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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 13:04

Avant la Grande Récession, l’économie mondiale se caractérisait par d’impressionnants déséquilibres des comptes courants (cf. graphique 1). En 2008, l’excédent courant de la Chine et le déficit courant des Etats-Unis représentaient respectivement 0,7 % et 1 % du PIB mondial (cf. graphique 2). La même année, l’ensemble des excédents des pays excédentaires (notamment la Chine, l’Allemagne, le Japon et les pays exportateurs de pétrole) représentait plus de 2,5 % du PIB mondial et l’ensemble des déficits des pays déficitaires (notamment les Etats-Unis, la zone euro à l’exception de l’Allemagne et les pays émergents non asiatiques) représentait aussi environ 2,5 % du PIB mondial. 

GRAPHIQUE 1  Déséquilibres mondiaux de compte courant (en % du PIB mondial)

Desequilibres-globaux--global-imbalances--The-Ec-copie-1.png

source : The Economist (2013)

Avant qu’éclate la crise financière, plusieurs auteurs avaient suggéré que ces amples déséquilibres pouvaient être soutenables à long terme. Michael P. Dooley, David Folkerts-Landau et Peter Garber (2003) considèrent par exemple que le fonctionnement normal du système monétaire international implique un centre déficitaire et une périphérie excédentaire. Selon eux, les pays émergents d’Asie (en particulier la Chine) joueraient précisément le rôle de périphérie aujourd’hui. Ils peuvent durablement poursuivre une stratégie de croissance fondée sur les exportations en sous-évaluant leurs taux de change et en maintenant des contrôles de capitaux. L’accumulation des réserves de devise leur permet alors de contenir l’appréciation de leur taux de change. De plus, en accumulant des créances sur les Etats-Unis, la Chine ne voit pas son développement être contraint par l’inefficacité de ses institutions financières domestiques. Les économies du centre, en particulier les Etats-Unis, doivent par contre opter pour la libéralisation financière et laisser leur taux de change flotter. La stratégie des pays périphériques leur profite également, car la demande virtuellement illimitée pour leurs actifs financiers leur permet de vivre au-dessus de leurs moyens en maintenant durablement de larges déficits courants. Certes, à un certain moment, les pays émergents d’Asie se seront suffisamment développés pour accéder au club des pays avancés. Ils procéderont alors eux-mêmes à une libéralisation financière et laisseront flotter leurs taux de change plus librement. Mais à cet instant-ci, ce sera au tour d’un autre ensemble de pays en développement d’adopter la même stratégie de croissance fondée sur les exportations et de devenir la nouvelle périphérie dans le système monétaire international. 

GRAPHIQUE 2  Comptes courants de la Chine et des Etats-Unis

Aizenman-Chine-Etats-Unis-comptes-courants.png

source : Aizenman et alii (2013)

Les tenants du mercantilisme moderne ont une vision plus nuancée pour expliquer la persistance des déséquilibres globaux dans les années deux mille. Joshua Aizenman et Jaewoo Lee (2005, 2006) ont confirmé que l’accumulation de réserves de change qui accompagne les excédents de compte courant était dominée par un motif de précaution avant les années deux mille : en l’occurrence, la crise asiatique de 1997 a conduit les pays émergents d’Asie à adopter un comportement plus prudent et à accumuler suffisamment de réserves de devises pour s’assurer contre la volatilité des flux de capitaux. Mais les deux auteurs notent par la suite un changement de régime. Par exemple, les réserves de change de la Chine, qui oscillaient sans réelle tendance autour de 15 % du PIB durant la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, ont connu une croissance annuelle de 4 % après 2000, pour finalement représenter près de 45 % du PIB en 2007 (cf. graphique 3). Pour Aizenman et Lee, le mercantilisme monétaire explique précisément ce changement de régime : la Chine a commencé à accumuler des excédents de compte courant et à accroître son stock de réserves de change pour stimuler ses exportations et ainsi sa croissance économique. 

