Overblog Tous les blogs Top blogs Économie, Finance & Droit Tous les blogs Économie, Finance & Droit
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
23 novembre 2015 1 23 /11 /novembre /2015 22:22

En 1987, la dette publique de l’Irlande était l’une des plus élevée de l’ensemble des pays qui constitueront la future zone euro (cf. graphique 1). Elle atteignait alors 110 % du PIB, soit un niveau proche de l’Italie. Entre 1985 et 2007, elle s’est réduite de 80 points de pourcentage. Comme d’autres pays-membres de la zone euro (notamment l’Espagne), l’Irlande a continué de se désendetter après l’adoption de l’euro. Parallèlement, au cours des deux précédentes décennies, la situation budgétaire des pays du « cœur » de la zone euro avait tendance à se dégrader : par exemple, entre 1985 et 2007, la dette publique de la France et de l’Allemagne s’est accrue de plus de 30 points de pourcentage pour atteindre environ 65 % du PIB. En 2007, l’Irlande était présentée comme un exemple en matière budgétaire : sa dette publique s’élevait alors à 24,6 % du PIB.

GRAPHIQUE 1  Dette publique de l'Irlande, de l'Allemagne, de l'Espagne, de la France, et de l'Italie (en % du PIB)

L'Irlande a-t-elle eu raison d'embrasser aussi rapidement l'austérité ?

source Fatás (2015)

Avec la crise financière mondiale, la dette publique irlandaise s’est fortement accrue, au point de susciter de profondes inquiétudes quant à sa soutenabilité. Le tarissement des entrées de capitaux a contribué à freiner l’activité brutalement. Entre 2007 et 2010, le PIB se contracta de 9 % en termes réels et de 16 % en termes nominaux, entraînant une chute des recettes fiscales. Cette dernière fut particulièrement prononcée dans la mesure où le Budget irlandais dépendait étroitement des taxes associées au boom immobilier. La récession a été persistante, puisqu’elle s’est traduite par une forte révision à la baisse des estimations de production potentielle. En outre, le sauvetage du secteur bancaire a fortement contribué à accroître les dépenses publiques. Enfin, la chute de confiance des marchés vis-à-vis de la soutenabilité des finances publiques s’est traduite en Irlande, tout comme dans d’autres pays « périphériques » de la zone euro, par une hausse des taux d’intérêt et elle a alimenté l’accumulation de dette publique par effet boule de neige. En conséquence, le déficit public irlandais s’éleva à 7,1 % du PIB en 2008, à 13,3 % du PIB en 2009. La dette publique irlandaise passa de 24,6 % à 116 % du PIB entre 2007 et 2013. Elle attint ainsi l’un des niveaux les plus élevés en zone euro, à l’instar de Chypre, de la Grèce, de l’Italie et du Portugal.

Le gouvernement irlandais embrassa rapidement l’austérité budgétaire pour ramener sa dette sur une trajectoire plus soutenable, regagner la confiance des marchés et susciter à nouveau des entrées de capitaux. Selon Antonio Fatás (2015), le programme d’assainissement budgétaire mené entre 2008 et 2010 par le gouvernement irlandais représenta 6 à 10 % du PIB. Il fut suivi par un second programme de même ampleur au cours des quatre années suivantes. L’assèchement des entrées de capitaux a contribué à convaincre le gouvernement d’assainir rapidement ses finances, mais Fatas note que la vitesse d’ajustement a résulté en définitive des négociations avec les institutions qui ont fourni les ressources nécessaires jusqu’à ce que le gouvernement parvienne à retrouver l’accès aux marchés. Ces mesures d’austérité ont fini par payer. La dette publique s’est stabilisée et le gouvernement irlandais a retrouvé l’accès aux marchés des taux d’intérêt raisonnables. 

