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19 septembre 2014 5 19 /09 /septembre /2014 09:44

Les pays en développement ont connu une accélération significative de leur croissance au cours de la dernière décennie. Entre 2000 et 2012, leur taux de croissance annuel s’est élevé en moyenne à 4,75 %, soit à un niveau supérieur d’un point de pourcentage à celui observé au cours des deux précédentes décennies. Puisque la croissance des pays avancés est restée relativement stable au cours des années deux mille, les pays en développement ont connu une convergence rapide de leur niveau de vie avec celui des pays avancés. Ils réalisent désormais plus de la moitié de la production mondiale. Même les pays d’Afrique sub-saharienne ont connu un véritable décollage.

GRAPHIQUE  Taux de croissance du PIB (en %)

FMI__pays_emergents__en_developpement__pays_avances_croissance_PIB.png

Luis Cubeddu et alii (2014) ont cherché à identifier les facteurs sous-jacents à l’accélération de la croissance économique des pays en développement. Cette dernière semble s’expliquer essentiellement par la croissance de la productivité totale des facteurs. Cela dit, l’accumulation des facteurs demeure le principal moteur de la croissance économique. En l’occurrence, l’essor du commerce international et l’assouplissement des conditions de financement semblent avoir directement stimulé l’accumulation du capital. L’accélération de la croissance de la productivité s’expliquerait notamment par les réformes mises en œuvre au cours des précédentes décennies, la réallocation des facteurs vers les secteurs à plus haute productivité et la hausse de l’investissement.

La performance des pays en développement au cours des années deux mille résulte de meilleurs fondamentaux et de puissants vents arrières. Ils jouirent en effet de conditions externes favorables et celles-ci expliqueraient la moitié de leur croissance économique selon Luis Cubeddu et ses coauteurs. D’une part, depuis les années quatre-vingt, la demande extérieure constitue un moteur de croissance de plus en plus important dans la croissance des pays en développement, notamment en raison de la libéralisation commerciale et de l’essor des chaînes de valeur. En l’occurrence, si leur activité domestique est devenue de plus en plus sensible à la demande émanant des autres pays en développement, elle reste tout de même dépendante pour l’essentiel de la demande émanant des pays avancés, ultimes maillons dans les chaînes de valeur. Par contre, la hausse des prix des matières premières (qui s’explique elle-même pour partie par la demande des pays émergents) a joué un rôle ambivalent : d’un côté, elle stimula l’investissement et plus largement l’activité dans les pays exportateurs en leur offrant d’amples revenus ; de l’autre, elle nuisit aux pays importateurs, mais ceux-ci surent en compenser les effets récessifs en s’appuyant sur d’autres moteurs de croissance. Enfin, avec la faiblesse des taux d’intérêt dans les pays avancés et la réduction des primes de risque, les pays en développement bénéficièrent de conditions de financement accommodantes. Celles-ci stimulèrent également l’investissement et plus largement la croissance, en particulier dans les pays les plus ouverts financièrement. 

Les pays en développement n’ont pas été épargnés par la crise financière mondiale, mais ils surent rebondir rapidement après celle-ci. Le fait qu’ils aient su se constituer ces dernières décennies une plus grande marge de manœuvre budgétaire et assainir leurs bilans en adoptant des politiques davantage contracycliques explique notamment pourquoi ils ont été initialement épargnés par le choc financier mondial. La crise des pays avancés se transmit toutefois aux pays en développement via d’autres canaux, notamment celui du commerce international. La reprise qui s’ensuivit a été hétérogène. A un extrême, les pays émergents d’Asie connurent la reprise la plus rapide et la plus forte, ce qui permit à leur croissance de retrouver rapidement son rythme d’avant-crise. De l’autre, l’Europe émergente fut la plus durement touchée et elle connut la reprise la plus lente. En fait, la reprise semble avoir été d’autant plus rapide dans les pays en développement qu’ils assouplirent leur politique budgétaire, que leurs partenaires commerciaux avaient une forte croissance, que leurs fondamentaux étaient plus robustes avant la crise et qu’ils disposaient d’un taux de change flottant. Le fait que les pays en développement mènent leurs politiques conjoncturelles de façon plus contracyclique leur permit ainsi de se constituer une marge de manœuvre budgétaire avant la crise financière mondiale et de relancer efficacement leur activité après celle-ci [Didier et alii, 2012].