GRAPHIQUE 3  Réserves de change de la Chine (en % du PIB)

Aizenman--Chine--reserves-de-change.png

source : Aizenman et alii (2013)

Tous les auteurs n’ont toutefois pas perçu les déséquilibres globaux comme soutenables. Maurice Obstfeld et Kenneth Rogoff (2005) craignaient notamment de voir les déséquilibres se dénouer violemment. C’est finalement la crise mondiale qui remit en cause les déséquilibres de compte courant. Suite à l’éclatement de la bulle immobilière, les agents privés aux Etats-Unis et dans les autres pays avancés ont cherché à se désendetter, si bien qu’ils ont réduit leurs dépenses et notamment leur demande d’importations. Les déficits des économies avancées ont donc été poussés à la baisse. Le reflux des flux financiers internationaux au cours d'une crise financière a pu également déprécier leurs taux de change réels, ce qui contribua également à réduire les déficits courants. Avec le déclin de la demande extérieure, la Chine a pris conscience de l’extrême dépendance de sa croissance aux exportations et a commencé à promouvoir sa demande domestique, en adoptant une relance budgétaire et en alimentant un boom du crédit. Elle a également laissé son taux de change s’apprécier et commencé à diversifier ses réserves de change. 

Par conséquent, la crise mondiale a conduit à une forte réduction des déséquilibres globaux. Depuis 2009, l’ensemble des excédents des grands pays excédentaires a représenté moins de 2 % du PIB mondial (cf. graphique 1). L’ensemble des déficits des grands pays déficitaires a également été inférieure à 2 % du PIB mondial. Entre 2007 et 2012, l’excédent courant de la Chine est passé de 10,1 % à 2,3 % du PIB (cf. graphique 2). Sur la même période, le déficit courant des Etats-Unis est passé de 5 % à 2,8 % du PIB., l’excédent chinois et le déficit américain devraient représenter respectivement 0,32 % et 0,64 % du PIB mondial à la fin de l’année 2013. 

Si plusieurs études ont cherché à préciser le lien entre les déséquilibres globaux et la récente crise mondiale, peu d'analyses ont observé l'évolution des premiers depuis que celle-ci a éclaté. Joshua Aizenman, Yothin Jinjarak et Nancy Marion (2013, 2014) ont observé un échantillon de 95 pays, dont 30 pays-membres de l’OCDE. Ils constatent que la crise financière a entraîné un changement structurel dans la relation entre les comptes courants et les facteurs économiques : avant la crise financière, les excédents courants étaient positivement corrélés avec les réserves de change, avec les échanges extérieurs et avec le déficit courant des Etats-Unis ; après la crise financière, les deux premières corrélations disparaissent et la corrélation avec la demande américaine devient négative. Les Etats-Unis ne semblent ainsi plus jouer un rôle important comme demandeur en dernier ressort depuis 2006. Le rééquilibrage des comptes courants s’est également accompagné de profonds changements dans l’accumulation des réserves de change. L’inévitable appréciation du renminbi va déprimer davantage le rendement des actifs libellés en dollars. Le déclin dans le stock de devises détenu par la Chine que l’on a pu observer suite à la crise est essentiellement impulsé par une nouvelle vague d’IDE à destination des pays en développement. Il s’explique précisément par une volonté de détenir des actifs étrangers à plus hauts rendements. Puisque, d’une part, la Chine est incitée à ne plus fonder sa croissance économique sur la demande extérieure et, d’autre part, la détention de réserves de change se révèle coûteuse, Joshua Aizenman et ses coauteurs en concluent que la persistance d’excédents modérés et le faible rythme d’accumulation de change pourraient désormais constituer des caractéristiques durables de l’économie chinoise. 

 

Références

AIZENMAN, Joshua, Yothin JINJARAK & Nancy P. MARION (2013), « China's growth, stability, and use of international reserves », NBER Working paper, n° 19739.

