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16 novembre 2022 3 16 /11 /novembre /2022 18:33
Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

Le niveau de dette publique a fortement augmenté dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, puis de nouveau suite à la pandémie de Covid-19 (cf. graphique 1). L’une des questions qui se pose est de savoir comment réduire cette dette ; la crainte est que celle-ci s’avère insoutenable ou que les Etats perdent la confiance des marchés financiers et ne parviennent plus à emprunter sur ces derniers, sauf à des taux d’intérêt prohibitifs, ce qui, dans l’un et l’autre cas, pourrait imposer une brutale contraction des dépenses publiques et des turbulences dans l’ensemble du système financier. Suite à la crise financière mondiale, le scénario d’un retour à une forte croissance était jugé peu probable. Plusieurs Etats avaient adopté des mesures d’austérité pour assainir rapidement leurs finances publiques, alors même que la reprise s’était à peine amorcée. Dans le cas de la zone euro, l’adoption de telles mesures a non seulement provoqué une nouvelle récession, mais elle s’est en outre révélée contre-productive, les ratios dette publique sur PIB ayant augmenté dans plusieurs pays-membres [House et alii, 2019].

GRAPHIQUE 1  Dette publique dans les pays développés et émergents (en % du PIB)

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Gaspar et Gopinath (2020)

La croissance économique et l’austérité budgétaire ne sont pas les seuls leviers par lesquels les Etats peuvent réduire le poids de leur dette. Au cours de l’histoire, ils ont également recouru aux effacements ou restructurations de la dette et à la répression financière, c’est-à-dire aux mesures poussant les résidents à détenir des titres publics domestiques [Reinhart et Rogoff, 2014 ; Reinhart et Sbrancia, 2015]. L’inflation a également joué un rôle ; l’exemple classique est celui de l’hyperinflation de la République de Weimar au début des années 1920. Certains, comme Daniel Gros (2022), voient ainsi au moins un bienfait à la hausse actuelle de l’inflation. 

En effet, l’inflation peut contribuer à réduire l’endettement public via plusieurs canaux [Akitoby et alii, 2014]. Par exemple, elle tend à accroître les recettes fiscales, si bien qu’elle a tendance à améliorer le solde primaire, en particulier si les dépenses publiques, notamment les minima sociaux et les rémunérations des fonctionnaires, ne sont pas indexées à l’inflation. En outre, l’inflation érode la valeur réelle de la dette. Si le niveau des prix augmente de 15 % ceteris paribus, la valeur réelle d’une dette publique équivalente à 120 % du PIB baisserait de 18 points de PIB, ce qui compenserait quasiment la hausse de 20 points provoquée par la pandémie [Gros, 2022]. Cet effet dépend toutefois de sa composition en termes de maturité et de devises : il est d’autant plus important qu’une part importante de la dette a une longue maturité et est libellée en monnaie domestique. En effet, si l’inflation augmente, les taux d’intérêt tendent également à augmenter, ce qui augmentera le coût de refinancement de la dette arrivant à échéance. D’autre part, si le pays connaît une plus forte inflation que ses partenaires à l’échange, sa monnaie tendra à se déprécier, ce qui accroîtra le poids de sa dette libellée en devises étrangères.

Si les déterminants des baisses des ratios dette publique observées par le passé ont fait l’objet d’une multitude de travaux au cours de la période récente, ce n’est pas vraiment le cas de l’inflation. Celle-ci ayant été particulièrement faible ces dernières décennies, les économistes ont pu finir par croire qu’il était improbable qu’elle revienne à un niveau élevé, donc qu’elle ne pouvait guère constituer un levier par lequel les Etats pouvaient espérer réduire le fardeau de leur dette. Carmen Reinhart et Belen Sbrancia (2015) ont estimé que la combinaison de l’inflation et de la répression financière a joué un rôle majeur dans la réduction de l’endettement public des pays développés entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1970. Sofia Bernardini et alii (2021) estiment que l’inflation n’avait joué un rôle crucial que dans les années qui ont immédiatement suivi ce conflit. 

