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16 février 2015 1 16 /02 /février /2015 20:16

Six ans après la crise financière, les pays avancés connaissent toujours une faible croissance, mais les économistes ne s’accordent pas sur les raisons de cette faiblesse. Les explications possibles ne manquent pas. Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2009a, 2009b) ont à plusieurs reprises affirmé que, par le passé, les récessions ont été plus sévères et les reprises plus lentes lorsque les récessions ont été synchrones à une crise financière de dimension systémique ; par conséquent, la lenteur de l’actuelle reprise n’est pas anormale. Certains suggèrent que la croissance ne pourra revenir à un rythme rapide et soutenable tant que le secteur privé ne se sera pas pleinement désendetté. Si en outre, comme Reinhart et Rogoff ont pu le suggérer, il existe une corrélation négative entre les ratios d’endettement public et la croissance économique, la consolidation budgétaire pourrait contribuer à stimuler la reprise. C'est notamment la conclusion que dresse Alberto Alesina au fil de ses différentes publications.

D’autres affirment au contraire que les gouvernements se sont insuffisamment appuyés sur la relance budgétaire ; c’est le cas de Christina et David Romer, qui remettent ainsi en cause la conclusion de Reinhart et Rogoff en suggérant que la lenteur de la reprise n’est pas une fatalité. Les multiplicateurs budgétaires pourraient être particulièrement élevés suite à une crise financière, lorsque les taux d’intérêt nominaux sont contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound). Dans une telle situation, tout assouplissement budgétaire est très efficace pour stimuler l’activité ; réciproquement, toute consolidation budgétaire est particulièrement nocive pour l’activité [DeLong et Summers, 2012]. Certains suggèrent ainsi que la généralisation de l’austérité budgétaire à partir de 2010 suffit pour expliquer la faiblesse de la reprise des pays avancés et notamment la seconde récession de la zone euro : les gouvernements auraient dû continuer de maintenir une politique expansionniste (même si celle-ci entraîne une forte dégradation des finances publiques à court terme) et ne resserrer leur politique budgétaire qu'une fois la reprise amorcée pour réduire l'endettement public sans compromettre cette dernière. Une telle interprétation explique pourquoi il pourrait y avoir une corrélation négative entre le niveau de dette publique et la croissance : les gouvernements très endettés pénalisent l’activité en adoptant (hâtivement) des plans d’austérité. Une telle interprétation entre en résonance avec l’idée selon laquelle la lenteur de la reprise s’explique par les erreurs commises par les autorités publiques. Un peu dans le même ordre d’idées, Scott Baker, Nicholas Bloom et Steven Davis (2013) ont suggéré que la forte incertitude entourant la politique économique ait pu freiner l’investissement et ainsi la croissance en effritant la confiance.

Cependant les pays avancés étaient peut-être affectés par des dynamiques adverses de long terme avant même l’éclatement de la crise financière mondiale. Par exemple, Robert Gordon (2012) a affirmé que le potentiel d'innovation est épuisé, si bien que les gains de productivité seront durablement limités. En avançant l’hypothèse d’une « stagnation séculaire », Larry Summers (2013) suggère de son côté que les économies avancées font face à une insuffisance chronique de la demande globale. En outre, les pays avancés connaissent un vieillissement rapide de leur population. Si la majorité des économistes conclut que cette dynamique démographique pèse sur la croissance, ils ne s’accordent pas sur ses répercussions exactes : pour les néoclassiques, elle va réduire l’épargne disponible pour financer l’investissement, donc freiner l’accumulation du capital et pénaliser ainsi l’offre ; pour les keynésiens, l’épargne n’est pas nécessaire pour financer l’investissement, mais le vieillissement démographique va déprimer directement l’investissement, donc la demande globale. L’accroissement des inégalités pourrait elle-même contribuer à la stagnation séculaire, alors même que le ralentissement de la croissance alimente les inégalités. Bref, la croissance de long terme était peut-être promise à ralentir même s’il n’y avait pas eu de Grande Récession.

Stephanie Lo et Kenneth Rogoff (2015) privilégient l’interprétation selon laquelle la persistance du surendettement est à l’origine de la faiblesse de la reprise. Moritz Schularick et Alan Taylor (2012) ont montré que le dernier demi-siècle a été marqué par une forte vulnérabilité financière et des cycles d’endettement potentiellement déstabilisateurs. Atif Mian et Amir Sufi (2014) ont conclu que les répercussions de l’endettement des ménages américains ont pu être suffisamment importantes pour expliquer l’effondrement des prix immobiliers et de la consommation en biens durables que l’on a pu observer lors de la récente crise. Vu le rôle qu’a joué l’endettement dans les différentes crises financières qui ont émaillé l'histoire, Lo et Rogoff estiment que seul l’effacement de l’excès d’endettement accumulé avant la crise marque véritablement la fin de cette dernière. En effet, Schularick et Taylor (2012) et Carmen et Vincent Reinhart (2011) ont constaté que l’endettement tend à chuter significativement avant que la crise s’achève.