AIZENMAN, Joshua, Yothin JINJARAK & Nancy P. MARION (2014), « Why current accounts fell post-crisis? China's growth, stability, and use of international reserves », in vox, 5 janvier. 

AIZENMAN, Joshua, & Jaewoo LEE (2005), « International reserves: Precautionary vs. mercantilist views, theory and evidence », IMF working paper, n° 05/198, octobre.

AIZENMAN, Joshua, & Jaewoo LEE (2006), « Financial versus monetary mercantilism: Long-run view of large international reserves hoarding », IMF working paper, n° 06/280, décembre.

BRENDER, Anton & Florence PISANI (2007), Les Déséquilibres financiers internationaux, La Découverte.

DOOLEY, Michael P., David FOLKERTS-LANDAU & Peter GARBER (2003), « An essay on the revived Bretton Woods system », NBER working paper, n° 9971, septembre.

OBSTFELD, Maurice, & Kenneth ROGOFF (2005), « Global current account imbalances and exchange rate adjustments », Brookings Papers on Economics Activity, n° 2005/1.

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2 janvier 2014 4 02 /01 /janvier /2014 19:24

A l’occasion du centième anniversaire de la Réserve fédérale, Ben Bernanke (2013) est revenu sur cinq grands épisodes historiques pour montrer les diverses évolutions qui ont bouleversé l’institution et sa conduite de la politique monétaire. Il se penche en l’occurrence sur la Grande Expérimentation qu’a constitué la création de la Fed, la Grande Dépression des années trente, la Grande Inflation des années soixante-dix, la Grande Modération et enfin la récente Grande Récession. Il renouvelle un exercice réalisé il y a peu par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2013), mais son article a la particularité de constituer le point de vue d’un insider

La banque centrale américaine a été créée en 1913 pour préserver la stabilité financière. Jusqu’alors, l’histoire américaine connaissait régulièrement des épisodes d’instabilité financière. L’épisode le plus récent avait été la panique de 1907. La Fed a reçu alors pour mission de fournir suffisamment de liquidité aux banques à travers la fenêtre d’escompte, ce qui doit en principe inciter les banques commerciales à assouplir les conditions de financement qu’elles imposent à leurs propres clients. Les législateurs n’ont toutefois pas permis à la Fed de jouer pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort, notamment en restreignant la liste de collatéraux que la banque centrale pouvait accepter. La Première Guerre mondiale éclate quelques mois après la création de la Fed. Son mandat est modifié pour qu’elle puisse participer à l’effort de guerre. Ce n’est qu’à partir de 1923 qu’elle retourne à sa mission originelle. 

La politique monétaire que suit la Fed lors de ses premières années fut marquée par le régime de l’étalon-or et l’influence de la doctrine des effets réels (real bills). Par exemple, selon celle-ci, la banque centrale doit assurer sa fonction en répondant aux besoins en liquidité des entreprises. La Fed a par conséquent eu tendance à accroître la base monétaire aux moments mêmes où l’économie faisait face à une surchauffe. Elle a donc eu tendance à accroître, plutôt qu’à réduire, la volatilité de l’activité et des prix. 

La Grande Dépression marque l’échec de la Fed à maintenir la stabilité financière. La Réserve fédérale a certes fourni de larges volumes de liquidité au système financier après le krach boursier de 1929, mais elle ne sut pas répondre aux paniques bancaires des années trente. A de nombreuses reprises à la fin des années vingt ou au cours des années trente, la Fed a opté soit pour l’inaction, soit pour un resserrement monétaire face à la contraction de l’activité et aux turbulences financières. Or, la multiplication des faillites bancaires et l’effondrement du crédit qui en résultèrent contribuèrent à aggraver et prolonger la contraction de l’activité. Selon Bernanke, les banquiers centraux ne disposaient pas du cadre intellectuel nécessaire pour comprendre ce qui se passait et ce qui devait être fait. A cette époque prévalaient encore la doctrine des effets réels, mais aussi la doctrine liquidationniste. Selon cette dernière, les dépressions assainissent l’économie ; il faudrait par conséquent les laisser arriver à leur terme pour renouer avec une croissance durable. 