Dans une nouvelle étude, Rui Esteves et Barry Eichengreen (2022) ont cherché à déterminer plus clairement le rôle de l’inflation lors des consolidations de la dette publique, c’est-à-dire lors des fortes baisses du ratio dette publique sur PIB. Après avoir collecté une base de données relative à 183 pays pour une période s’étendant sur plus de deux siècles, ils ont identifié 378 épisodes de consolidations de la dette publique.

GRAPHIQUE 2  Fréquence des consolidations de la dette, des défauts et des allègements de dette (en %)

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

Ils notent que les consolidations de la dette publique ont eu tendance à se produire lors de périodes où les prix augmentaient, mais en l’occurrence graduellement. En définitive, ils ne décèlent qu’une faible corrélation entre le niveau d’inflation et la fréquence des consolidations de la dette publique. En effet, les consolidations de la dette publique ont été moins fréquentes au cours des périodes d’inflation relativement élevée, comme les guerres mondiales et les années 1970 (cf. graphique 2). Elles ont été les plus fréquentes au tournant du vingtième siècle et au cours de la Grande Modération, c’est-à-dire entre le milieu des années 1980 et la crise financière mondiale de 2008, or ces épisodes se sont caractérisés par une inflation relativement faible et stable.

GRAPHIQUE 3  La consolidation de la dette publique étasunienne entre 1947 et 1956 

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

Poursuivant leur analyse, Esteves et Eichengreen ont développé un cadre pour déterminer les contributions respectives de l’effort budgétaire, de la croissance économique, des taux d’intérêt et de l’inflation des consolidations de la dette publique. Ils l’ont appliqué à travers plusieurs études de cas. 

Par exemple, ils ont mis en regard les consolidations de la dette publique observées aux Etats-Unis et en France au tournant des années 1950. Entre 1947 et 1956, le ratio dette publique sur PIB des Etats-Unis a diminué de 66 points de pourcentage. Certains, comme Reinhart et Sbrancia (2015), estiment que cette réduction de la dette observée s’expliquerait avant tout par une combinaison de répression financière et d’inflation, mais ils n’ont pas distingué le rôle respectif de chacune des deux. Esteves et Eichengreen concluent de leur côté que les excédents budgétaires primaires expliqueraient deux cinquièmes de cette consolidation de la dette américaine et la croissance économique deux autres cinquièmes ; les taux d’intérêts réels en expliqueraient moins d’un quart (cf. graphique 3).

GRAPHIQUE 4  La consolidation de la dette publique française entre 1947 et 1956 

Quel a été le rôle de l’inflation dans la réduction des dettes publiques ?

source : Esteves et Eichengreen (2022)

La France a également connu une forte réduction de son ratio dette publique sur PIB entre 1947 et 1956 : celui-ci a baissé de 33 points de pourcentage. Contrairement aux Etats-Unis, elle avait pourtant tendance à connaître des déficits budgétaires, notamment en raison des besoins pour la reconstruction et pour la guerre d’Indochine, si bien que le solde primaire a contribué à alourdir le poids de la dette publique (cf. graphique 4). Mais la France connaissait alors une plus forte croissance que les Etats-Unis, notamment sous l’effet de la reconstruction d’après-guerre : d’après les estimations d’Esteves et Eichengreen, la croissance expliquerait les deux tiers de la réduction de sa dette publique française. L’inflation a également joué un rôle dans celle-ci. En 1947 et en 1948, l’inflation française a été supérieure à 50 %, si bien qu’elle a particulièrement contribué à réduire le ratio dette publique sur PIB, ce dernier passant de 64 à 48 % ; puis l’inflation ralentit fortement, si bien que le ratio dette publique sur PIB continua de diminuer, mais plus lentement, en atteignant 33 % en 1953.

En définitive, Esteves et Eichengreen concluent que c’est dans les décennies qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale que l’inflation a le plus contribué à réduire la dette publique. Mais dans les périodes au cours desquelles l’inflation a été plus forte et persistante, les paiements d’intérêts ont souvent fortement augmenté, si bien qu’ils ont eu tendance à plus que compenser la contribution positive de l’inflation à la réduction de la dette publique. Les facteurs financiers, notamment la maturité de la dette, la réglementation financière et les anticipations d'inflations, se sont ainsi révélés essentiels en conditionnant le rôle de l'inflation.

