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21 juin 2014 6 21 /06 /juin /2014 17:43

Les analyses empiriques et les théories modernes suggèrent que la croissance économique dépend de la diffusion et de l’absorption des nouvelles techniques, mais celles-ci exigent des compétences, non seulement pour les créer, mais aussi pour les utiliser [Mokyr, 2013]. L’innovation et la diffusion des techniques dépendraient donc étroitement du capital humain et notamment de l'éducation scolaire. Par exemple, Edward Glaeser, Rafael LaPorta, Florencio López-de-Silanes et Andrei Shleifer (2004) ont critiqué l’idée selon laquelle les différences en termes d’institutions seraient essentielles pour expliquer les différences dans la performance économique ; en fait, selon eux, les différences en termes de développement économique observées entre les pays s’expliqueraient avant tout par des différences en termes de scolarité.

Pourtant, si le capital humain est aujourd’hui un puissant indicateur avancé pour le développement économique, il n'y a pas consensus sur le rôle qu'il a joué lors de la révolution industrielle. Cette dernière désigne la période d’industrialisation qui débuta au dix-huitième siècle et qui fut marquée par de profondes avancées technologiques, notamment avec l’invention de la machine à vapeur. Avec la révolution industrielle, les économies sont sorties de la stagnation pour enfin connaître la croissance économique. Les pays qui en furent le théâtre acquirent dès le dix-neuvième siècle un avantage substantiel et durable sur le reste du monde en termes de développement économique. Les raisons de cette grande divergence (great divergence) dans les trajectoires de développement demeurent encore toutefois imprécises.

Pour l’Angleterre, le meneur technologique lors de la révolution industrielle, l’éducation scolaire semble ne pas avoir contribué à la croissance économique, du moins pas aux premières étapes de l’industrialisation [Mitch, 1999]. Le taux d’alphabétisation de la Grande-Bretagne s’élevait à environ 60 % pour les hommes et à 40 % pour les femmes, c’est-à-dire à des niveaux très proches de ceux de la Belgique, légèrement plus élevés que ceux de la France, mais bien plus faibles que ceux des Pays-Bas et de l’Allemagne. Diverses raisons ont été alors avancées pour expliquer le leadership technologique de l’Angleterre, notamment les institutions (avec le système de droits de propriété et en l’occurrence des brevets qui auraient incité les agents à se lancer dans l’activité entrepreneuriale et l’innovation), la géographie (avec les dotations en ressources naturelles comme le charbon), la colonisation, la culture et tout simplement la chance.

En revanche, les données empiriques sont plus nuancées en ce qui concerne le rôle du capital humain pour les pays suiveurs. Si certains auteurs suggèrent qu’il n’a pas été un moteur déterminant dans le rattrapage au cours du dix-neuvième siècle, d’autres affirment le contraire : une fois les nouvelles techniques apparues en Grande-Bretagne, le capital humain s’est peut-être révélé crucial en facilitant leur adoption par les pays suiveurs. En l’occurrence, Sasha Becker, Erik Hornung et Ludger Woessmann (2011) montrent que l’évolution de l’emploi dans les secteurs industriels de la Prusse du dix-neuvième siècle s’explique assez finement par les données relatives à l’éducation primaire (sauf pour le secteur du textile). Bref, l’avantage éducationnel dont jouissait la Prusse lui permit d’amorcer son rattrapage sur l’Angleterre. Dans un article précédent, Sasha Becker et Ludger Woessmann (2009) étaient revenu sur la thèse wébérienne selon laquelle l’éthique protestant aurait joué un rôle crucial dans l’apparition (de l’esprit) du capitalisme moderne. Ils constataient que l’avantage éducationnel de la Prusse s’expliquait en partie par la religion. En l’occurrence, le luthéranisme aurait stimulé le développement économique en favorisant l’éducation.

Ces résultats s’appliqueraient également aujourd’hui : le capital humain et, plus précisément, l’éducation de masse ne joueraient pas forcément un rôle important pour la croissance des pays les plus avancés technologiquement, ceux qui sont présents sur la « frontière technologique ». Elle se révélerait par contre essentielle pour les pays en retard de développement en leur permettant d’absorber les techniques les plus avancées et de se rapprocher ainsi de la frontière technologique.