Suite à l’expérience de la Grande Dépression, les objectifs de la Fed ont été révisés : le plein emploi est devenu un objectif primordial de la politique économique. Malgré de nombreuses réformes pour améliorer la gouvernance et l’indépendance de la Fed, le Trésor continua d’avoir une très forte influence sur les décisions de la banque centrale, notamment en l’incitant à garder les taux directeurs à un faible niveau durant la Seconde Guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre pour réduire les coûts d’emprunt du gouvernement. Une fois son indépendance retrouvée, la Fed se concentra sur ses objectifs de stabilité des prix et de plein emploi. Le taux d’intérêt sur les fonds fédéraux devint un outil privilégié dans la mise en œuvre de sa politique monétaire. L’inflation resta globalement faible et stable durant les années cinquante.

A partir du début des années soixante toutefois, l’inflation accélère fortement. Pour Bernanke, les autorités monétaires faisaient alors preuve d’un trop grand optimisme quant à la capacité de l’économie américaine à assurer une croissance rapide sans inflation. Et malgré l’évidente accélération de l’inflation, la Fed n’a pas véritablement cherché à la contrôler. Ses responsables estimaient que l’inflation s’expliquait alors par des facteurs structurels et ils pensaient que les gains associés à une faible inflation ne justifiaient pas les coûts pour l’obtenir. Toujours selon Bernanke, le manque d’engagement des banquiers centraux à combattre l’inflation a contribué à déstabiliser les anticipations d’inflation, si bien que l’inflation a pu atteindre deux chiffres lors des années soixante-dix. La nomination de Paul Volcker à la présidence de la Fed en 1979 marque alors un profond tournant. Les banquiers centraux considèrent désormais l’inflation comme un phénomène monétaire. Il leur apparaît à présent essentiel d’ancrer les anticipations d’inflation pour assurer la stabilité des prix, notamment en rendant la banque centrale plus crédible. Pour enfin juguler l’inflation, Volcker accroît fortement le taux directeur, ce qui fait basculer un temps les Etats-Unis dans la récession, mais permet de stabiliser efficacement les prix.

Suite à la désinflation résussie de Volcker, les Etats-Unis ont connu une période de « Grande Modération » (Great Moderation) : entre 1984 et 2007, la volatilité de la croissance économique s’est fortement réduite et l’économie américaine est restée au plus proche du plein emploi ; parallèlement, le taux d’inflation et sa volatilité sont restés également faibles. Bref, la Fed a su respecter son double mandat pendant plus de deux décennies. Même si elle est intervenue à plusieurs reprises pour maintenir la stabilité financière, notamment durant le krach boursier de 1987 ou lorsque la bulle internet a éclaté en 2000, la Fed a eu tendance à délaisser la question de la stabilité financière, considérant que la stabilité des prix suffisait à assurer la stabilité macroéconomique. A l’époque, les macroéconomistes restaient très influencés par le théorème de Modigliani-Miller, duquel ils conclurent qu’il n’était pas nécessaire de prendre en compte les détails de la structure du système financier pour analyser le comportement de l’économie dans son ensemble.

Au cours de la Grande Modération, la Fed a gagné en transparence et amélioré sa communication pour être plus crédible. Durant les années quatre-vingt, les responsables de la Fed devinrent plus explicites quant aux objectifs et stratégies suivis par la banque centrale. Depuis 1994, la Fed publie une déclaration après chaque réunion du comité de politique monétaire. Dans les années qui suivirent, ces déclarations sont devenues plus détaillées. Pour Bernanke, ces évolutions ont contribué à mieux ancrer les anticipations et ainsi permis de gérer plus efficacement l’inflation. La plus grande stabilité des prix qui en a résulté s’est en retour traduite par une plus grande stabilité macroéconomique. Bernanke considère ainsi que la politique monétaire a joué un rôle fondamental dans la Grande Modération (1).