 

Références

AIZENMAN, Joshua, & Nancy MARION (2011), « Using inflation to erode the U.S. public debt », in Journal of Macroeconomics, vol. 33, n° 4.

AKITOBY, Bernardin, Takuji KOMATSUZAKI & Ariel BINDER (2014), « Inflation and public debt reversals in the G7 countries », FMI, working paper, n° 14/96.

BERNARDINI, Sofia, Carlo COTTARELLI, Giampaolo GALLI & Carlo VALDES (2021), « Reducing public debt: The experience of advanced economies over the last 70 years », in Journal of Insurance and Financial Management, vol. 4, n° 5.

ESTEVES, Rui, & Barry EICHENGREEN (2022a), « Up and away? Inflation and debt consolidation in historical perspective », CEPR, discussion paper, n° 17559.

ESTEVES, Rui, & Barry EICHENGREEN (2022b), « Up and away? Inflation and debt consolidation in historical perspective », voxEU.org, 15 novembre.

GASPAR, Vitor, & Gita GOPINATH (2020), « Fiscal policies for a transformed world », blog du FMI, 10 juillet.

GROS, Daniel (2022), « The stabilizing effect of inflation », in Project Syndicate, 6 octobre.

HOUSE, Christopher L., Christian PROEBSTING & Linda L. TESAR (2019), « Austerity in the aftermath of the Great Recession », in Journal of Monetary Economics.

REINHART, Carmen M., & Kenneth S. ROGOFF (2014), « Financial and sovereign debt crises: Some lessons learned and those forgotten », S. Claessens, M. A. Kose, L. Laeven & F. Valencia (dir.), Financial Crises: Causes, Consequences, and Policy Responses.

REINHART, Carmen M., & M. Belen SBRANCIA (2015), « The liquidation of government debt », in Economic Policy, vol. 30, n° 82.

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3 novembre 2022 4 03 /11 /novembre /2022 11:23
Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar

L’économie mondiale a subi une suite de chocs majeurs ces dernières années, en l’occurrence la pandémie de Covid-19, puis l’invasion russe de l’Ukraine. Ces chocs ont directement contribué à alimenter l’inflation et à déprimer l’activité économique. Ils y ont également contribué indirectement, en entraînant d’amples variations des taux de change.

GRAPHIQUE 1  Evolution du taux de change de l'euro en dollars

Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar

source : FRED

L’une des évolutions les plus commentées est la forte appréciation du dollar vis-à-vis de la plupart des devises [Gopinath et Gourinchas, 2022 ; Hofmann et alii, 2022]. Il s’est par exemple apprécié de 28 % vis-à-vis du yen et de 16 % vis-à-vis de l’euro ; le taux de change du dollar vis-à-vis du yen est en train de retrouver des niveaux qu’il n’avait plus atteints depuis 1990, tandis que celui du dollar en euro se trouve à des niveaux qu’il n’avait plus atteints depuis 2002 (cf. graphique 1). L’indice du dollar, calculé à partir d’un panier de devises étrangères, s’est apprécié d’environ 10 % depuis le début de l’année 2022, retrouvant un niveau qu’il n’avait plus atteint depuis pratiquement quatre décennies (cf. graphique 2). Le dollar s’est apprécié vis-à-vis de la grande majorité des devises ; parmi les exceptions, le Brésil et le Mexique ont vu leur monnaie s’apprécier vis-à-vis du dollar. Dans l’ensemble, le dollar s’est davantage apprécié vis-à-vis des devises des autres pays développés que vis-à-vis des devises des pays émergents ou en développement.  