Lo et Rogoff se sont alors demandé si le surendettement d’après-crise (notamment en termes de dette publique, de dette privée et de dette externe) continue de freiner la reprise de l’activité. Ils rappellent que les dernières années ont été marquées par une forte hausse de la dette publique, du crédit domestique et de la dette externe (en pourcentage du PIB). Les niveaux de dette restent ainsi élevés par rapport à leurs niveaux de 2008. La dette publique brute a augmenté pour l’ensemble de l’échantillon qu’ils observent. Si l’endettement du secteur financier s’est globalement réduit, c’est précisément au prix d’une hausse de l’endettement public. La dette des institutions financières a augmenté pour le Japon et la zone euro depuis 2008. Dans plusieurs pays, les ménages gardent des niveaux de dette aussi élevés qu’avant la crise ; seuls les Etats-Unis, et dans une moindre mesure le Royaume-Uni, ont connu un désendettement significatif des ménages. Dans certains pays et en particulier en Europe, le surendettement des entreprises s’est traduit par une explosion de prêts non performants ; ces derniers limitent la profitabilité des banques et leur capacité à accorder des prêts, ce qui se révèle nuisible pour l’ensemble du secteur financier et pour le financement de l’activité réelle. De leur côté, Luigi Buttiglione, Philip Lane, Lucrezia Reichlin et Vincent Reinhart (2014) avaient affirmé que plusieurs pays sont peut-être piégés dans un cercle vicieux : le surendettement freine la croissance, ce qui complique le désendettement et entretient par là la faiblesse de la croissance. Lo et Rogoff concluent ainsi que, même si la phase la plus douloureuse du désendettement est passée, l’endettement reste toujours excessif, ce qui pèse sur la reprise. Il est par conséquent difficile de discerner clairement les effets de différentes tendances de long terme sur la croissance économique.

 

Références

BAKER, Scott, & Nicholas BLOOM & Steven J. DAVIS (2012), « Has economic policy uncertainty hampered the recovery? », Becker Friedman Institute for Research In Economics, working paper, n° 2012-003.

BUTTIGLIONE, Luigi, Philip R. LANE, Lucrezia REICHLIN & Vincent REINHART (2014), « Deleveraging, what deleveraging? », 16ème rapport de Genève sur l’économie mondiale. Traduction partielle sur Annotations.

DELONG, Brad, & Lawrence SUMMERS (2012), « Fiscal policy in a depressed economy », Brookings Papers on Economic Activity, vol. 44, n° 1.

GORDON, Robert (2012), « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », NBER, working paper, n° 18315, août.

LO, Stephanie, & Kenneth ROGOFF (2015), « Secular stagnation, debt overhang and other rationales for sluggish growth, six years on », BRI, working paper, n° 482, janvier.

MIAN, Atif, & Amir SUFI (2014), House of Debt: How They (and You) Caused the Great Recession, and How We Can Prevent It from Happening Again.

REINHART, Carmen, & Vincent REINHART (2011), « After the fall », NBER, working paper, n° 16334, septembre.

REINHART, Carmen, & Kenneth ROGOFF (2009a), « The aftermath of financial crises », in American Economic Review, n° 99 mai.

REINHART, Carmen, & Kenneth ROGOFF (2009b), This Time Is Different: Eight Centuries of Financial Folly. Traduction française, Cette fois, c'est différent. Huit siècles de folie financière.

ROMER, Christina D., & David H. ROMER (2014), « New evidence on the impact of financial crises », 14 octobre.

SCHULARICK, Moritz, & Alan TAYLOR (2010), « Credit booms gone bust: monetary policy, leverage cycles, and financial crises: 1870–2008 », in American Economic Review, vol. 102, n° 2, avril.

SUMMERS, Lawrence (2013), « Secular stagnation », discours prononcé au FMI, novembre.