Suite à ce rebond, plusieurs pays émergents ont connu un fort ralentissement de leur croissance. Pourtant, les termes de l’échange leur sont restés favorables et les conditions financières mondiales sont restées très accommodantes malgré la perspective d’un tapering dans les achats d’actifs de la Fed. Le taux de croissance annuel moyen de la production des pays émergents a été en 2013 inférieur de 1,5 point de pourcentage à celui qu’ils connurent sur la période 2010-2011 lorsque la reprise mondiale de l’activité attint son pic. La croissance du PIB s’élevait à 7 % entre 2003 et 2008, puis à 6 % entre 2010 et les prévisions du FMI suggèrent qu’elle s’élèvera à 5 % au cours des cinq prochaines années [Saxena, 2014]. Loin de toucher seulement les grands émergents comme la Chine ou l’Inde, il s’agit d’un phénomène généralisé, puisque les trois quarts des pays en développement connurent un ralentissement de la croissance de leur production en 2013. La première région à décélérer fut l’Asie, suivie par le Moyen-Orient et l’Afrique du Sud, puis par l’Amérique latine et l’Europe émergente. Les pays en développement ont déjà connu de tels ralentissements synchronisés par le passé, mais ce fut alors durant une crise, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les récents ralentissements sont peut-être un effet retardé de la crise financière mondiale. D’un côté, la synchronisation des ralentissements suggère qu’ils résultent de facteurs communs à l’ensemble des pays, en premier lieu la conjoncture mondiale ; de l’autre, la persistance de ces ralentissements pourrait suggérer que des facteurs structurels ont également été à l’œuvre. Dans tous les cas, la plupart des universitaires et des prévisionnistes n’ont pas anticipé le récent ralentissement.

Luis Cubeddu et alii (2014), ainsi que Ghada Fayad et Roberto Perrelli (2014) ont cherché à identifier les principaux facteurs qui expliquent ces ralentissements synchronisés dans les pays émergents suite à la reprise mondiale. Ils constatent que la demande extérieure a joué un rôle clé pour expliquer les événements entre 2011 et 2013. La croissance économique de chaque pays en développement a ralenti car la demande émanant de ses partenaires commerciaux a chuté ; réciproquement, la décélération de l’activité dans chaque pays en développement a déprimé mécaniquement les exportations de ses partenaires commerciaux. C’est surtout la demande émanant des pays avancés et de la Chine qui est en cause. En l’occurrence, la crise de la zone euro, puis l’apparition d’un large excédent courant dans la zone euro, ont très certainement joué un rôle déterminant. Au niveau domestique, les pays en développement ont eu tendance à resserrer leur politique budgétaire. L’abandon des plans de relance budgétaire qui avaient été mis en œuvre lors de la Grande Récession a alors amplifié les répercussions de l’effondrement de la demande extérieure sur l’activité domestique.

Les diverses études réalisées par le FMI mettent en avant le rôle des facteurs du côté de l’offre. Fayad et Perrelli suggèrent que des goulots d’étranglement structurels, propres à chaque pays, ont dégradé leur croissance potentielle et ont ainsi contribué à ce que le ralentissement de l’activité persiste. Leurs conclusions font échos à celles de Rahul Anand et alii (2014) : la Chine et l’Inde semblent avoir récemment connu un ralentissement de leur croissance potentielle en raison d’un ralentissement de la croissance de la productivité totale des facteurs. Sebastián Sosa et alii (2013) ont de leur côté constaté que l’accumulation des facteurs (en particulier du travail) avait constitué le principal moteur de la croissance du PIB réel dans les pays d’Amérique latine, mais que les contraintes naturelles pesant sur le travail et la faiblesse de l’accumulation du capital menaçaient la pérennité d’une forte croissance.