GRAPHIQUE 2  Evolution de l’indice réel du dollar américain (en indices, base 100 en janvier 2006)

Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar

source : Hofmann et alii (2022)

L’appréciation du dollar est cohérente avec les fondamentaux économiques [Gopinath et Gourinchas, 2022 ; Hofmann et alii, 2022]. Elle tient tout d’abord aux changements des termes de l’échange provoqués par la hausse des prix des aliments et de l’énergie (cf. graphique 3). En effet, lorsque les termes de l’échange, c’est-à-dire le rapport entre les prix des exportations sur les prix des importations, changent, le taux de change tend à varier de façon à stabiliser le solde extérieur. En l’occurrence, la hausse du prix des produits de base tend à détériorer les termes de l’échange des pays importateurs nets de produits de base, donc leur solde extérieur, ce qui pousse leur devise à se déprécier ; symétriquement, la hausse du prix des produits de base tend à améliorer les termes de l’échange des pays qui en sont des exportateurs nets, donc leur solde extérieur, ce qui pousse leur devise à s’apprécier. La zone euro et le Japon sont précisément importatrices nettes d’énergie. L’économie américaine étant désormais exportatrice nette d’énergie, l’actuelle hausse des prix de l’énergie s’est traduite, non pas par une détérioration de ses termes de l’échange comme ce fut le cas lors des hausses précédentes des prix de l’énergie, mais au contraire par une amélioration de ses termes de l’échange.

GRAPHIQUE 3  Variation des termes de l’échange depuis janvier 2022 (en %)

Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar

source : Hofmann et alii (2022)

L’appréciation du dollar tient également du fait que les politiques monétaires ne sont pas resserrées au même rythme à travers le monde : la Réserve fédérale relève plus rapidement ses taux d’intérêt les banques centrales des autres pays développés. En effet, la zone euro est certes confrontée à une aussi forte inflation que les Etats-Unis, mais la BCE se montre pour l’instant moins agressive dans son resserrement monétaire, peut-être notamment par peur de provoquer une nouvelle crise de la dette souveraine ; le Japon est toujours confronté à une faible inflation, ce qui réduit la nécessité que sa banque centrale resserre sa politique monétaire. Cette différence de rythme dans les resserrements monétaires et la fuite vers la sécurité provoquée par la hausse de l’incertitude ont notamment alimenté la demande d’actifs en dollars, donc poussé le taux de change du dollar à la hausse. Par contre, les banques centrales des pays émergents et en développement ont plutôt eu tendance à prendre de l’avance sur la Fed pour resserrer leur politique monétaire, peut-être parce qu’elles craignent les effets d’une appréciation du dollar. Cela contribue à expliquer pourquoi leurs monnaies ont moins eu tendance à se déprécier vis-à-vis du dollar que celles des pays développés et pourquoi le Brésil et le Mexique ont vu les leurs s’apprécier vis-à-vis du dollar.

L’appréciation du dollar n’est pas sans conséquence. En effet, malgré l'érosion de la part de l'économie américaine dans l'économie mondiale, le dollar reste la principale devise internationale [Ilzetzki et alii, 2019 ; Ilzetzki et alii, 2021 ; Arslanalp et alii, 2022 ; Krugman, 2022a ; Chinn, 2022 ; Krugman, 2022b]. Par exemple, il s’agit de la monnaie la plus utilisée pour convertir des devises, pour facturer et régler les échanges commerciaux et pour libeller les prêts transfrontaliers ; c’est avant tout le dollar que les banques centrales utilisent pour accumuler des réserves de change ou auquel elles ancrent leur monnaie. Du fait du rôle qu’il joue dans le commerce international et dans le système financier, les fluctuations du taux de change du dollar ont de profondes répercussions économiques et financières à travers le monde [Gopinath et Gourinchas, 2022 ; Hofmann et alii, 2022].

Tout d’abord, en raison du rôle du dollar dans la facturation des échanges commerciaux, une appréciation de son taux de change tend à accroître les prix à l’importation dans le reste du monde. Ainsi, en moyenne, une appréciation de 10 % du dollar est associée à une hausse d’un point de pourcentage de l’inflation [Gopinath et alii, 2020]. A la différence des épisodes passés, la récente appréciation du dollar a coïncidé avec une hausse des prix des produits de base, ce qui a aggravé l’effet inflationniste de celle-ci [Hofmann et alii, 2022]. En outre, l’appréciation du dollar tend à aller de pair avec un essoufflement du commerce international. En effet, quand le dollar s’apprécie, les prix à l’importation augmentent, mais les prix à l’exportation ne se modifient pas immédiatement, ce qui déprime la demande de produits importés. Une appréciation de 1 % du dollar vis-à-vis des autres devises est associée à une baisse de 0,6 à 0,8 % du volume annuel d’échanges entres les pays dans le reste du monde [Boz et alii, 2017].