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14 février 2015 6 14 /02 /février /2015 11:16

Comme le rappelle Dani Rodrik (2015a), le monde est en quelque sorte le produit de l’industrialisation. En effet, c’est la Révolution industrielle qui a été à l’origine, au dix-neuvième siècle, de la Grande Divergence des niveaux de vie entre, d’un côté, les pays européens et les Etats-Unis et, de l’autre, le reste du monde, en permettant aux premiers de connaître enfin une croissance soutenue de la productivité. Plus récemment, au vingtième siècle, l’industrialisation permit également à certains pays comme le Japon ou encore plus tard la Corée du Sud et Taïwan, de décoller et de rejoindre le club des pays riches. Plus précisément, pour Rodrik, l’industrialisation contribue à la croissance pour deux raisons. D’une part, elle entraîne une réallocation de la main-d’œuvre des campagnes vers les usines urbaines, où la productivité est à la plus forte. D’autre part, l’industrie manufacturière tend à connaître la plus forte croissance de la productivité à moyen et long terme que les autres secteurs. Elle constitue le secteur le plus avancé technologiquement, marqué par une convergence inconditionnelle.

L’industrialisation a eu également des répercussions en-dehors de la seule économie. Elle est notamment à l’origine d’une nouvelle stratification de la société (entre une classe laborieuse et une classe capitaliste), ainsi que de l’émergence de syndicats et de mouvements politiques qui remirent en cause les élites traditionnelles. Les partis politiques de masse ont traditionnellement été un sous-produit de l’industrialisation. Cette dernière a ainsi joué un rôle déterminant dans l’histoire de l’Europe et des Etats-Unis en façonnant les Etats modernes et en promouvant les politiques démocratiques.

L’industrialisation ne se poursuit toutefois pas indéfiniment. En fait, il existe une relation en forme de U inversé entre le degré d’industrialisation d’un pays et son niveau de vie : l’activité industrielle prend tout d’abord une part croissante de l’activité agrégée (ce qui correspond à l’industrialisation), puis une part décroissante de celle-ci lorsque la croissance se poursuit (ce qui correspond à la désindustrialisation), l’activité tertiaire devenant peu à peu la principale contributrice à la croissance économique.

Les pays avancés ont depuis longtemps entamé la phase de désindustrialisation. Celle-ci est particulièrement visible lorsque l’on observe la part des emplois industriels dans l’ensemble des emplois : celle-ci diminue depuis plusieurs décennies. Par contre, lorsque l’on observe la part de la production industrielle dans la production totale des pays avancés, celle-ci a baissé beaucoup plus lentement. Par exemple, la désindustrialisation a été particulièrement rapide en Grande-Bretagne : l’emploi industriel représente à peine 10 % de l’emploi total aujourd’hui, contre un tiers dans les années soixante-dix ; la valeur ajoutée réelle de l’industrie manufacturière représente moins de 15 % de la valeur ajoutée totale, contre un quart dans les années soixante-dix.

La désindustrialisation des pays à haut revenu a été longuement étudiée et elle apparaît comme une conséquence naturelle de leur développement. Ce qui est plus surprenant et moins étudié, c’est la désindustrialisation que connaissent les pays à faible revenu ou revenu intermédiaire. Ces derniers deviennent de plus en plus tôt des économies de services avant même d’avoir connu une véritable industrialisation : on parle, dans leur cas, de « désindustrialisation précoce » ou « prématurée » (premature deindustrialisation) depuis les travaux de Sukti Dasgupta et d'Ajit Singh (2006). Ce phénomène s’est en l’occurrence particulièrement accentué à partir des années quatre-vingt.

Les relations en forme de U inversé entre l’industrialisation (mesurée par la part de l’emploi industrie dans l’emploi total ou bien par la production industrielle dans l’emploi total) et le revenu se sont aplaties et rapproché de l’origine. Cela signifie que les pays manquent d’opportunités d’industrialisation de plus en plus tôt et pour des niveaux de revenu bien plus faibles que les pays qui se sont industrialisés les premiers. Les pays asiatiques ont été plutôt épargnés par cette tendance, tandis que les pays latino-américains y ont été fortement exposés. Les pays avancés ont perdu beaucoup d’emplois industriels (en particulier des emplois non qualifiés), mais la part de la production réalisée par l'industrie (mesurée à prix constants) à mieux résisté.