 

Références

ANAND, Rahul, Kevin C. CHENG, Sidra REHMAN & Longmei ZHANG (2014), « Potential growth in emerging Asia », Fonds Monétaire International, working paper, n° 14/2.

CUBEDDU, Luis, Alexander CULIUC, Ghada FAYAD, Yuan GAO, Kalpana KOCHHAR, Annette KYOBE, Ceyda ONER, Roberto PERRELLI, Sarah SANYA, Evridiki TSOUNTA & Zhongxia ZHANG (2014), « Emerging markets in transition: Growth prospects and challenges », Fonds Monétaire International, staff discussion note, n° 14/6.

DIDIER, Tatiana, Constantino HEVIA & Sergio L. SCHMUKLER (2012), « How resilient and countercyclical were emerging economies during the global financial crisis? », in Journal of International Money and Finance, vol. 31, n° 8.

FAYAD, Ghada, & Roberto PERRELLI (2014), « Growth surprises and synchronized slowdowns in emerging markets—An empirical investigation », Fonds Monétaire International, working paper, n° 17/173, septembre.

SAXENA, Sweta (2014), « Three key questions about the slowdown in emerging markets », in IMFdirect (blog), 18 septembre.

SOSA, Sebastián, Evridiki TSOUNTA & Hye Sun KIM (2013), « Is the growth momentum in Latin America sustainable? », Fonds Monétaire International, working paper, n° 13/109.

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16 septembre 2014 2 16 /09 /septembre /2014 22:35

Avec la crise financière mondiale, la Réserve fédérale des Etats-Unis (comme les banques centrales de plusieurs autres pays avancés) a dû puissamment assouplir sa politique monétaire et notamment ramener son taux directeur au plus proche de zéro pour freiner la contraction de l’activité et restaurer la stabilité financière. Pourtant la chute de la demande globale a été si forte que seul un taux d’intérêt négatif aurait pu ramener l’économie américaine au plein emploi. Dans une telle situation de trappe à liquidité, la politique monétaire perd en efficacité, tandis que la politique budgétaire retrouve sa pleine efficacité, comme le suggèrent notamment Michael Woodford (2011), Bradford DeLong et Lawrence Summers (2012) ou encore Gauti Eggertsson et Paul Krugman (2012). Et effectivement, le taux des fonds fédéraux a beau être resté à sa borne inférieure zéro (zero lower bound) depuis décembre 2008, soit depuis près de six ans, la reprise demeure lente, le taux de chômage reste élevé et les pertes de revenu associées à la Grande Récession n’ont pas été entièrement recouvrées : l’activité américaine n’est pas parvenue à retrouver la trajectoire qu’elle suivait avant la crise. Puisque la Fed ne pouvait davantage jouer sur son instrument traditionnel de la politique monétaire, elle a adopté d’autres mesures « non conventionnelles » pour essayer de stimuler davantage l’activité économique, notamment le forward guidance et les achats d’actifs à grande échelle à travers les programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing).

La théorie macroéconomique suggère également que les prix d’actifs et l’économie ne sont pas seulement influencés par le niveau actuel du taux à court terme, mais qu’ils sont en fait affectés par l’ensemble de sa trajectoire future, telle qu’elle est anticipée par les marchés. Cela laisse à penser que la politique monétaire peut rester efficace même lorsque le taux directeur est nul. Du côté théorique, des auteurs comme Gauti Eggertsson et Michael Woodford (2003) suggèrent qu’une banque centrale peut stimuler l’activité lorsque son taux directeur est contraint par la borne zéro en promettant de garder sa politique monétaire accommodante une fois que la borne zéro n’est plus contraignante (ou, autrement dit, une fois que l’économie est sortie de la trappe à liquidité) : si les agents économiques s’attendent à ce que la politique monétaire soit plus accommodante que nécessaire dans le futur, ils anticipent par conséquent un boom, ce qui les incite à investir dès aujourd’hui et l’activité s’en trouve alors effectivement stimulée. Eggertsson et Woodford soulignent toutefois que ce sera le cas seulement si la banque centrale est capable de s’engager à fixer son taux directeur aux niveaux qu’elle a annoncés. Du côté empirique, Refet Gürkaynak, Brian Sack et Eric Swanson (2005) ont montré que les annonces de politique monétaire faites par la Fed influencent les prix d’actifs principalement en influençant les anticipations de future politique monétaire des marchés financiers plutôt qu’avec les modifications du taux directeur en vigueur.