Ensuite, l’appréciation du dollar, conjuguée au resserrement de la politique monétaire américaine, est aussi associée à un durcissement des conditions de financement à travers le monde. Ceux qui, en dehors des Etats-Unis, s’étaient endettés en dollar voient le fardeau de leur endettement s’alourdir. Dans les deux cas, l’activité économique s’en trouve directement déprimée et le risque de défauts de paiement et donc de crise financière augmente. Les crises de change de la seconde moitié des années 1990, notamment la « crise tequila » subie par le Mexique en 1994 et la crise asiatique de 1997, se sont produites dans le sillage d’une forte appréciation du dollar américain. 

Les pays émergents et en développement sont davantage affectés par une appréciation du dollar que les pays développés. En effet, ils sont davantage dépendants des importations et une plus grande part de leurs importations est facturée en dollars. En outre, leur système financier est moins développé, si bien que leurs résidents ont davantage tendance à s’endetter en dollars. Certes, les crises de change de la fin des années et en particulier la crise asiatique ont amené les pays émergents à chercher à moins s’endetter en dollar, mais leurs entreprises sont encore très endettées en dollar. Plusieurs études ont confirmé l’effet négatif d’une appréciation du dollar sur la croissance des pays émergents [Druck et alii, 2015]. Par exemple, Fernando Eguren Martin et alii (2017) estiment qu’une appréciation de 10 % du dollar réduit en moyenne de 1,5 point de pourcentage la croissance des pays émergents. 

Ainsi, les effets de l’appréciation du dollar se conjuguent à ceux de l’inflation et du resserrement des politiques monétaires pour déprimer la croissance des pays à travers le monde. La monnaie américaine devrait continuer à s’apprécier, dans la mesure où la Réserve fédérale poursuit son resserrement monétaire ; hier, elle a relevé son principal taux de 0,75 point de pourcentage, le ramenant aux niveaux qu’il atteignait début 2008, et elle a indiqué qu’elle compte pour l'instant procéder à de nouvelles hausses. Ces toutes dernières décennies, la Fed s’est montrée relativement insouciante quant aux répercussions de ses décisions sur le reste du monde [Eichengreen, 2013]. Aujourd'hui, au vu du niveau historiquement élevé atteint par l’inflation américaine, elle est très certainement focalisée sur des objectifs purement domestiques. 

 

Références

ARSLANALP, Serkan, Barry EICHENGREEN & Chima SIMPSON-BELL (2022), « The stealth erosion of dollar dominance: Active diversifiers and the rise of nontraditional reserve currencies », FMI, working paper, n° 22/58, mars.

BOZ, Emine, Gita GOPINATH & Mikkel PLAGBORG-MØLLER (2017), « Global trade and the dollar », NBER, working paper, n° 23988, novembre.

CHINN, Menzie (2022), « The demise of dollar dominance? », in Econbrower (blog), 10 juin.

DRUCK, Pablo, Nicolas E. MAGUD & Rodrigo MARISCAL (2015), « Collateral damage: Dollar strength and emerging markets’ growth », FMI, working paper, n° 15/179, juillet.

EGUREN MARTIN, Fernando, Mayukh MUKHOPADHYAY & Carlos van HOMBEECK (2017), « The global role of the US dollar and its consequences », Bank of England, Quarterly Bulletin, quatrième trimestre.

EICHENGREEN, Barry (2013), « Does the Federal Reserve care about the rest of the world? », NBER working paper, n° 19405, septembre.

GOPINATH, Gita, Emine BOZ, Camila CASAS, Federico J. DÍEZ, Pierre-Olivier GOURINCHAS & Mikkel PLAGBORG-MØLLER (2020), « Dominant currency paradigm », in American Economic Review, vol. 110, n° 3, mars.

GOPINATH, Gita, & Pierre-Olivier GOURINCHAS (2022), « Quelles mesures les pays doivent-ils prendre face au dollar fort ? », FMI, blog, 14 octobre.