En comparaison avec les autres pays périphériques de la zone euro, l’Irlande s’est ajustée à un rythme similaire à celui de l’Espagne et plus lentement que la Grèce et le Portugal. Comme l’Espagne, elle connaissait des excédents budgétaires en 2006 et en 2007, qui ont été suivis par des déficits budgétaires, compris entre 8 et 10 % du PIB en 2009 ; ceux-ci se sont ensuite réduits, pour atteindre environ zéro en 2014. Par rapport aux autres pays périphériques, l’Irlande a davantage privilégié les réductions de dépenses publiques (en lieu et place aux hausses d’impôts).

GRAPHIQUE 2  Production potentielle de l'Irlande (en indices, base 100 en 2007)

L'Irlande a-t-elle eu raison d'embrasser aussi rapidement l'austérité ?

source : Antonio Fatás (2015)

En se basant notamment sur les travaux qu'il a réalisés avec Larry Summers, Fatás a analysé plus finement les dynamiques budgétaires en Irlande au cours des six dernières années afin de déterminer si la vitesse de l’ajustement budgétaire fut la plus appropriée. Son analyse suggère que la consolidation budgétaire a fortement pesé l’activité économique. Ce faisant, non seulement elle s’est traduite par une forte détérioration du bien-être des résidentes, mais elle a aussi contribué à réduire les recettes fiscales et à dégrader le ratio d’endettement en déprimant le numérateur, en l'occurrence le PIB. D’autre part, les répercussions des plans d’austérité ont aussi été très persistantes, dans le sens où elles ont contribué à réduire la production potentielle et à amener ainsi le PIB sur une trajectoire inférieure à celle qu’il poursuivait avant la crise (cf. graphique 2). Comme la croissance de la production potentielle est désormais lente, les pertes en production potentielle ont tendance à s’accroître au cours du temps. Les mesures d’austérité ont ainsi détérioré le principal facteur de soutenabilité de la dette publique à long terme. Ainsi, Fatás en conclut que la consolidation budgétaire fut trop rapide, car elle a finalement accru les efforts de consolidation à fournir au cours des prochaines décennies, alors même que l’Irlande fera face, comme bien d’autres pays avancés, aux pressions du vieillissement démographique sur son Budget. 

 

Références

FATÁS, Antonio (2015), « Putting the Budget on a sound footing », in FMI, Ireland. Lessons from Its Recovery from the Bank-Sovereign Loop, novembre.

FATÁS, Antonio, & Lawrence H. SUMMERS (2015), « The permanent effects of fiscal consolidations », document de travail.

Partager cet article
Repost0
20 novembre 2015 5 20 /11 /novembre /2015 17:31

Avant qu’éclate la crise financière mondiale, d’amples déséquilibres se sont accumulés au sein de la zone euro. D’un côté, certains pays au « cœur » de la zone euro, en particulier l’Allemagne, ont cherché à contenir la hausse de leur coût du travail domestique afin de gagner en compétitivité et d’accroître leurs exportations. Cette stratégie s’est révélée payante pour l’Allemagne, puisqu’elle génère un excédent courant supérieur à 6 % du PIB depuis 2006. Parallèlement, d’autres pays, en particulier ceux situés en « périphérie » de la zone euro, ont été marqués par des déficits chroniques. La baisse des taux d’intérêt nominaux suite à l’adoption de la monnaie unique, dans un contexte d’inflation relativement élevée, a réduit les taux d’intérêt réels et stimulé l’endettement domestique. L’expansion résultante du crédit a stimulé la demande intérieure et les prix d’actifs. L’accroissement de la demande s’est traduite par une hausse des importations, donc une dégradation du solde courant, mais elle a aussi participé à entretenir en retour l’inflation. Cette dernière a alimenté la hausse des salaires domestiques. La compétitivité externe des pays périphériques s’est dégradée, ce qui a creusé davantage le déficit. Les bulles sur les marchés d’actifs ont pu persister tant que les capitaux affluaient du reste du monde (et notamment du cœur de la zone euro) pour financer le déficit extérieur. Avec la crise financière mondiale, les entrées de capitaux se sont taries dans la périphérie, imposant à cette dernière de s’ajuster violemment. La production domestique s’est alors contractée et le chômage s’est envolé.