GRAPHIQUE  Taux des fonds fédéraux et rendements des titres du Trésor sans coupon à 1 an, à 2 ans, à 5 ans et à 10 ans

Swanson Williams, Etats-Unis taux directeur taux bons du Tr

Dans ce contexte, Eric Swanson & John Williams (2014) ont cherché à évaluer si la borne zéro rendait effectivement impuissante la politique monétaire et redonnait toute son efficacité à la politique budgétaire. Ils développent une nouvelle méthode pour déterminer si les taux d’intérêt à chaque échéance sont influencés par la présence de la borne inférieure zéro et, dans ce cas, pour déterminer dans quelle ampleur ils le sont. Ils se basent sur des données à haute fréquence pour observer comment les rendements réagissent aux annonces macroéconomiques. Pour les auteurs, le niveau d’un rendement pris isolément n’indique pas clairement si ce rendement est contraint par la borne inférieure zéro. En effet, il n’est pas possible de quantifier la sévérité de la contrainte de la borne zéro ou son importance statistique en utilisant le seul niveau de rendement. Ensuite, il se peut que la borne sur laquelle butent les taux d’intérêt nominaux soit supérieure à zéro pour des raisons institutionnelles et que cette borne inférieure effective diffère par conséquent d’un pays à l’autre. Enfin, la sensibilité des rendements aux nouvelles est plus pertinente que le niveau de rendement pour le multiplicateur budgétaire. La taille du multiplicateur budgétaire dépend étroitement de la réaction des taux d’intérêt aux changements de politique budgétaire et non de leur niveau.

Swanson et Williams constatent que les taux d’intérêt à un an et de plus long terme ont fortement réagi aux nouvelles entre 2008 et 2010. Ce n’est qu’à partir de la fin de l’année 2011, c’est-à-dire précisément au moment où le comité de politique monétaire de la Fed adopte le forward guidance, que la sensibilité des rendements des titres du Trésor à moyen terme chute et se rapproche de zéro. Les auteurs proposent deux raisons pour expliquer cette dynamique. Premièrement, il se pourrait que jusqu’à fin 2011, les marchés s’attendaient constamment à ce que la Fed relève le taux des fonds fédéraux d’ici les quatre trimestres suivants, ce qui minimisait les effets de la borne zéro sur les rendements à moyen et long termes. Deuxièmement, l’adoption du forward guidance par la Fed et ses achats d’actifs à grande échelle continuèrent de pousser à la baisse les taux d’intérêt à moyen et long termes, même si les taux courts étaient contraints par leur borne zéro. Avec ces actions « non conventionnelles », les rendements des titres du Trésor à moyen terme et à plus long terme ont diminué de plus de 20 points de base en diverses occasions entre 2008 et 2012.

Leurs résultats ont d’importantes implications pour la conduite des politiques conjoncturelles. Tout d’abord, en ce qui concerne la politique monétaire, ces résultats suggèrent que les autorités monétaires ont continué à disposer d’une importante marge de manœuvre pour influencer les taux d’intérêt à moyen et long terme (du moins jusqu’à 2011) malgré le fait que le taux des fonds fédéraux soit à sa borne zéro. En effet, le comité de politique monétaire semble avoir directement influencé ces rendements à plus long terme en de multiples reprises, d’une part, en cherchant à façonner les anticipations des marchés financiers quant aux futures mesures de politique monétaire (via la pratique du forward guidance) et, d’autre part, en achetant massivement des titres à plus long terme. En ce qui concerne la politique budgétaire, leurs résultats suggèrent que le multiplicateur budgétaire était probablement proche de la normale entre 2008 et 2010, car sur cette période les marchés finances s’attendaient alors à ce que la contrainte de la borne zéro dure au maximum quatre trimestres. Par contre, à partir de fin 2011, les rendements des bons du Trésor à deux ans sont devenus moins sensibles aux nouvelles et les marchés financiers s’attendaient désormais à ce que la première hausse du taux des fonds fédéraux n’ait pas lieu avant au moins sept trimestres. Cela suggère selon lSwanson et Williams que la taille du multiplicateur budgétaire s’est alors fortement élevée.