La désindustrialisation de l’emploi est généralement expliquée avec les taux différentiels du progrès technique. Le secteur industriel connaît habituellement une croissance de la productivité plus rapide que les autres secteurs. Lorsque l’élasticité de substitution entre la manufacture et les autres secteurs est inférieure à l’unité, la part de la main-d’œuvre employée dans l’industrie a alors tendance à diminuer. La part de la production réalisée par l’industrie va également diminuer si les pays industriels voient leur déficit commercial s’aggraver ou s’il y a un déplacement séculaire de la demande hors de l’industrie. Les études empiriques tendent effectivement à suggérer qu’un progrès technique économiseur de travail explique l’essentiel des destructions d’emplois dans l’industrie. Par contre, il n’est pas certain que le progrès technique agisse de la même manière dans les pays en développement qu’il ne le fait dans les pays avancés. Le progrès technique entraîne une baisse du prix relatif des biens manufacturés ; si ce déclin est suffisamment important, la demande de travail dans l’industrie s’en trouve déprimé. Si c’est le cas des pays avancés, ce n’est pas le cas des pays en développement, puisque ces derniers sont de petite taille et sont alors preneurs de prix sur les marchés internationaux des biens manufacturés. En fait, si les prix relatifs sont fixes, la poursuite de la croissance de la productivité dans le secteur manufacturé des pays en développement devrait en fait stimuler leur industrialisation.

La désindustrialisation prématurée des pays en développement s’explique donc par un autre facteur. Pour Rodrik, il s’agit en l’occurrence de la mondialisation des échanges. Au fur et à mesure que les pays en développement s’ouvrent aux échanges, leurs industries subissent deux choses. Ceux qui sont dénués d’avantage comparatif dans l’industrie deviennent des importateurs nets de biens manufacturés. En outre, les pays en développement sont exposés aux dynamiques des prix relatifs dans les pays avancés, si bien que les premiers « importent » la désindustrialisation des secteurs.

La désindustrialisation a depuis longtemps été un motif d’inquiétude dans les pays riches, puisqu’elle est associée à une disparition de bons emplois, à une hausse des inégalités et à un déclin de la capacité d’innovation de l’économie. La désindustrialisation (prématurée) pourrait être un plus grand problème pour les pays en développement. En effet, elle freine l’absorption de la main-d’œuvre agricole et la hausse résultante de la productivité. Par conséquent, elle réduit le potentiel de croissance économique et les possibilités de convergence de leurs niveaux de revenu avec ceux des économies avancées. Les pays en développement doivent alors découvrir de nouveaux modèles de croissance, par exemple basés sur les services : les activités informatiques et financières sont hautement productives et échangeables, si bien qu’elles peuvent jouer le rôle d’« escalateur » que joua traditionnellement l’industrie manufacturière. Toutefois, ces activités sont très intensives en compétences, alors que ces pays ont en abondance une main-d’œuvre non qualifiée.

 

Références

DASGUPTA, Sukti, & Ajit SINGH (2006), « Manufacturing, services and premature deindustrialization in developing countries: A kaldorian analysis », Université des Nations unies, research paper, n° 2006/49.

RODRIK, Dani (2013), « Unconditional convergence in manufacturing », in Quarterly Journal of Economics, vol. 128, n° 1, février.

RODRIK, Dani (2015a), « Premature deindustrialization », NBER, working paper, n° 20935, février.

RODRIK, Dani (2015b), « Premature deindustrialisation in the developing world », in VoxEU.org, 12 février.

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11 février 2015 3 11 /02 /février /2015 22:16

Durant les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, les pays avancés faisaient face à une forte inflation ; selon l’interprétation dominante, celle-ci s’expliquerait notamment par les erreurs commises par les banquiers centrales. Les autorités monétaires ont alors fait de la lutte contre l’inflation leur objectif premier et ils ont embrassé l’indépendance pour gagner en crédibilité et accroître ainsi l’efficacité de leur politique monétaire. Les pays avancés connaissent depuis les années quatre-vingt une désinflation, au point de connaître aujourd’hui une inflation excessivement faible (lowflation).

Certains banquiers centraux ont peu à peu avancé une autre explication en suggérant que le comportement de l’inflation dépendait (du moins en partie) du changement démographique. Masaaki Shirakawa (qui était à la tête de la Banque du Japon avant que Haruhiko Kuroda ne prenne sa place début 2013 avec l’arrivée de Shinzo Abe au pouvoir) a ainsi régulièrement affirmé que le vieillissement de la population pouvait générer des pressions déflationnistes amenant les agents à réviser à la baisse leurs anticipations de la croissance économique future. Les agents peuvent ignorer les implications du vieillissement pendant un temps, mais ils révisent ensuite leurs anticipations lorsqu’ils prennent conscience de son impact économique et réduisent alors leurs dépenses, notamment leurs dépenses d’investissement. Les autorités monétaires peuvent alors avoir des difficultés à compenser cette chute de la demande globale, en particulier si l’inflation était initialement faible et si les taux d’intérêt nominaux butent déjà sur leur borne inférieure zéro. Le Japon en offre une belle illustration : depuis les années quatre-vingt-dix, l’économie insulaire connaît simultanément un vieillissement rapide de sa population, une stagnation de son activité économique et des périodes de déflation. De son côté, James Bullard, le président de la Réserve fédérale de Saint-Louis, a affirmé que les personnes âgées (détenant un patrimoine financier) préféraient un plus faible niveau d’inflation que les jeunes (emprunteurs), en raison des effets redistributifs de l’inflation (amenant à des transferts de revenus des épargnants vers les emprunteurs).