HOFMANN, Boris, Aaron MEHROTRA & Damiano SANDRI (2022), « Global exchange rate adjustments: Drivers, impacts and policy implications », BRI, BIS Bulletin, n° 62, novembre.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2019), « Exchange arrangements entering the twenty-first century: Which anchor will hold? », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 134, n° 2.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2021), « Rethinking exchange rate regimes », NBER, working paper, n° 29347.

KRUGMAN, Paul (2022a), « Why the dollar dominates », 15 avril.

KRUGMAN, Paul (2022b), « The mysteries of the almighty dollar », 9 septembre.

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31 octobre 2022 1 31 /10 /octobre /2022 15:16
Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ?

Après être restée à un faible niveau pendant près de quatre décennies, l’inflation a fortement augmenté aux Etats-Unis, comme dans bien d’autres pays, dans le sillage de la pandémie de Covid-19. Le taux d’inflation américain était de 1,3 % fin 2020 ; il s’élevait à 8,2 % en septembre dernier.

GRAPHIQUE 1  Variation de l’indice des prix à la consommation aux Etats-Unis (en %)

Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ?

source : Ball et alii (2022)

L’inflation n’a véritablement commencé à augmenter qu’au début de l’année 2021. L’administration Biden adoptait alors un vaste plan de relance budgétaire, ce qui amena certains à redouter que l’économie américaine se retrouve en surchauffe [Summers, 2021 ; Blanchard, 2021]. La majorité des économistes considéraient toutefois initialement que cette hausse de l’inflation serait temporaire [Ball et alii, 2021 ; Gopinath, 2021]. Ce scénario apparaissant de moins en moins probable à mesure que la hausse persistait et que sa composante sous-jacente augmentait, la Réserve fédérale a fini par entamer, comme bien d’autres banques centrales, un cycle de resserrement monétaire. Ses responsables ont encore récemment évoqué un scénario d’« atterrissage en douceur » (soft landing) pour l’économie américaine : ils estiment qu’ils peuvent fortement rapprocher le taux d’inflation de sa cible, en l’occurrence les 2 %, sans accroître significativement le taux de chômage. Pour certains, en premier lieu Larry Summers, une telle désinflation est impossible sans une hausse bien plus élevée du taux de chômage [Domash et Summers, 2022a ; Blanchard, 2022 ; Domash et Summers, 2022b ; Blanchard et alii, 2022].

Laurence Ball, Daniel Leigh et Prachi Mishra (2022) ont étudié la hausse de l’inflation observée aux Etats-Unis depuis 2020. Ils ont décomposé l’inflation en deux composantes, d’une part, l’inflation sous-jacente et, d’autre part, l’inflation résiduelle, cette dernière fluctuant sous l’effet de chocs. Traditionnellement, l’inflation sous-jacente est mesurée en excluant de l’inflation globale la variation des prix des produits alimentaires et de l’énergie ; Ball et ses coauteurs lui préfèrent le taux d’inflation médiane, un indicateur qui évacue les amples variations de prix de certains secteurs.

Ball et ses coauteurs ont tout d’abord étudié le comportement de l’inflation sous-jacente. Pour cela, ils ont mesuré les tensions sur le marché du travail avec le ratio postes vacants sur chômage. Ils constatent que les niveaux élevés que cet indicateur a atteint en 2021 et en 2022 peuvent expliquer une partie significative de la hausse de l’inflation sous-jacente, en particulier durant l’année 2022. Le reste de la hausse de l’inflation sous-jacente s’explique par une forte transmission des chocs touchant l’inflation globale à l’inflation sous-jacente. Plusieurs mécanismes peuvent en effet contribuer à cette transmission. Il y a par exemple l’ajustement des salaires, évoqué notamment par Olivier Blanchard (2022) : la hausse du coût de la vie amène les travailleurs à réclamer de plus fortes revalorisations salariales. Pour Blanchard, cet effet serait particulièrement fort pour d’amples hausses d’inflation, dans la mesure où celles-ci se révèlent saillantes. Un autre mécanisme pour tenir au fait que les hausses des prix concernent les produits utilisés dans la production. Dans les deux cas, les coûts de production augmentent et les entreprises risquent de répercuter cette hausse sur leurs prix de vente. 

