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17 janvier 2020 5 17 /01 /janvier /2020 17:42
La décroissance démographique marquera-t-elle la fin de la croissance économique ?

Beaucoup considèrent que la population mondiale devrait se stabiliser à long terme à un niveau compris entre 8 et 10 milliards de personnes. Mais pour d’autres, notamment Darrell Bricker et John Ibbitson (2019) dans leur livre Empty Planet, il n’est pas improbable qu’elle tende en fait à décliner à long terme avec la poursuite de l’effondrement du taux de fertilité dans l’ensemble des régions du monde (cf. graphique). Dans les pays à haut revenu, le taux de fertilité est déjà inférieur au seuil de remplacement : les femmes ont moins de deux enfants en moyenne. Au Japon et dans certains pays européens comme l’Allemagne et l’Italie, le solde naturel, c’est-à-dire l’écart entre le nombre de naissances et le nombre de décès, est déjà négatif, si bien que leur population tend à réduire en l'absence d'immigration. 

GRAPHIQUE  Taux de fertilité

La décroissance démographique marquera-t-elle la fin de la croissance économique ?

source : Jones (2020)

Cette perspective n’est pas sans susciter des inquiétudes quant à la poursuite de la croissance économique à long terme. D’un point de vue néoclassique, la décroissance démographique est susceptible de freiner la croissance économique du côté de l’offre dans la mesure où elle réduit la main-d’œuvre disponible. Du point de vue keynésien, la décroissance démographique est susceptible de freiner la croissance dans la mesure où elle déprime la demande globale. John Maynard Keynes (1937) s’inquiétait déjà à l’idée que la population puisse décroître. En l’occurrence, selon lui, la décroissance démographique nuit surtout à l’activité économique via ses effets sur l’investissement : si les entreprises s’attendent à ce que la population décline, c’est-à-dire à ce qu’il y ait moins de consommateurs, elles auront moins de raisons d’accroître leurs capacités de production ; elles seront moins incitées à embaucher et à investir, ce qui déprimera en retour davantage la demande globale. En outre, si le nombre de travailleurs décline, les entreprises auront moins à investir pour les équiper. En définitive, il est de moins en moins probable que la demande globale suffise pour maintenir l’économie au plein emploi. C’est d’ailleurs la dynamique démographique qui est au cœur du raisonnement que développait Alvin Hansen (1938) autour de la Seconde Guerre mondiale et celui que développe aujourd’hui Larry Summers (2015) pour évoquer la possibilité d’une stagnation séculaire.

Mais la décroissance démographique peut ne pas nécessairement freiner la croissance des niveaux de vie. D’une part, elle peut inciter les entreprises à innover et à davantage automatiser leur production pour faire face aux pénuries de main-d’œuvre, ce qui stimule les gains de productivité [Acemoglu et Restrepo, 2017 ; 2018], à condition toutefois que la demande globale ne soit pas excessivement déprimée [Eggertsson et alii, 2018]. D’autre part, si la taille de la population diminue, cela tend à réduire son empreinte écologique : la population peut alors plus facilement accroître son niveau de vie, c’est-à-dire le niveau de production par tête, sans que la production agrégée ait à augmenter et finisse par buter sur les contraintes environnementales. 

Aujourd’hui, beaucoup de modèles considèrent que la croissance économique repose sur la découverte de nouvelles idées : c’est le cas des modèles de croissance endogène [Romer, 1990 ; Grossman et Helpman, 1991 ; Aghion et Howitt, 1992], comme celui des modèles de croissance semi-endogène [Jones, 1995 ; Kortum, 1997 ; Segerstrom ; 1998]. Ces modèles considèrent donc que le rythme de la croissance économique à long terme dépend de la taille de la population : plus la population est importante, plus elle disposera de chercheurs, plus ces derniers trouveront de nouvelles idées et plus les innovations résultantes pousseront les niveaux de vie à la hausse.

