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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 09:28

Pour certains, la récente amélioration de la croissance économique en zone euro démontre la réussite des plans d’austérité. Selon eux, les mesures d’austérité auraient suscité de la confiance, ce qui aurait poussé les agents privés à accroître leurs dépenses de consommation et d’investissement : c’est l’idée de « consolidation expansionniste ». Pourtant, selon Paul De Grauwe et Yuemei Ji (2013), rien ne certifie que le resserrement des politiques budgétaires ait permis aux gouvernements d'assurer plus facilement le service de leur dette. Au contraire, il a fortement contribué à l’envolée des ratios de dette publique sur PIB (cf. graphique 1).

GRAPHIQUE 1  Evolution du ratio de dette publique brute sur PIB (en % du PIB)

De Grauwe et Ji, ratios dette publique sur PIB, pays périp

source : De Grauwe et Ji (2013)

Au cours de la récession qui a prévalu dans les pays périphériques, les agents privés ont cherché à réduire leurs niveaux de dette. Ils ont alors réduit leurs dépenses. Dans une telle situation, qualifiée de « récession de bilan » par Richard Koo (2011), l’Etat devrait normalement assouplir sa politique budgétaire pour amortir les répercussions du choc de demande sur l’activité et permettre aux agents privés de pleinement se désendetter. Or, à partir de 2010, les Etats des pays périphériques ont au contraire cherché à consolider leurs finances publiques, sous la pression des marchés obligataires et surtout des autres Etats-membres de la zone euro ; ils ont réduit leurs dépenses à l'instant même où les ménages et les entreprises baissaient les leurs. Les autorités publiques ont alors aggravé la récession au lieu de l’atténuer, au point que certains pays ont connu une contraction de l’activité aussi ample que celle de la Grande Dépression.

GRAPHIQUE 2  Croissance cumulative du PIB (en %) et degré d'austérité entre 2009 et 2012 (en % du PIB)

De Grauwe et Ji, croissance du PIB et degré d'austérité,

source : De Grauwe et Ji (2013)

De Grauwe et Ji montrent que le déclin du PIB est fortement corrélé avec le degré d’austérité budgétaire (qu’ils mesurent en utilisant les variations du budget primaire corrigé des variations conjoncturelles) (cf. graphique 2). Selon leurs propres estimations, un Etat devait réduire de 2 % ses dépenses publiques pour améliorer son solde budgétaire de 1 %, or avec un multiplicateur budgétaire qu’ils estiment à 1,4 (une valeur proche des estimations récemment obtenues par le FMI), cette baisse des dépenses se traduisait par une diminution de 2,8 % du PIB. Les ratios de dette publique sur PIB n’ont pu alors que s’accroître à nouveau. Les auteurs constatent en effet une forte corrélation entre le degré d’austérité budgétaire et la hausse des ratios d’endettement (cf. graphique 3). Ainsi, alors que la crise financière de 2008 avait conduit dans un premier temps à une hausse des ratios d’endettement en raison de l’effondrement de la demande globale, les plans d’austérité expliquent pourquoi les déficits ont continué à se creuser après 2010. Le resserrement de la politique budgétaire s’est donc révélé non seulement inefficace, puisque les ratios d’endettement se sont accrus, mais il s’est alors révélé inutilement coûteux pour les économies périphériques.

GRAPHIQUE 3  Variation du ratio dette publique sur PIB (en %) et degré d'austérité (en % du PIB) entre 2009 et 2012

De Grauwe et Ji, degré d'austérité et variation-copie-1

source : De Grauwe et Ji (2013)