 

Références

DELONG, J. Bradford, & Lawrence SUMMERS (2012), « Fiscal policy in a depressed economy », inBrookings Papers on Economic Activity, vol. 44, n° 1.

EGGERTSSON, Gauti B., & Paul KRUGMAN (2012), « Debt, deleveraging, and the liquidity trap: A Fisher-Minsky-Koo approach », in Quarterly Journal of Economics, vol. 127, n° 3.

EGGERTSSON, Gauti B., & Michael WOODFORD (2003), « The zero interest-rate bound and optimal monetary policy », in Brookings Papers on Economic Activity.

GÜRKAYNAK, Refet S., Brian SACK & Eric T. SWANSON (2005), « Do actions speak louder than words? The response of asset prices to monetary policy actions and statements », in International Journal of Central Banking, vol. 1, n° 1.

SWANSON, Eric T., & John C. WILLIAMS (2014), « Measuring the effect of the zero lower bound on medium- and longer-term interest rates », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20486.

WOODFORD, Michael (2011), « Simple analytics of the government expenditure multiplier », inAmerican Economic Journal: Macroeconomics.

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14 septembre 2014 7 14 /09 /septembre /2014 21:55

La population vieillit rapidement dans plusieurs pays développés, en particulier en Allemagne et au Japon. Or ce vieillissement démographique affecte plusieurs variables macroéconomiques. Il réduit le taux d’activité et par conséquent la croissance potentielle. Il se traduit par une hausse des dépenses publiques dans les soins de santé et dans le système de retraite, si bien qu'il détériore les finances publiques et incite les autorités publiques à resserrer la politique budgétaire pour préserver la soutenabilité de la dette publique. Parce que le vieillissement démographique est susceptible d’accroître l’épargne (l’offre de fonds prêtables) et de pénaliser la demande globale, plusieurs auteurs le relient à la faiblesse des taux d’intérêt réels et à la stagnation séculaire. L’impact que le vieillissement démographique est susceptible d’avoir sur la dynamique de l’inflation a par contre été très peu étudié. Si le vieillissement déprime la demande globale, il devrait alors générer par là même des pressions déflationnistes. Hideki Konishi et Kozo Ueda (2013) ont ainsi confirmé qu’il existait une corrélation négative entre l’inflation et le vieillissement dans les pays développés.

Derek Anderson, Dennis Botman et Ben Hunt (2014) ont récemment exploré le lien entre le vieillissement démographique et l’inflation en se penchant précisément sur le cas du Japon. Avec l’allongement significatif de la longévité de ses résidents et la faiblesse de ses flux d’immigration, le Japon est le pays qui vieillit le plus rapidement au monde. L’espérance de vie est la plus élevée au monde, la population en âge de travailler commença à décliner au début des années quatre-vingt-dix et les baby boomers (en particulier les individus nés entre 1947 et 1949) ont commencé à prendre leur retraite en 2007. La population âgée va continuer de s’accroître, alors même que le taux de fertilité a significativement diminué au cours des dernières décennies. Le vieillissement va aggraver des perspectives de croissance déjà bien pessimistes : le Japon connaît une véritable stagnation de son activité depuis l’éclatement des bulles boursière et immobilière au début des années quatre-vingt-dix. Il est par ailleurs intéressant de noter que le ralentissement de la croissance nippone est synchrone avec le déclin de sa population active. En outre, le Japon se caractérise déjà par un niveau de dette particulièrement élevé et le vieillissement de sa population ne fera qu’alourdir ce fardeau budgétaire.