Ces modèles supposent typiquement soit une poursuite de la croissance démographique, soit une stagnation démographique ; ils ne considèrent pas l’éventualité d’une décroissance démographique. Or, si la population est davantage susceptible d’avoir de nouvelles idées qu’elle est importante, sa décroissance devrait par conséquent réduire le nombre de chercheurs et tendre à freiner le progrès technique. Une telle éventualité est d’autant plus inquiétante qu’il semble déjà en soi de plus en plus difficile de trouver de nouvelles idées [Gordon, 2012 ; Bloom et alii, 2017].

Charles Jones (2020) s’est donc récemment demandé comment se comporte la croissance économique lorsqu’elle est fondamentalement impulsée par les idées et que la croissance démographique devient négative. En utilisant un modèle de croissance endogène, puis un modèle de croissance semi-endogène, il montre que la décroissance démographique est susceptible de conduire à la réalisation du scénario dit de la « planète vide » (empty planet), en référence au livre éponyme de Bricker et Ibbitson : le savoir et les niveaux de vie stagnent pour une population qui décline graduellement. En conséquence, des politiques appropriées doivent être mises en place à temps pour que la fertilité reste supérieure au seuil de remplacement et que se concrétise le scénario du « cosmos en expansion » (expanding cosmos), celui où la population et les niveaux continuent de croître conjointement. Si ces politiques tardent à être mises en œuvre l'économie risque d'être définitivement piégée dans le scénario de la « planète vide ».

Jones conclut toutefois son analyse en notant qu’une poursuite du déclin de la fertilité ne conduit pas forcément à la réalisation du scénario de la « planète vide ». D’une part, l’automatisation peut améliorer la capacité des populations à produire suffisamment d’idées pour que la croissance des niveaux de vie se poursuive malgré le déclin de la population. D’autre part, les nouvelles découvertes peuvent finir par ramener le taux de mortalité proche de zéro, permettant à la population de continuer de croître malgré l’effondrement de la fertilité. 

 

Références

ACEMOGLU, Daron & Pascual RESTREPO (2017), « Secular stagnation? The effect of aging on economic growth in the age of automation », NBER, working paper, n° 23077.

ACEMOGLU, Daron, & Pascual RESTREPO (2018), « Demographics and Automation », NBER, working paper, n° 24421.

AGHION, Philippe, & Peter HOWITT (1992), « A model of growth through creative destruction », in Econometrica, vol. 60, n° 2.

BLOOM, Nicholas, Charles I. JONES, John Van REENEN & Michael WEBB (2017), « Are ideas getting harder to find? », NBER, working paper, n° 23782.

BRICKER, Darrell, & John IBBITSON (2019), Empty Planet: The Shock of Global Population Decline, éditions Crown Publishing Group.

EGGERTSSON, Gauti B., Manuel LANCASTRE & Lawrence H. SUMMERS (2018), « Aging, output per capita and secular stagnation », NBER, working paper, n° 24902.

GORDON, Robert (2012), « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », CEPR, policy insight, n° 63.

GROSSMAN, Gene M., & Elhanan HELPMAN (1991), Innovation and Growth in the Global Economy, MIT Press.

HANSEN, Alvin H. (1938), Full Recovery or Stagnation?

HARDING, Robin (2019), « The costs of a declining population », in Financial Times, 14 janvier.

JONES, Charles I. (1995), « R&D-based models of economic growth », in Journal of Political Economy, vol. 103, n° 4. 

JONES, Charles I. (2020), « The end of economic growth? Unintended consequences of a declining population », NBER, working paper, n° 26651.

KEYNES, John M. (1937), « Some economic consequences of a declining population », in The Eugenics Review, vol. 29.

KORTUM, Samuel S. (1997), « Research, patenting, and technological change », in Econometrica, vol. 65, n° 6.

SEGERSTROM, Paul (1998), « Endogenous growth without scale effects », in American Economic Review, vol. 88, n° 5.

SUMMERS, Lawrence (2015), « Demand side secular stagnation », in American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 105, n° 5.

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