Les études empiriques se sont ainsi multipliées ces dernières années pour explorer le lien entre la démographie et l’inflation, notamment au sein du FMI. En se focalisant sur le Japon, Derek Anderson, Dennis Botman et Ben Hunt (2014) ont ainsi constaté que le vieillissement démographique générait des pressions déflationnistes en freinant la croissance économique. Ils suggèrent toutefois que ce risque déflationniste n’est pas inéluctable, à condition que la politique monétaire parvienne à le compenser. Or Patrick Imam (2013) avait précédemment montré que le vieillissement démographique affaiblissait l’efficacité de la politique monétaire ; cette dernière doit être de plus en plus agressive pour espérer autant influencer l’économie qu’auparavant. L’intérêt des macroéconomistes pour les liens qu’entretiennent la démographie avec la croissance économique et l’inflation s’est encore récemment accentué lorsque Larry Summers a avancé l’hypothèse que les pays avancés connaissaient actuellement une stagnation séculaire ; le vieillissement démographique conduirait à une insuffisance chronique de la demande globale.

Mikael Juselius et Előd Takáts (2015) ont entrepris une analyse empirique systématique du lien entre démographie et inflation. Ils ont cherché à déceler un tel lien à partir d’un échantillon de 22 pays avancés sur la période s’étalant entre 1955 et 2010. Ils constatent une relation stable statistiquement et économiquement significative entre la structure en âge de la population et l’inflation. Ainsi, la démographie serait liée l’inflation, tant directement qu’indirectement via son impact sur les anticipations d’inflation. Selon les estimations de Juselius et Takáts, la démographie pourrait expliquer environ un tiers de la variation du taux d’inflation et l’essentiel de la désinflation entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt-dix. Leurs estimations suggèrent en outre l’existence d’une relation en forme de U : la part des dépendants (c’est-à-dire de jeunes et de personnes âgées) dans la population est positivement corrélée avec le taux d’inflation, tandis que la part des cohortes en âge de travailler dans la population est négativement corrélée avec le taux d’inflation.

Pour tenter de comprendre pourquoi les autorités monétaires ne parviennent à compenser l’impact déflationniste du changement démographique, Juselius et Takáts ont alors étendu leur analyse à la politique monétaire. Ils ont alors décelé une relation significative entre la démographie et la politique monétaire, mais cette relation n’est cette fois-ci pas stable dans le temps. Avant le milieu des années quatre-vingt, la politique monétaire amplifiait l’impact inflationniste de la dynamique démographique ; les taux d’intérêt réels étaient faibles précisément parce que les pressions inflationnistes associées à la démographie étaient fortes. Cette dynamique s’est inversée au milieu des années quatre-vingt, lorsque la politique monétaire atténua les pressions associées à la démographie, sans toutefois parvenir à les faire disparaître. Au cours de cette seconde période, les taux d’intérêt ont été faibles lorsque les pressions inflationnistes associées à la démographie étaient également faibles. Dans la mesure où les pressions associées à la démographie étaient inflationnistes au cours de la première période étudiée, puis déflationnistes lors de la seconde, les taux d’intérêt réels ont été relativement faibles tout au long de ces deux périodes. En fait, les banques centrales n’ont su atténuer les pressions associées à la démographie que lorsque cela n’exigeait pas des taux d’intérêt réels élevés.

 

Références

ANDERSON, Derek, Dennis BOTMAN & Ben HUNT (2014), « Is Japan’s population aging deflationary? », FMI, working paper, n° 14/139, août.

IMAM, Patrick (2013), « Shock from graying: Is the demographic shift weakening monetary policy effectiveness », FMI, working paper, n° 13/191, septembre. Traduction française disponible sur Annotations.

JUSELIUS, Mikael, & Előd TAKÁTS (2015), « Can demography affect inflation and monetary policy? », BRI, working paper, n° 485, février.

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