Les trois auteurs constatent que le vieillissement démographique génère principalement des pressions déflationnistes en freinant la croissance économique et en modifiant les prix relatifs. La désépargne des personnes âgées aggrave les choses, dans la mesure où elle entraîne une appréciation du taux de change réel avec le rapatriement des actifs détenus à l’étranger. En outre, comme le vieillissement démographique pèse sur les finances publiques et nécessite par conséquent une consolidation budgétaire, cette consolidation en accroît les répercussions déflationnistes en détériorant la demande globale.

Derek Anderson et ses coauteurs suggèrent que ces effets déflationnistes associés au vieillissement sont susceptibles d’être contrés par un puissant assouplissement de la politique monétaire. Cette recommandation souffre de deux limites. D’une part, l’exemple même du Japon montre qu’il est difficile pour les autorités monétaires de combattre la déflation. L’économie insulaire peine à sortir de la trappe déflationniste dans laquelle elle a basculé au cours des années quatre-vingt-dix et le vieillissement démographique ne ferait qu’aggraver la situation. Au cours des dernières décennies, la Banque du Japon a pourtant assoupli à plusieurs reprise sa politique monétaire et adopté diverses mesures « non conventionnelles », notamment des achats d’actifs à grande échelle, sans que cela suffise pour relever les anticipations d’inflation et restaurer la stabilité des prix. Le déploiement de la première flèche de l’abenomics (qui consiste pour la banque centrale à accroître significativement son bilan via des achats actifs) semble avoir stimulé les hausses de prix, mais l’objectif d’une inflation à 2 % ne semble pas encore assuré. On peut toutefois suggérer que les difficultés du Japon à sortir de la déflation tiennent non pas à la faiblesse des diverses mesures de relance monétaire, mais bien au retard dans leur mise en œuvre : dans les années quatre-vingt-dix, la Banque du Japon a véritablement tardé à réagir face à l’éclatement des bulles spéculatives et au ralentissement des prix, laissant l’économie nippone se retrouver finalement piégée dans la déflation.

D’autre part et surtout, le vieillissement pourrait réduire l’efficacité de la politique monétaire, ce qui pourrait également contribué à expliquer les difficultés du Japon à sortir de la déflation. Puisque les personnes âgées sont plus souvent créancières que débitrices, donc peu sensibles aux variations des taux d’intérêts, Patrick Imam (2014) en déduit tout simplement qu’au fur et à mesure qu’une population vieillit, une part croissante des ménages devient insensible aux variations des taux d’intérêt, rendant précisément la politique monétaire moins efficace. [1] Si le vieillissement démographique conduit à une baisse des taux d'intérêt réels comme le croient les partisans de la thèse de la stagnation séculaire, la probabilité que l'économie se retrouve dans une trappe à liquidité s'accroît également, compliquant la mission de la banque centrale. En d’autres termes, le vieillissement ne rendrait pas seulement pas seulement plus probable le risque de déflation, il en complique la sortie.

 

[1] Si la politique monétaire devient moins efficace, la stimulation de l’activité dépend peut-être plus étroitement de la politique budgétaire. La relance budgétaire semble a priori périlleuse pour un Japon déjà particulièrement endetté, mais il ne faut pas oublier que le vieillissement rapide de la population se traduit par un puissant déclin des taux d’intérêt réels.

 

Références

ANDERSON, Derek, Dennis BOTMAN & Ben HUNT (2014), « Is Japan’s population aging deflationary?  », Fonds monétaire international, working paper, n° 14/139, août.

IMAM, Patrick (2013), « Shock from graying: Is the demographic shift weakening monetary policy effectiveness », Fonds monétaire international, working paper, n° 13/191, septembre. Traduction française disponible sur Annotations.

KONISHI, Hideki, & Kozo UEDA (2013), « Aging and deflation from a fiscal perspective », IMES, discussion paper, n° 2013-E-13.

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