Ces premiers résultats expliquent pourquoi beaucoup, notamment les auteurs eux-mêmes, ont initialement considéré que la hausse de l’inflation serait temporaire. D’une part, les économistes ont tendance à jauger les tensions sur le marché du travail en considérant le seul taux de chômage ; ce dernier a certes diminué suite à la récession pandémique, mais il n’est pas pour autant passé en-dessous des niveaux d’avant-crise, si bien que cet indicateur ne suggérait pas d’emballement de l’inflation. Le ratio postes vacants sur chômage a, par contre, fortement augmenté depuis 2021. D’autre part, les économistes ont également ignoré les mécanismes de transmission qui peuvent propager les chocs touchant l’inflation globale à l’inflation sous-jacente.

Après avoir étudié l’inflation sous-jacente, Ball et ses coauteurs se sont penchés sur les chocs qui ont contribué à la hausse de l’inflation globale, que ce soit directement ou indirectement via la transmission à l’inflation sous-jacente. Ils concluent que trois facteurs expliquent l’essentiel de cette composante de l’inflation : la hausse des prix de l’énergie, les perturbations des chaînes de valeur et une hausse des prix dans les activités relatives à l’automobile. 

Ball et ses coauteurs décomposent alors la hausse de 6,9 points de pourcentage du taux d’inflation observée entre la fin 2020 et septembre 2022. Ils concluent que l’intensification des tensions sur le marché du travail explique 2,0 points de pourcentage de cette hausse, le relèvement des anticipations d’inflation 0,5 point de pourcentage et la combinaison des effets directs et de transmission des chocs touchant l’inflation globale 4,6 points de pourcentage.

Dans quelle mesure la relance budgétaire adoptée par l’administration Biden a contribué à cette hausse ? C’est bien celle-ci qui avait initialement amené Summers (2021) et Blanchard (2021) à craindre un emballement de l’inflation. Regis Barnichon et alii (2021) estimaient que celle-ci était effectivement susceptible d’alimenter l’inflation en contribuant à accroître le ratio postes vacants sur chômage, tandis qu’Oscar Jordà et alii (2022) ont conclu qu’elle contribue à expliquer pourquoi l’inflation a initialement augmenté plus vite aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. Pour leur part, Ball et ses coauteurs estiment qu’elle expliquerait 40 % de la hausse de la hausse de l’inflation sous-jacente et un quart de la hausse de l’inflation globale qui ont été observées entre fin 2020 et septembre 2022. Il s’agit selon eux d’une estimation basse, dans la mesure où ils n’ont pris en compte que les effets de la relance budgétaire sur le ratio emplois vacants sur chômage. 

Enfin, Ball et ses coauteurs se sont tournés vers l’avenir en simulant la trajectoire future de l’inflation pour différentes trajectoires du taux de chômage. Selon les prévisions des responsables de la Réserve fédérale, le taux de chômage américain n’augmentera que légèrement, en atteignant 4,4 %. Ball et alii estiment que cette trajectoire du chômage ne ramènerait l’inflation à proximité de la cible de la Fed que si plusieurs hypothèses, concernant les anticipations d’inflation et la courbe de Beveridge, c’est-à-dire la relation entre taux de postes vacants et chômage, se vérifiaient ; si celles-ci se révélaient trop optimistes, le taux d’inflation devrait rester bien au-dessus des 2 %, à moins que le taux de chômage n’augmente davantage que ne le prévoit la Fed.

GRAPHIQUE 2  Courbe de Beveridge aux Etats-Unis

Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ?

source : Ball et alii (2022)