Pour les deux auteurs, cette situation relève du « sophisme de composition » de Keynes et les mécanismes à l'oeuvre s'apparentent à ceux de la déflation par la dette de Fisher. Un plan d’austérité se serait révélé plus efficace et moins coûteux pour l’activité si celui-ci avait été mis en œuvre isolément. Or, les Etats des périphériques (et d’autres gouvernements européens) ont cherché à consolider simultanément leurs finances publiques. En tentant de se désendetter, ils ont au contraire accru le poids de leur endettement. L’ajustement aurait été plus efficace et moins douloureux s’il avait été plus symétrique au sein de la zone euro : même si les pays périphériques devaient nécessairement resserrer leur politique budgétaire pour regagner la confiance des marchés et stabiliser les primes de risque souverain, le reste de la zone euro aurait dû accepter de laisser creuser ses déficits publics, de manière à accroître la demande extérieure des pays contraints à réduire leur demande domestique. La multiplication des plans d’austérité dans l’ensemble de l’union monétaire s’est au contraire traduite par une pression déflationniste pour ses pays-membres, ce qui a fortement compliqué la stabilisation des ratios d’endettement. 

Ainsi, l'austérité lègue aux pays de la zone euro un niveau insoutenable de dette publique. Si les pays périphériques parviennent à retrouver des conditions macroéconomiques favorables, ils devraient alors maintenir un excédent budgétaire d’au moins 4 % sur une période prolongée, comprise entre 12 et 22 ans, pour espérer réduire de moitié leur niveau de dette. Comme ces pays n’ont aujourd'hui toujours pas stabilisé leurs ratios d’endettement, les efforts qu’ils auront à fournir seront en réalité encore bien plus importants. Or, les pays périphériques risquent de ne pas supporter, sur un plan politique et social, des efforts de rigueur aussi prolongés.

Comment expliquer la récente amélioration de l’activité économique dans la zone euro ? Selon De Grauwe et Ji, elle résulte du programme OMT que la BCE a annoncé en mai 2012 et qu’elle a mis en œuvre en septembre de la même année. L’annonce a entraîné une forte chute des taux d’intérêt sur la dette publique dans les pays en difficulté de la zone euro : les primes de risque sur les titres publics espagnoles, grecs, irlandais et portugais ont fondu de moitié. Cette évolution des marchés obligataires ne peut s’expliquer par une quelconque amélioration des fondamentaux macroéconomiques, puisque les ratios de dette publique sur PIB se sont détériorés. L’action de la BCE a rendu moins urgent de mettre en place des plans d’austérité ; le ralentissement subséquent de la consolidation budgétaire a pu alors contribuer à « stimuler » la demande globale. 

 

Références

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2013), « The legacy of austerity in the eurozone », CEPS Commentary, 4 octobre.

KOO, Richard (2011), « The world in balance sheet recession: causes, cure, and politics », Real-World Economics Review, n° 58, 12 décembre.

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4 octobre 2013 5 04 /10 /octobre /2013 18:54

De nombreuses récessions ont été précédées par une chute des prix d’actifs. La Grande Dépression des années trente, la décennie perdue du Japon dans les années quatre-vingt-dix ou encore plus récemment la Grande Récession de 2008 ont toutes suivi l’éclatement de bulles immobilières et boursières. Ces chutes de prix d’actifs ont été d’autant plus nocives pour l’économie qu’elles se sont accompagnées d’une crise financière. La littérature théorique a mis en évidence les mécanismes par lesquels l’activité s’en trouve affectée. Les chutes de prix d’actifs entraînent par exemple une baisse de la demande globale via les effets de richesse. Notamment parce que les actifs (comme l’immobilier) peuvent être utilisés comme collatéraux, leur chute réduit la capacité d’emprunt de leurs détenteurs, ce qui pousse ces derniers à diminuer leurs dépenses. Elle détériore également le bilan même des banques et les incite à réduire leurs prêts. Les turbulences financières suscitées par la baisse des prix d’actifs concourent ainsi à amplifier la contraction de l’activité.