Pour Joel Mokyr (2005, 2013), les études cherchant à évaluer l’importance du capital humain pour la croissance économique ont trop souvent tendance à se focaliser sur la seule éducation scolaire, alors que l’apprentissage et d’autres manières plus informelles pour acquérir du capital humain joueraient selon lui un rôle plus important. Par exemple, d’après Morgan Kelly, Joel Mokyr et Cormac Ó Gráda (2013), c’est parce qu’elle disposait d’une main-d’œuvre d’une meilleure qualité que la Grande-Bretagne a pu jouer son rôle de meneuse lors de la Révolution industrielle. Parce qu’ils étaient mieux nourris que les travailleurs continentaux, les travailleurs britanniques ont été d’une plus grande taille et en meilleure santé. Ils disposaient d’une plus grande force physique et de meilleures capacités cognitives, donc d’une plus forte productivité. En outre, la distribution des aptitudes et de la dextérité était asymétrique : il existait un relativement large contingent de travailleurs qualifiés. Si ce contingent a pu être doté de fortes compétences, c’est grâce à un système efficace d’apprentissage des jeunes travailleurs, ce qui suggère que les institutions ont effectivement joué un rôle décisif dans l’industrialisation précoce de l’Angleterre.

Poursuivant certaines intuitions de Joel Mokyr (2005), Mara Squicciarini et Nico Voigtländer (2014) font la distinction entre le capital humain moyen (c’est-à-dire les compétences des travailleurs) et le savoir supérieur (celui des ingénieurs et entrepreneurs au sommet de la distribution des compétences). Dans leur modélisation, les compétences des travailleurs accroissent la productivité locale dans une technologie donnée, tandis que le savoir scientifique rend les entrepreneurs capables de se maintenir avec une frontière technologique rapidement changeante. Par conséquent, si la présence locale d’élites de savoir peut ne pas être importante dans l’ère préindustrielle, elle peut ensuite constituer un moteur de la croissance, mais les compétences des travailleurs ne sont alors cruciales dans aucune des deux périodes. Pour évaluer la présence géographique des élites du savoir Squicciarini et Voigtländer ont alors utilisé les abonnements à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, un ouvrage qui cherchait à rendre compte du savoir scientifique et technologique disponible à l’époque. Ils montrent que la densité d’abonnements dans chaque ville est un puissant indicateur avancé de la croissance urbaine après 1750, soit le début de la révolution industrielle, mais pas avant. Des mesures alternatives de développement confirment cette dynamique : la taille des soldats et l’activité industrielle sont fortement corrélées avec la densité d’inscriptions après, mais pas avant, 1750. D’un autre côté, l’alphabétisation ne prédit pas la croissance, ce qui confirme à nouveau les résultats obtenus par les précédentes études. Finalement, les auteurs utilisent les données provenant d’une enquête sur les entreprises françaises menée en 1837 pour confirmer leur mécanisme théorique : le savoir supérieur accroît la productivité dans les secteurs utilisant les nouvelles technologies. En effet, les entreprises présentes dans les secteurs modernes furent plus productives dans les régions ayant une forte densité d’abonnements. Cela dit, Squicciarini et Voigtländer ne rejettent pas l’idée que des facteurs tels que la culture, les institutions ou la géographie aient pu jouer un rôle plus fondamental pour amorcer la révolution industrielle.

 

Références

BECKER, Sascha O., & Ludger WOESSMANN (2009), « Was Weber wrong? A human capital theory of protestant economic history », in Quarterly Journal of Economics, vol. 124, n° 2.

BECKER, Sascha O., Erik HORNUNG & Ludger WOESSMANN (2011), « Education and human capital in the Industrial Revolution », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 3, n° 3.

GLAESER, Edward L, Rafael LAPORTA, Florencio LÓPEZ-DE-SILANES & Andrei SHLEIFER (2004), « Do institutions cause growth? », in Journal of Economic Growth, vol. 9, n° 3.

KELLY, Morgan, Joel MOKYR & Cormac Ó GRÁDA (2013), « Precocious Albion: A new interpretation of the British Industrial Revolution », working paper.