La crise du crédit subprime démontre toutefois que la stabilité des prix ne suffit pas pour maintenir la stabilité macroéconomique. La stabilité économique observée lors de la Grande Modération a peut-être stimulé des prises de risque excessives. Une longue période de prospérité amène les participants au marché et les régulateurs financiers à prêter de moins en moins attention aux risques associés à l’endettement. Ainsi, non seulement la stabilité financière est une condition nécessaire à la stabilité macroéconomique, mais cette dernière peut paradoxalement remettre en cause la première. Bernanke en conclut que même en période de prospérité, les autorités monétaires doivent considérer le maintien de la stabilité financière comme aussi importante que le maintien de la stabilité macroéconomique. 

Bernanke note que la Fed semble être quelque peu revenue ces dernières années à son mandat originel, celui consistant à prévenir les paniques financières. La récente crise financière et la Grande Récession qui l’a suivie ont rappelé aux banquiers centraux que les pays avancés restent exposés à l’instabilité financière et que celle-ci peut se révéler particulièrement dommageable à l’activité. Une banque centrale peut contribuer à la stabilité financière en jouant pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort ; la Fed a ainsi mis en place de nombreux programmes de fourniture de liquidité pour contenir la récente crise mondiale. Toutefois, elle ne doit pas se contenter de réagir aux crises financières, mais chercher également à les prévenir. La Fed et les autres régulateurs financiers ont ainsi renforcé la résilience des institutions et marchés financiers, notamment à travers la régulation macroprudentielle.

Ces dernières années, la Fed a continué à gagner en transparence. Non seulement elle détaille ses prévisions quant à l’évolution future de l’économie, mais elle précise aussi l’évolution probable de sa politique monétaire, en particulier la trajectoire de son taux directeur. Il s’agit de renforcer l’efficacité de la politique monétaire, notamment lors des récessions. En effet, lorsque l’économie se situe dans une trappe à liquidité, la banque centrale a beau fixer son taux directeur au plus proche de zéro, sa politique monétaire reste excessivement restrictive pour ramener l’économie au plein emploi. Elle doit alors utiliser des mesures « non conventionnelles » pour approfondir l’assouplissement monétaire. D’une part, la Réserve fédérale a cherch à influencer les anticipations à travers la pratique du forward guidance : si les agents privés anticipent une poursuite des politiques accommodantes une fois que l’économie est sortie de la trappe à liquidité, ils sont incités à accroître dès à présent leurs dépenses, ce qui stimule l’activité. D’autre part, la Fed a cherché à diminuer les taux de long terme à travers ses achats d’actifs à grande échelle, une nouvelle fois de manière à stimuler l’investissement, donc l’activité.

 

(1) Ce point de vue n’est pas partagé par tous. Pour certains, la plus grande stabilité des prix ces dernières décennies s’explique avant tout par l’intégration des pays émergents d’Asie (en particulier de la Chine) au commerce international : leur offre de produits bon marché et la plus forte concurrence par laquelle leur émergence s’est traduite sur les marchés internationaux ont exercé une pression à la baisse sur les prix. Quant à la moindre volatilité de la croissance économique, elle s’expliquerait tout simplement selon certains… par la chance (good luck).

 

Références

BERNANKE, Ben S. (2013), « A century of US central banking: Goals, frameworks, accountability », in Journal of Economic Perspectives, vol. 27, n° 4.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2013), « Shifting mandates: The Federal Reserve’s first centennial », NBER working paper, n° 18888, mars 2013.

