graphique 3). Cela pourrait traduire une substitution des intrants importés par les intrants domestiques. En l’occurrence, les régions côtières de la Chine sous-traitent de plus en plus avec les régions intérieures, notamment grâce au déclin plus rapide des coûts de transport et de communication vis-à-vis de ces dernières que vis-à-vis du reste du monde. De leur côté, les entreprises américaines semblent ne plus chercher à davantage fragmenter leur production. En effet, les importations manufacturières aux Etats-Unis ont représenté une part assez stable du PIB depuis le début des années deux mille, en l’occurrence 8 % (cf. graphique 4).

 

Références

CONSTANTINESCU, Cristina, Aaditya MATTOO & Michele RUTA (2014a), « Global trade slowdown: Cyclical or structural? ».

CONSTANTINESCU, Cristina, Aaditya MATTOO & Michele RUTA (2014b), « Slow trade », in Finance & Development, vol. 51, n° 4.

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