MITCH, David (1999), « The role of education and skill in the British Industrial Revolution », in Joel Mokyr (dir.), The British Industrial Revolution: An Economic Perspective, Westview Press.

MOKYR, Joel (2005), « The intellectual origins of modern economic growth », in Journal of Economic History, vol. 65, n° 2.

MOKYR, Joel (2013), « Human capital, useful knowledge, and long-term economic growth », in Economia politica, vol. 3.

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19 juin 2014 4 19 /06 /juin /2014 22:57

Avec l’approfondissement de l’intégration européenne, l’instauration d’un marché unique et l’unification monétaire, les Etats-membres ont réduit les barrières à l’échange entre eux en espérant stimuler les échanges. Avec l’apparition d’un marché unique, chaque entreprise accroît ses débouchés potentiels, tout comme elle voit s’accroître la concurrence à laquelle elle fait face, si bien qu’elle est incitée à réduire ses prix, au détriment de ses rentes. Avec l’adoption d’une unité de compte commune permettant de comparer plus facilement les prix et de réduire les coûts de transaction (en premier lieu les coûts de conversion), les Européens sont incités à saisir des opportunités d’arbitrage en faveur des prix les plus faibles et mettent plus facilement les entreprises en concurrence. Ces dernières sont alors incitées à pratiquer les mêmes prix et à proposer en l’occurrence les prix les plus faibles. Les consommateurs gagnent en pouvoir d’achat et disposent d’une plus grande variété de biens, ce qui les incite à consommer, tandis que les entreprises disposent d’intrants de meilleur qualité et à un prix réduit. Bref, l’unification des marchés des produits et l’unification monétaire devraient en principe conduire à une convergence des prix par le bas, tout en améliorant l’allocation des facteurs et en stimulant par là même la croissance économique. Toutefois il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les prix pourraient rester dispersés au sein même d’une union monétaire : présence de coûts de transport, différences de langues, de cultures, de goûts, de normes réglementaires, du degré de concurrence, de taxation, etc

Pour qu’il y ait convergence des prix au sein d’une union monétaire, les pays-membres disposant des prix les plus faibles (en l’occurrence les pays les moins développés, par exemple l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal) doivent connaître une plus forte inflation que les autres (en particulier les pays les plus développés, tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas). Leur niveau de productivité va augmenter pour converger vers celui des pays les plus avancés, ce qui conduit à une hausse des prix et des salaires en leur sein : c’est l’effet Balassa-Samuelson et celui-ci correspond finalement à un processus de convergence réel. Toutefois, les différentiels d’inflation ne s’expliquent pas par le seul effet du rattrapage des économies les moins développées sur les plus développés. En fait, l’unification monétaire a conduit à une égalisation des taux d’intérêt nominaux. Or, puisqu’ils subissent une plus forte inflation, les pays de la périphérie ont bénéficié de taux d’intérêt réels plus faibles. Ceux-ci ont stimulé l’investissement résidentiel et plus largement la demande en leur sein, ce qui a entretenu en retour l’inflation. Comme la BCE se focalise sur le taux d’inflation de l’ensemble de la zone euro, elle a pu se révéler excessivement accommodante pour les pays les plus inflationnistes et excessivement restrictives pour les pays les moins inflationnistes. De ce point de vue, l’adoption de la monnaie unique a contribué à alimenter les déséquilibres au sein de chaque pays périphérique en nourrissant une expansion du crédit insoutenable et des bulles spéculatives. De plus, en subissant une inflation plus forte que le « cœur » de la zone euro, les pays de la périphérie ont vu leur taux de change réel s’apprécier sans forcément voir leur productivité s’accroître aussi rapidement. Leur compétitivité s’est dégradée vis-à-vis du reste du monde, ce qui a détérioré leur solde extérieur. Tant que les déséquilibres intérieurs s’accumulaient, ils dissimulaient les déséquilibres extérieurs. De ce point de vue, loin de conduire à une convergence des pays-membres (et de faire de la zone euro une zone monétaire optimale de façon endogène), l’unification monétaire a pu au contraire conduire à une divergence.

