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27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 21:01

Les études s’accordent pour une diminution des inégalités dans les pays avancés jusqu’aux années soixante-dix, puis la tendance s’est retournée et les inégalités semblent de nouveau s’accroître en leur sein. Si le choc pétrolier et les politiques de désinflation compétitive se sont par exemple traduits par d’amples fluctuations dans la répartition de la valeur ajoutée entre travail et capital dans plusieurs pays européens tels que la France, les économies anglo-saxonnes semblent ne pas avoir connu une telle déformation.

A partir de trois sources de données mesurant différemment la part des rémunérations du travail dans le revenu total, Margaret Jacobson et Filippo Occhino (2012b) mettent toutefois en évidence que celle-ci a diminué aux Etats-Unis au cours des trois dernières décennies au profit des revenus du capital. Tout d’abord, selon les données du Bureau of Economic Analysis (BEA), la part du travail dans le PIB a fluctué autour de 67 % des années quatre-vingt jusqu’au début des années deux mille, mais elle décline depuis pour atteindre désormais 63,8 % (cf. courbe marron sur le graphique ci-dessous). Ensuite, selon le Bureau of Labor Statistics (BLS), le ratio du coût du travail sur l’output pour le secteur des entreprises non agricoles a quant à lui fluctué autour de 65 % jusqu’au début des années quatre-vingt, puis décliné jusqu’à atteindre récemment 58,2 % (cf. courbe verte). Enfin, la part du revenu rémunérant le travail est passée de 75 % en 1979 à 67 % en 2007 d’après les données du Congressional Budget Office (CBO). Par conséquence, Jacobson et Occhino affirment, tout d’abord, que la part du revenu du travail a connu une baisse significative, comprise entre 3 et 8 points de pourcentage, lors des trois dernières décennies, mais aussi que cette tendance s’est accélérée au cours des années deux mille.

GRAPHIQUE  La part du revenu rémunérant le travail aux Etats-Unis

labor part

La répartition des revenus s’en est ainsi trouvée profondément affectée. La rémunération du travail constitue en effet la principale source de revenus pour les ménages américains, tandis que les revenus du capital sont fortement concentrés sur les ménages à hauts revenus. Durant les trois dernières décennies, le revenu total s’est donc davantage concentré au sommet de la distribution et les inégalités se sont accrues. Jusqu’aux années soixante-dix, le revenu réel des ménages les plus pauvres tendait à augmenter plus rapidement que le revenu des plus aisés, ce qui se traduisait par une réduction régulière des inégalités, mais la tendance s’inverse dans la décennie suivante et la part du revenu national destinée aux ménages à hauts revenus tend de nouveau à s’élever : à partir de 1980, le revenu moyen réel a en effet augmenté de 0,05 % pour les 20 % des ménages les plus pauvres, alors qu’il augmentait en parallèle de 1,34 % pour les 20 % des ménages les plus aisés et de 1,67 % pour le centile supérieur. Selon les données du bureau du recensement (Census Bureau), l’indice Gini des Etats-Unis est passé de 0,40 en 1967 à 0,48 en 2011 ; selon le CBO, qui utilise quant à lui les données sur l’impôt sur les revenus et une plus large définition du revenu incluant les gains en capital, l’indice Gini est passé de 0,48 en 1979 à 0,59 en 2007.

Le progrès technique, essentiellement économe en main-d’œuvre et biaisé en faveur du travail qualifié, a pu jouer un rôle déterminant dans la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital, mais aussi et peut-être surtout dans l’accroissement des inégalités au sein même de la masse salariale au détriment des travailleurs peu qualifiés. Les nouvelles technologies en information et communication ont pu rendre le capital relativement plus productif que le travail et accroître son rendement relatif. L’ouverture au commerce international et le moindre pouvoir de négociation des travailleurs constituent également des éléments clés pour expliquer le déclin tendanciel de la part du travail.

La question du partage de la valeur ajoutée et plus largement des inégalités de revenus est loin d’être dénuée d’importance pour l’analyse macroéconomique. Plusieurs économistes suggèrent notamment que l’explosion des inégalités a contribué à l’accumulation des déséquilibres financiers qui ont conduit l’économie mondiale en crise en 2008. Selon cette optique, la stabilité macroéconomique ne peut être pleinement assurée tant que l’accroissement des inégalités n’est pas contenu et renversé pour ramener ces derniers vers un niveau plus soutenable. Or pour l’heure, rien ne semble modifier structurellement la dynamique des inégalités.

Jacobson et Occhino ont cherché à déterminer comment évolueront à l’avenir les inégalités si les tendances lourdes qui leur sont sous-jacentes se maintiennent. Pour cela, ils ont utilisé les données du BEA et du BLS afin de distinguer les composantes structurelles et conjoncturelles des dynamiques suivies par les inégalités de revenu. Leur modélisation fait apparaître que le niveau tendanciel de la part du travail a diminué de 1,5 à 2 points de pourcentage entre 1980 et 2000, puis chuté de 2 à 3 points de pourcentage dans la décennie suivante. Elle a donc diminué de 4 à 4,5 points de pourcentage sur l’ensemble de la période. En outre, la part du travail est actuellement de 1 à 1,5 point de pourcentage sous son niveau tendanciel de long terme. Si la reprise se confirme, la part du travail devrait converger vers son niveau tendanciel et une partie de son déclin au cours des cinq dernières années disparaitra, ce qui se traduira par une réduction temporaire des inégalités.

Les inégalités ne sont toutefois pas seulement déterminées par les parts respectives destinées au travail et au capital, mais également par la concentration au sein de chacun d’entre elles. Puisque la concentration des revenus du travail dépend de multiples variables, telles que le progrès technique, la détermination de son évolution future s’avère compliquée. La concentration des revenus du capital est toutefois quant à elle fortement procyclique selon Jacobson et Occhino (2012b) : elle s’accroit durant les périodes d’expansion économique et au contraire diminue lors des ralentissements conjoncturels, ce qui laisse suggérer que la concentration sur les hauts revenus a diminué lors de la Grande Récession et qu’elle s’accentuera à nouveau lors des premières années de l’actuelle reprise si celle-ci se confirme. Au cours des deux derniers cycles d’affaires, cet effet avait dominé la dynamique des inégalités de revenus, ce qui laisse suggérer que l’évolution future des revenus sera essentiellement influencée par l’ampleur de la reprise et par l’accroissement qui en résulte dans la concentration des revenus du capital.

 

Références Martin ANOTA

JACOBSON, Margaret, & Filippo OCCHINO (2012a), « Behind the decline in labor’s share of income », Federal Reserve Bank of Cleveland, Economic Trends, 3 février.

JACOBSON, Margaret, & Filippo OCCHINO (2012b), « Labor’s declining share of income and rising inequality », Federal Reserve Bank of Cleveland, Economic Commentary, 25 septembre.

TAYLOR, Timothy (2012), « Labor’s smaller share », in Conversable Economist, 27 septembre.

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