La récente crise mondiale a renouvelé l’intérêt des économistes pour le lien entre prix d’actifs et cycles d’affaires. Ces nouvelles études ont ainsi confirmé que le profil des récessions, mais aussi celui des reprises qui leur sont consécutives, sont façonnés par les variables financières et notamment par le cycle du crédit. Stijn Claessens, Ayhan Kose et Marco Terrones (2011) ont par exemple montré que les récessions générées par un effondrement des prix d’actifs tendent à être plus longues et plus sévères que les autres. Parmi d’autres facteurs, le désendettement des agents privés, la faible création de crédit et la déprime de l’activité immobilière peuvent fortement contraindre la reprise. 

John C. Bluedorn, Jörg Decressin et Marco E. Terrones (2013) ont cherché à utiliser les prix d’actifs, en l’occurrence les cours boursiers et les prix immobiliers pour prévoir les récessions qui sont survenues dans les pays avancés du G7 entre le premier trimestre de l’année 1970 et le quatrième trimestre 2011. A la différence des précédentes études, ils font attention à écarter de leurs échantillon les chutes de prix d’actifs qui se sont produites lorsque l’économie était déjà en récession. Les trois auteurs constatent que les chutes de prix d’actifs accroissent significativement la probabilité d’une récession dans les pays avancés constituant leur échantillon. En l’occurrence, les effondrements de cours boursiers sont plus amples et plus fréquents que les chutes de prix immobiliers, ce qui les rend plus utiles que ces derniers pour prévoir les retournements du cycle économique.  

Bluedorn et alii observent également si l’incertitude élève la probabilité qu’une nouvelle récession survienne. La récente crise mondiale et, plus précisément, la lenteur de la reprise qui l’a suivie, ont en effet amené plusieurs auteurs à développer le concept d’incertitude pour expliquer les faibles performances des économies avancées. Selon cette naissante littérature, le degré d’incertitude (mesuré notamment par la volatilité des cours boursiers) varie au cours du cycle ; il est bien plus élevé lors des expansions que lors des récessions. Par exemple, face à une plus forte incertitude, les entreprises réduisent leurs dépenses d’investissement, car celles-ci sont souvent irrécupérables ; de leur côté, les ménages tendent également à réduire leurs achats de biens durables. Par conséquent, une plus forte incertitude se révèle nocive à l’activité et pourrait ainsi entraîner ou prolonger des récessions. Selon certains auteurs comme Nicholas Bloom, Ayhan Kose et Marco Terrones (2013), la faiblesse de la reprise actuelle serait pourrait ainsi être liée à une plus forte incertitude, notamment en ce qui concerne la conduite de la politique budgétaire [1]. L’étude de Bluedorn et ses coauteurs suggèrent que la hausse de l’incertitude est effectivement associée à l’éclatement d’une nouvelle récession.


[1] Cette idée reste toutefois fortement débattue. D’une part, cette littérature a encore une définition imprécise de l’incertitude (celle-ci ne s’apparente aucunement à sa définition keynésienne). D’autre part, il est probable que la faiblesse de l’actuelle reprise s’explique davantage par le caractère excessivement restrictif de la politique budgétaire que par l’incertitude qui l’entoure [Fatas, 2013]

 

Références

BLOOM, Nicholas, M. Ayhan KOSE & Marco E. TERRONES (2013), « Held back by uncertainty », in Finance & Development, vol. 50, n° 1, mars. Traduction française, « Le poids de l’incertitude ».

BLUEDORN, John C., Jörg DECRESSIN & Marco E. TERRONES (2013), « Do asset price drops foreshadow recessions? », IMF working paper, octobre.

CLAESSENS, Stijn, M. Ayhan KOSE & Marco E. TERRONES (2011), « How do business and financial cycles interact? », IMF working paper, n° 11/88, avril.

FATÁS, Antonio (2013), « The only uncertainty is why some cannot see facts », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 15 septembre. Traduction disponible ici.