De nombreuses études ont cherché à décrire la dynamique des prix au sein de la zone euro. Par exemple, Alberto Cavallo, Brent Neiman et Roberto Rigobon (2013) ont étudié le comportement des prix d’Apple, d’IKEA, d’H&M et de Zara dans 85 pays entre octobre 2008 et mai 2013. Au cours de leur étude, Apple était la plus grande entreprise cotée au monde ; Ikea le plus grand distributeur de fournitures ; H&M et Zara respectivement les troisième et quatrième distributeurs de vêtements. Ils observent comment les prix de ces entreprises diffèrent selon les pays pour des biens identiques et ils évaluent comment les prix d’un pays à l’autre dépendent de la devise dans laquelle ils sont libellés. Ils constatent que les prix d’un même entreprise pour un bien donné diffèrent significativement entre les pays en-dehors de la zone euro, mais sont souvent identiques à l’intérieur de la zone euro. Lorsque l’on compare les mêmes produits entre deux pays qui ont des taux de change flexibles, la dispersion des prix est plus importante que lorsque les deux pays ont des taux de change fixes. La dispersion des prix est environ 15-40 % moindre pour les taux de change fixes que pour les taux de change flexibles, certains desquels peuvent de façon plausible être attribuables à des niveaux typiques de volatilité des taux de change nominaux. La dispersion des prix est inférieure de 30 à 50 % pour les pays dans une union monétaire par rapport à ceux ayant un taux de change fixe. Cette étude ne précise toutefois pas à quelle vitesse cette dynamique se met en œuvre suite à la modification de la politique de change. En l’occurrence, elle ne précise pas l’impact propre à l’unification monétaire.

Alberto Cavallo, Brent Neiman et Roberto Rigobon (2014) se sont alors penchés sur le cas de l’économie lettone. La Lettonie a abandonné sa monnaie (le lat) le 1er janvier 2014 pour adopter l’euro. Au début des années deux mille, un lat valait environ 2 euros. Le taux de change du lat s’est ensuite quelque peu déprécié vis-à-vis de l’euro, puis la Lettonie a ancré sa monnaie sur l’euro au début de l’année 2005. Au 1er janvier 2014, les comptes bancaires, salaires, prestations sociales, prêts et instruments financiers lettons furent convertis en euro, au taux de 1 lat pour 1,42 euro. L’adoption de la monnaie unique ne s’est pas traduite par une variation du taux de change et elle fut largement anticipée. Il n’y eut aucun changement additionnel dans les politiques touchant aux échanges de produits. En effet, puisque la Lettonie appartient à l’UE depuis 2004, les règles les plus importantes, notamment les tarifs douaniers ou les règles concurrentielles, sont établies au niveau européen depuis lors et ces règles n’ont pas été modifiées durant le passage à la monnaie unique. Celui-ci constitue ainsi une véritable expérience naturelle. Cavallo et ses coauteurs ont donc observé le prix de milliers de biens vendus par Zara, le plus grande retailer de vêtements au monde. La dispersion des prix entre la Lettonie et la zone euro s’effondra rapidement après l’entrée dans la zone euro. Le pourcentage de biens avec des prix presque identiques en Lettonie et en Allemagne est passée de 6 % en novembre 2013 à 89 % en février 2014. La taille médiane des différentiels de prix a baissé, passant de 7 % à zéro. 

 

Références

CAVALLO, Alberto, Brent NEIMAN & Roberto RIGOBON (2013), « The euro and price convergence: You wanted it … you got it! », in voxEU.org, 29 novembre.

CAVALLO, Alberto, Brent NEIMAN & Roberto RIGOBON (2014), « The price impact of joining a currency union: Evidence from Latvia », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20225, juin.

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16 juin 2014 1 16 /06 /juin /2014 22:21