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29 décembre 2013 7 29 /12 /décembre /2013 21:13

Selon une idée largement répandue, les pays développés seraient structurellement différents des pays émergents, si bien qu’ils n’auraient pas à mettre en place les mêmes politiques économiques que ces derniers. Jusqu’en 2007, beaucoup estimaient que les économies avancés étaient immunisées contre l’instabilité financière. Lorsque les turbulences sur le marché du crédit subprime finirent par menacer l’ensemble du système financier, les autorités publiques restaient convaincues qu’elles sauraient en limiter les répercussions sur l’activité réelle. Alors que l’économie mondiale est sortie de la récession il y a bientôt cinq ans, la reprise reste particulièrement lente dans les économies avancées et leurs dettes souveraines atteignent des niveaux sans précédents. Les autorités publiques considèrent qu’elles sont capables de maintenir l’endettement sur une trajectoire soutenable grâce à une combinaison d’austérité et de croissance. Elles considèrent qu’elles n’ont pas à utiliser les remèdes habituellement adoptés par les pays émergents, en l’occurrence les restructurations et conversions de dette, l’inflation, des contrôles de capitaux et d’autres formes de répression financière.

C’est à cet ensemble d’idées reçues que se sont attaqués Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2013). Les auteurs observent deux siècles de crises pour en tirer quelques enseignements ou, plutôt, pour rappeler certaines leçons que les gouvernements, les banquiers centraux et autres régulateurs financiers ont eu tendance à oublier.

GRAPHIQUE 1  Fréquence des crises bancaires, des crises de devise, des crises de dette souveraine, des crises d’inflation et des krachs boursiers dans le monde

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source : Reinhart et Rogoff (2013)

Ils rappellent tout d’abord que de nombreuses crises financières, dans les pays émergents, comme dans les pays avancés, résultent d’une « libéralisation financière devenue folle ». Les phases de forte croissance du secteur financier sont synchrones avec des hausses rapides de l’endettement privé. Inversement, les crises sont relativement peu fréquentes lors des périodes de répression financière, en particulier entre 1945 et 1979 (cf. graphique 1). La répression financière inclut le crédit consenti au gouvernement par des institutions domestiques captives, le plafonnement des taux d’intérêt, le contrôle des mouvements transfrontaliers de capitaux et généralement un renforcement des liens entre le gouvernement et les banques domestiques. Les autorités publiques adoptent souvent ces mesures pour dissimuler une restructuration de dette. Comme le soutiennent Reinhart et Rogoff, elles se révèlent en outre particulièrement efficaces pour maintenir la stabilité financière : parce qu’elles découragent les excès financiers, elles sont historiquement associées à une moindre fréquence des crises financières.

GRAPHIQUE 2  Dette publique brute en % du PIB

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source : Reinhart et Rogoff (2013)

Les deux auteurs donnent ensuite un aperçu de l’ampleur des problèmes d’endettement auxquels font aujourd’hui face les économies avancées, tout en soulignant que les diverses mesures ne peuvent que les sous-estimer. Par exemple, le fardeau de la dette publique s’est significativement accru avec les déficits budgétaires creusés dans le sillage de la Grande Récession (cf. graphique 2). Si les pays émergents ont commencé à se désendetter à la fin des années quatre-vingt-dix (en l’occurrence, suite à la crise asiatique), la dette publique atteint dans les pays avancés des niveaux qui n’avaient pas été vus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

GRAPHIQUE 3  Dette externe brute en % du PIB pour 22 pays avancés et 25 pays émergents

Reinhart-Rogoff--dette-externe.png

source : Reinhart et Rogoff (2013)

Reinhart et Rogoff considèrent également la dette externe comme un indicateur important pour juger de la vulnérabilité des économies (cf. graphique 3). Récemment, les pays émergents ont eu tendance à réduire leur dette externe, tandis que celle-ci augmentait dans les pays avancés, en particulier au sein de la zone euro. Il s’agit d’un indicateur important car les frontières entre dette publique et dette privée ont tendance à se brouiller lors d’une crise. Si Reinhart et Rogoff jugent la distinction entre dette externe et la dette domestique importante, c’est parce que les pays disposent d’une plus large gamme d’options de défaut avec une dette domestique émise en devise domestique qu’avec une dette externe libellée en devises étrangères, notamment la répression financière et l’inflation. 