Il est malheureusement à craindre que ces hypothèses soient excessivement optimistes. Tout d'abord, comme le soulignent Blanchard et alii (2022), la courbe de Beveridge s’est éloignée de l’origine depuis la pandémie : elle était stable entre 2001 et 2009, puis elle s’est légèrement déplacée vers l’extérieur avec la crise financière avant de se stabiliser jusqu’à mars 2020 ; elle s’est davantage éloignée de l’origine dans le sillage de la pandémie (cf. graphique 2). Ainsi, ces derniers trimestres, les taux de chômage ont été proches de ceux observés avant la pandémie, mais ils sont désormais associés à des taux de postes vacants bien plus élevés. Reste à savoir si ce déplacement de la courbe de Beveridge est permanent ou non, d’où l’importance de comprendre ses causes. Pour Blanchard et ses coauteurs, il pourrait s’expliquer par la réallocation des travailleurs entre les entreprises ; Briggs (2022) évoque de son côté une moindre appétence des chômeurs à chercher un emploi. Il est possible que les phénomènes en cause, quels qu’ils soient, s’inversent, et ce aussi rapidement qu'ils soient apparus. Mais Blanchard et alii se montrent pessimistes : il n’y a jamais eu par le passé d’épisodes au cours desquels le taux de postes vacants ait significativement diminué sans que le taux de chômage ait fortement augmenté. 

GRAPHIQUE 3  Anticipations d'inflation à long terme aux Etats-Unis

Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ?

source : Ball et alii (2022)

Quant aux anticipations d’inflation, elles sont certes restées ancrées à un niveau faible et stable au cours de la pandémie et des premiers temps de la reprise, mais elles semblent être régulièrement révisées à la hausse depuis le début de l’année 2022. C’est notamment ce qu'indique le taux d’inflation anticipée à dix ans tiré de l’enquête menée auprès des prévisionnistes professionnels (Survey of Professional Forecasters) : celui-ci est passé de 2,2 % à 2,8 % entre le quatrième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2022, revenant à des niveaux qui n’avaient plus été enregistrés depuis la fin des années 1990 (cf. graphique 3). Reste à savoir si les actions de la Réserve fédérale suffiront à contenir les anticipations d’inflation ou si ces dernières amorcent un véritable désancrage.

Aussi bien le déplacement de la courbe de Beveridge que la révision à la hausse des anticipations d’inflation augmentent le coût en emplois de la désinflation. En définitive, Ball et ses coauteurs rejoignent Blanchard et Summers en estimant que Fed aurait à freiner davantage l’activité économique si elle désire vraiment ramener l’inflation à proximité de sa cible.

 

Références

BALL, Laurence, Gita GOPINATH, Daniel LEIGH, Prachi MISHRA & Antonio SPILIMBERGO (2021), « US inflation: Set for take-off? », VoxEU.org, 7 mai.

BALL, Laurence, Daniel LEIGH & Prachi MISHRA (2022), « Understanding U.S. inflation during the COVID era », NBER, working paper, n° 30613, octobre.

BARNICHON, Regis, Luiz E. OLIVEIRA & Adam H. SHAPIRO (2021), « Is the American Rescue Plan taking us back to the ’60s? », FRBSF Economic Letter, n° 2021-27, octobre.

BLANCHARD, Olivier (2021), « In defense of concerns over the $1.9 trillion relief plan », in PIIE, Realtime Economics (blog), 18 février.

BLANCHARD, Olivier (2022), « Why I worry about inflation, interest rates, and unemployment », in PIIE, Realtime Economics (blog), 14 mars.

BLANCHARD, Olivier, Alex DOMASH & Lawrence H. SUMMERS (2022), « Bad news for the Fed from the Beveridge space », PIIE, policy brief, n° 22-7, juillet.

BRIGGS, Joseph (2022), « The Beveridge curve debate: Has match efficiency really declined? », Goldman Sachs, 7 août. 

DOMASH, Alex, & Lawrence H. SUMMERS (2022a), « How tight are U.S. labor markets? », NBER, working paper, n° 29739, février.

DOMASH, Alex, & Lawrence H. SUMMERS (2022b), « A labor market view on the risks of a U.S. hard landing », NBER, working paper, n° 29910, avril.

GOPINATH, Gita (2022), « Structural factors and central bank credibility limit inflation risks », FMI, 19 février.

JORDÀ, Òscar, Celeste LIU, Fernanda NECHIO & Fabián RIVERA-REYES (2022), « Why Is U.S. Inflation higher than in other countries? », FRBSF Economic Letter, n° 2022-07, mars.

SUMMERS, Lawrence H. (2021), « The Biden stimulus is admirably ambitious. But it brings some big risks, too », in Washington Post, 4 février.

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