Le FMI a reconnu en 2010 que les entrées soudaines de capitaux exposaient leurs récipiendaires (en particulier les pays en développement) à des risques d’instabilité financière et que le contrôle des capitaux constituait alors un outil efficace pour préserver la stabilité financière [Ostry et alii, 2010]. Cette perspective contraste radicalement ses précédentes positions : l’institution de Washington était jusqu’alors favorable à la liberté des mouvements de capitaux. Par exemple, durant la crise asiatique de 1997 et 1998, le FMI critiqua l’instauration de contrôles des capitaux parmi les pays en difficulté, en l'occurrence en Malaisie. Or, comme le suggèrent par exemple Ethan Kaplan et Dani Rodrik (2001), les pays qui restreignirent les afflux de capitaux connurent par la suite une plus forte reprise que les autres pays. En principe, les contrôles de capitaux fournissent aux autorités monétaires une marge de manœuvre supplémentaire pour stabiliser l’activité économique à court terme. En effet, selon le trilemme de Mundell, un pays ne peut à la fois avoir la liberté des capitaux, une politique monétaire indépendante et un taux de change fixe. Par conséquent, en restreignant l’entrée des capitaux dans l’économie, une banque centrale est à même de maintenir des taux de change fixes, tout en assouplissant sa politique monétaire pour stimuler la production. Si le contrôle des capitaux contient les fuites de capitaux lors des crises financières (empêchant les premières d’aggraver les secondes), il empêche en « temps normal » que les capitaux affluent massivement et alimentent alors une expansion insoutenable du crédit et des prix d’actifs.

Pour déterminer l’efficacité respective du contrôle des capitaux et du libre flottement des devises comme catalyseurs de la reprise économique, plusieurs auteurs se sont penchés sur les événements de la Grande Dépression. En effet, à la veille de cet épisode, de nombreux pays appartenaient à l’étalon-or, un système de taux de change fixes reposant étroitement sur le métal précieux. Le resserrement de la politique monétaire américaine au début de l’année 1928 est considéré par certains comme l’événement déclencheur de la Grande Dépression. Contraints par le système monétaire international, les autres banques centrales furent forcées de resserrer également leur politique monétaire. Or, de telles actions amorcèrent des paniques bancaires au sein de chaque économie tout en faisant propager la déflation au niveau mondial. La crise bancaire internationale de 1931 mena à des attaques spéculatives sur les monnaies. Les autorités publiques privilégièrent la préservation du système monétaire international sur la stabilisation de l’activité, en supposant que la première conduirait mécaniquement à la seconde [Eichengreen et Temin, 1997]. Face à un déficit de la balance des paiements et des sorties d’or, les règles de l’étalon-or imposaient aux gouvernements et banques centrales de restreindre le crédit et de réduire les prix et coûts (notamment les salaires) jusqu’à ce que l’équilibre soit restauré. Adoptées lors de la crise mondiale, de telles mesures ne faisaient qu’aggraver les conditions économiques.

Avec la poursuite de la déflation dans un contexte de contraction de l’activité, les pays-membres eurent de plus en plus de difficultés à maintenir l’ancrage de leur taux de change à partir de 1929, si bien que plusieurs d’entre eux quittèrent le système monétaire international [Mitchener et Wandschneider, 2014]. Au milieu des années trente, la plupart des pays avaient abandonné (de façon désordonnée) l’étalon-or pour embrasser des systèmes de change alternatifs. Si certains pays suivirent l’Angleterre et abandonnèrent l’or dès 1931, d’autres pays, comme la France, maintinrent l’ancrage de leur monnaie sur l’or, même après 1933 : ces derniers formèrent le « bloc-or ». Parmi ceux qui abandonnèrent l’or, certains décidèrent d’ancrer leur monnaie sur la livre sterling et d’autres laissèrent leur devise flotter librement. Plusieurs pays instaurèrent des contrôles de capitaux pour protéger leur économie des afflux de capitaux de court terme et contenir les pressions sur leur balance des paiements. Depuis les travaux précurseurs d’Ehsan Choudhri et Levis Kochin (1980) et de Barry Eichengreen et Jeffrey Sachs (1985), plusieurs études ont suggéré que les pays qui avaient rapidement abandonné l’or connurent une plus forte croissance que les autres. Ces événements eurent des répercussions durables sur les relations financières internationales. Il fallut attendre les années quatre-vingt pour que les flux de capitaux retrouvent leur ampleur d’avant-crise. Cette décennie marqua également le retour de l’instabilité financière. 

