Plusieurs pays européens sortent de la Grande Récession en connaissant simultanément une faible croissance et des niveaux élevés de dette publique, ce qui suscite des craintes quant à la soutenabilité de cette dernière. Une récession dégrade mécaniquement les finances publiques en déprimant les recettes fiscales, si bien que la dette peut très rapidement suivre une trajectoire explosive si l’économie ne renoue pas avec une forte croissance. En outre, certains suggèrent que la dette publique pénalise la croissance, tout du moins lorsqu’elle atteint un certain seuil. Pour ramener leurs ratios d’endettement sur une trajectoire jugée plus soutenable, les gouvernements cherchent alors à générer de larges excédents primaires, notamment en adoptant des plans d’austérité budgétaire, mais ces derniers peuvent déprimer l'activité économique, donc à nouveau les recettes fiscales.
Le Moniteur des finances publiques du FMI et le Pacte budgétaire européen prévoient que les pays européens fortement endettés doivent générer des excédents budgétaires primaires supérieurs à 5 % au cours des 10 prochaines années pour assurer la soutenabilité de leur dette publique et ramener leur dette publique sous la cible des 60 % du PIB qui est associée au Pacte budgétaire européen. Par exemple, le FMI suggère que l’endettement public restera soutenable sur la période 2020-2030 si l’excédent primaire s’élève en moyenne à 5,6 % pour l’Irlande, à 6,6 % en Italie, à 5,9 % pour le Portugal, à 4 % en Espagne et à 7,2 % en Grèce.
Barry Eichengreen et Ugo Panizza (2014) montent que des excédents primaires aussi larges et persistants se sont révélés rares au cours de l’histoire. En observant un échantillon de 54 pays à revenu élevé et intermédiaire sur la période s’étalant entre 1974 et 2013, ils constatent qu’il y a eu seulement 3 épisodes au cours desquels les pays surent générer des excédents primaires représentant plus de 5 % du PIB pendant 10 ans : il s’agit de la Belgique à partir de 1995, de la Norvège à partir de 1999 et de Singapour à partir de 1990. En l'occurrence, les circonstances associées à ces trois épisodes ont été exceptionnelles, donc difficilement reproductibles.
Eichengreen et Panizza ont ensuite donné une définition moins restrictive aux épisodes d’excédents persistants en considérant des excédents primaires qui se sont maintenus en moyenne à plus de 3 % du PIB pendant 5 ans. Ils constatent alors que les épisodes d’excédents persistants sont plus probables lorsque la croissance est forte, lorsque le compte courant est en excédent (ce qui est le cas lorsque les taux d’épargne sont élevés), lorsque le ratio dette publique sur PIB est élevé (accentuant l’urgence d’un ajustement budgétaire) et lorsque le parti au pouvoir contrôle toutes les chambres parlementaires (ce qui lui permet de bénéficier d'un fort pouvoir de négociation). Les gouvernements de gauche sont davantage susceptibles de générer des excédents primaires larges et persistants que les gouvernements de droite. Dans les pays avancés, les systèmes de représentation proportionnels qui donnent lieu à de larges coalitions sont associés à des épisodes d’excédents.
Eichengreen et Panizza concluent leur étude sur une note pessimiste, puisqu’elle suggère qu’un pays comme l’Italie est peu susceptible de générer un excédent de budget primaire aussi larges et persistant que celui attendu par le FMI et par la Commission Européenne. Les deux auteurs rejoignent Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2013) lorsqu’ils préconisent aux pays avancés surendettés d’opter pour des solutions « barbares » habituellement réservées aux pays en développement, en l’occurrence les effacements et les restructurations de dette, l’aide extérieure et l’inflation.
Références
REINHART, Carmen, & Kenneth ROGOFF (2013), « Financial and sovereign debt crises: Some lessons learned and those forgotten », Fonds monétaire international, working paper, n° WP/13/266, décembre.