GRAPHIQUE 4  Crédit domestique privé en % du PIB pour 22 pays avancés et 28 pays émergents

Reinhart-Rogoff--dette-privee.png

source : Reinhart et Rogoff (2013)

Enfin, les deux auteurs observent l’évolution de la dette du secteur privée. Celle-ci a véritablement explosé avant la crise financière (cf. graphique 4). A long terme, elle présente une tendance fortement haussière en raison de la globalisation et de l’innovation financières. Avec l’assouplissement des politiques conjoncturelles et le creusement des déficits publics, le désendettement privé a été limité dans les économies avancées, ce qui a certes permis de réduire la gravité de la crise mondiale, mais retarde l’instant où le désendettement arrivera à son terne.

Lorsqu’ils observent ces deux derniers siècles, Reinhart et Rogoff constatent que c’est à travers la croissance économique, l’austérité budgétaire, le défaut ou la restructuration, l’inflation et la répression financière que les pays ont su durablement réduire leurs ratios dette sur PIB. Si la première solution est la plus populaire, c’est également la plus difficile à mettre en œuvre. Les perspectives de croissance semblent particulièrement faibles dans les économies avancées. Actuellement, les décideurs politiques des pays avancés ont eu tendance à écarter la restructuration et la répression financière comme solutions, alors même que cette dernière était intensivement utilisée au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Les périodes au cours de l’histoire où la dette publique atteignait des niveaux élevés ont été marquées par de fréquentes restructurations de dette.

Reinhart et Rogoff se penchent en particulier sur un épisode de l’entre-deux-guerres au cours duquel les défauts et effacements de dette ont joué un rôle important dans l’allègement des ratios d’endettement. Plusieurs pays européens s’étaient fortement endettés vis-à-vis des Etats-Unis lors de la Première Guerre mondiale et surtout immédiatement après celle-ci. En 1934, ils obtiennent auprès des Etats-Unis une annulation de leur dette. Le montant de ces allègements de dette a été considérable. En l’occurrence, la France et le Royaume-Uni ont pu réduire d’un quart leur ratio dette sur PIB. Ces defaults collectifs sur la dette de la Première Guerre mondiale ont représenté entre 15 et 20 % du PIB américain. Les Etats-Unis avaient eux-mêmes fait défaut sur leur dette souveraine en avril 1933. Ces épisodes ont permis de fortement réduire le fardeau d’endettement que les pays avancés avaient accumulé au sortir de la Première Guerre mondiale.

Comme les montants d’endettement sont aujourd’hui plus élevés que durant l’entre-deux-guerres, Reinhart et Rogoff jugent que les pays avancés, en particulier ceux de la périphérie européenne, devront nécessairement procéder à d’amples restructurations de dette. En l'occurrence, une mutalisation des dettes souveraines allègerait fortement le fardeau des pays européens. En persistant à ne voir l'austérité budgétaire et le retour hypothétique de la croissance comme les deux seules options possibles, les autorités publiques risquent de perdre la crédibilité qu'elles désirent souvegarder et finalement d'accroître les coûts de l'ajustement à venir. Pour l'ensemble des pays développés, le retour à la répression financière apparaît non seulement nécessaire pour faciliter le processus de désendettement en maintenant les taux d’intérêt au niveau le plus faible possible, mais il permettra également de protéger les économies d’une nouvelle poussée d’instabilité financière. Pour les deux auteurs, les économies avancées semblent effectivement s'orienter vers la répression financière depuis la Grande Récession.

 

Référence

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2013), « Financial and sovereign debt crises: Some lessons learned and those forgotten », IMF working paper, décembre.

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