Kris James Mitchener et Kirsten Wandschneider (2014) ont examiné la période entre 1925 et 1936 pour évaluer l’efficacité des contrôles de capitaux instaurés en réponse à la Grande Dépression. Ils constatent que les contrôles des capitaux jugulèrent effectivement les sorties d’or au cours des mois qui suivirent leur instauration. Cependant, les pays qui les mirent en œuvre n’ont pas connu une reprise plus rapide que les pays qui abandonnèrent l’or et laissèrent tout simplement leur taux de change flotter. Lorsqu’ils examinent l’impact des contrôles de capitaux sur la production industrielle, les exportations et les prix, Mitchener et Wandschneider ne décèlent un effet statistiquement significatif que sur la production industrielle. Les pays qui adoptèrent un contrôle des capitaux eurent un taux de croissance de la production industrielle légèrement inférieur à celui des pays ayant laissé leurs taux de change flotter. Ainsi, même si les contrôles de capitaux permirent de contenir les fuites de capitaux, ils semblent avoir contraint la reprise. Puisque les pays qui instaurèrent un contrôle des capitaux abandonnèrent l’étalon-or plus tôt que les pays du bloc-or, leur reprise débuta plus rapidement. Toutefois, lorsque les pays-membres du bloc-or abandonnèrent celui-ci, ces pays eurent par la suite les mêmes performances que les pays qui avaient instauré un contrôle des capitaux. Ce dernier n’offrit donc qu’une maigre amélioration en termes de reprise. 

Mitchener et Wandschneider cherchent alors à comprendre pourquoi les contrôles de capitaux n’ont pas conduit à une accélération significative de la reprise. L’analyse des séries temporelles leur suggère que les pays ayant instauré des contrôles de capitaux ne profitèrent pas entièrement de l’autonomie de leur politique monétaire. Même s’ils ne suivirent pas la France en resserrant leur politique monétaire après avoir imposé un contrôle des changes, ces pays ne poursuivirent pas non plus la même stratégie que les Etats-Unis, un pays qui laissa flotter sa monnaie dès 1933 et mit en œuvre une politique monétaire particulièrement expansionniste. Le taux de croissance moyen de l’offre de monnaie des pays ayant instauré un contrôle des capitaux devint positif après leur instauration, mais il fut plus faible que les taux de croissance de l’offre de monnaie des pays qui laissèrent flotter leur monnaie ou même des pays-membres du bloc-or une fois qu’ils quittèrent ce dernier. Ces constats confirment les précédentes études, notamment celles de Milton Friedman et Anna Schwartz (1962) et de Barry Eichengreen (1992), qui ont suggéré que les politiques monétaires furent trop restrictives au cours de la Grande Dépression. En alimentant la déflation, les actions des banques centrales amenèrent en fait les systèmes bancaires au bord de l’effondrement. Les contrôles de capitaux n’ont pas été efficacement utilisés lors de la Grande Dépression pour stabiliser les systèmes bancaires, stimuler la production domestique ou générer de l’inflation. De leur côté, les pays qui adoptèrent la flexibilité des taux de change poursuivirent des politiques monétaires expansionnistes et surent alors contenir la déflation et la contraction de l’activité. 

 

Références

CHOUDHRI, Ehsan U., & Levis A. KOCHIN (1980), « The exchange rate and the international transmission of business cycle disturbances: Some evidence from the Great Depression », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 12, n° 4.

EICHENGREEN, Barry (1992), Golden Fetters: The Gold Standard and the Great Depression, Oxford University Press.

EICHENGREEN, Barry, & Jeffrey SACHS (1985), « Exchange rates and economic recovery in the 1930s », in The Journal of Economic History, vol. 45, n° 4.

EICHENGREEN, Barry, & Peter TEMIN (1997), « The gold standard and the Great Depression », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 6060.

FRIEDMAN, Milton, & Anna SCHWARTZ (1963), A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press.

KAPLAN, Ethan, & Dani RODRIK (2001), « Did the Malaysian capital controls work? », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 8142.

MITCHENER, Kris James, & Kirsten WANDSCHNEIDER (2014), « Capital controls and recovery from the financial crisis of the 1930s », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20220, juin.

OSTRY, Jonathan, Atish GHOSH, Karl HABERMEIER, Marcos CHAMON, Mahvash QURESHI & Dennis REINHARDT (2010), « Capital inflows: The role of controls », Fonds monétaire international, staff position paper, n° 10/04.

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