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3 octobre 2013 4 03 /10 /octobre /2013 22:36

Le modèle de croissance actuel de la Chine lui a permis de connaître une croissante à deux chiffres au cours des deux dernières décennies et de sortir un demi milliard de personnes de la pauvreté. Elle fait à présent partie des pays à revenu intermédiaire et son niveau de vie converge vers celui des pays avancés. Toutefois, ces dernières années ont été marquées par un ralentissement de la croissance chinoise (cf. graphique ci-dessous). Une partie de ces « mauvaises » performances s’explique par la faible activité dans les pays avancés pendant et après la Grande Récession, ces derniers représantant une part importante de la demande extérieure en Chine.

GRAPHIQUE  Les contributions à la croissance chinoise (en points de pourcentage)

FMI-IMF-china-chine-growth-croissance.png

source : Nabar et N’Diaye (2013)

Le ralentissement de la croissance chinoise dénote également sa trop grande dépendance vis-à-vis de l’investissement et du crédit. L’investissement représentait 41 % du PIB entre 2002 et 2007 (période au cours de laquelle la croissance s’élevait en moyenne à 11,2 %), tandis qu’il représentait 47 % du PIB entre 2008 et 2012 (période au cours de laquelle le taux de croissance moyen était de 9,7 %) ; malgré l’accélération de l’accumulation du capital, le rendement du capital a chuté. Parallèlement, le crédit a aussi connu un fort essor, puisqu’il représentait moins de 130 % du PIB au dernier trimestre de l’année 2008 et quasiment 200 % début 2013. La combinaison d’un ralentissement de la croissance économique avec une hausse de l’investissement et une expansion rapide du crédit suggère que l’économie chinoise souffre des rendements décroissants. Autrement dit, le ralentissement de la croissance chinoise pourrait facilement s’expliquer à travers un modèle à la Solow.

Par conséquent, son modèle de croissance extensive ne peut plus assurer une progression rapide du niveau de vie de ses habitants, ni lui permettre de continuer d’absorber la main-d’œuvre excédentaire des campagnes ; à l’avenir, il ne pourrait qu’accentuer les déséquilibres domestiques. Certains en l’occurrence estiment que le surinvestissement représente dès à présent jusqu’à 10 % du PIB. La Chine a fortement accru ses capacités de production, alors même que la demande tendait à déprimer. Si la demande extérieure ne retourne pas à son niveau d’avant-crise, les prix des biens manufacturés pourraient  diminuer et le retour sur investissement se révéler encore plus décevant qu’attendu. Cela pourrait entraîner une chute des profits, une hausse des faillites et une profonde déstabilisation du système financier, ce qui affecterait non seulement l’économie intérieure, mais également le reste du monde. Au final, la Chine risque non seulement de voir son rattrapage sur les pays avancés être retardé, mais elle est notamment susceptible de basculer dans une trappe à revenu intermédiaire. Selon les estimations de Malhar Nabar et Papa N’Diaye (2013), si la Chine poursuit sa stratégie actuelle de croissance basée sur l’accumulation du capital, la croissance ne dépassera pas 4 % et le PIB par tête par habitant ne pourra au mieux atteindre que le quart de celui des Etats-Unis en 2030.

Conscientes des limites de leur modèle de croissance, les autorités chinoises cherchent à réorienter l’emploi et la production vers services, à accroître la part de la consommation dans le PIB et surtout à stimuler la productivité globale des facteurs (PGF) en promouvant la recherche-développement ; de cette manière, l’économie deviendrait moins dépendante de l’accumulation du capital et du reste du monde. Beaucoup estiment qu’un certain nombre de réformes doivent nécessairement être mises en place pour que la Chine puisse garder un rythme de croissance soutenu et continuer de converger vers le niveau de vie des pays à haut revenu. En l’occurrence, si la Chine parvient à mettre en œuvre les réformes adéquates, Nabar et N’Diaye estiment que son niveau de vie pourrait atteindre 40 % de celui des Etats-Unis en 2030. 

 

Référence

NABAR, Malhar, & Papa N’DIAYE (2013), « Enhancing China’s medium-term growth prospects: The path to a high-income economy », IMF working paper, n° 13/204, octobre.

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