Les dévaluations peuvent contribuer à stimuler l’activité économique dans une économie donnée, en particulier lorsque celle-ci connaît une récession. Elles accroissent la compétitivité des produits domestiques sur les marchés internationaux et renchérissent le prix des importations, si bien qu’elles stimulent la demande externe, tout en incitant les résidents à réduire leurs importations pour se tourner vers des produits domestiques. Tout pays-membre d’une union monétaire ne peut par définition dévaluer son taux de change. Il peut toutefois chercher à simuler une dévaluation en s’appuyant non pas sur le taux de change, mais sur des moyens internes, notamment les réductions salariales ou les modérations salariales. C’est précisément cette stratégie que l’Allemagne a mis en œuvre durant la première moitié des années deux mille afin de gagner en compétitivité. Et c’est également la stratégie que les pays en difficulté de la zone euro ont embrassé ces dernières années : en mettant en œuvre une dévaluation interne, ils pourraient non seulement stimuler leur activité domestique, mais aussi éliminer les écarts de compétitivité qu’ils accusent avec le cœur de la zone euro. 

Jörg Decressin, Raphael Espinoza, Ioannis Halikias, Daniel Leigh, Prakash Loungani, Paulo Medas, Susanna Mursula, Martin Schindler, Antonio Spilimbergo et TengTeng Xu (2015) ont modélisé l’impact d’une modération salariale en zone euro. Ils constatent que l’ampleur et la signe des répercussions de la modération salariale sur la production à court terme dépendent de plusieurs conditions, notamment du nombre d’économies poursuivant une modération salariale dans la période courante et de la politique monétaire. En l’occurrence, si un pays-membre en difficultés procède isolément à une modération salariale, celle-ci peut effectivement lui permettre de regagner en compétitivité et de stimuler son activité domestique. Par contre, si plusieurs pays embrassent la modération salariale au même instant, celle-ci peut au contraire dégrader l’activité domestique, non seulement au sein de chacun de ces pays, mais aussi dans l’ensemble de la zone euro. On retrouve ici le « paradoxe de la flexibilité » relevé par Keynes : lorsqu’un pays baisse ses salaires, il accroît la compétitivité externe de ses produits, ce qui stimule ses exportations, accélère sa croissance et contribue à réduire son chômage. Par contre, lorsque tous les pays réduisent leurs salaires simultanément, alors la consommation se contracte, si bien que chaque pays réduit ses importations et voit par là même ses exportations s’écrouler. Les entreprises réduisent alors leur production et le chômage tend à augmenter. Si les pays étaient initialement en récession, cette dernière ne fait que s’aggraver.

Decressin et ses coauteurs montrent ainsi que lorsque plusieurs pays-membres optent simultanément pour une modération salariale, celle-ci doit s’accompagner d’un puissant assouplissement monétaire. Si la banque centrale dispose d’une marge suffisante pour réduire ses taux directeurs, la baisse des taux compense les répercussions négatives que la modération salariale des pays périphériques génère sur le reste de l’union monétaire ; les taux d’intérêt de long terme diminuent, ce qui stimule l’investissement et la consommation de biens durables. Si les taux d’intérêt nominaux sont déjà contraints par leur borne inférieure zéro, c’est-à-dire si les économies sont susceptibles de faire face à une trappe à liquidité, alors la banque centrale doit adopter des mesures non conventionnelles. Rien n’assure toutefois que ces dernières soient efficaces. Or, si la banque centrale n’assouplit pas suffisamment sa politique monétaire, la production de la zone euro se contracte à court terme.

Charles Bean (1998) avait notamment déjà montré qu’une réduction des salaires est susceptible de dégrader l’activité économique à court terme si elle ne s’accompagnait pas parallèlement de politiques conjoncturelles expansionnistes. Les pays périphériques n’ont toutefois qu’une marge de manœuvre budgétaire limitée en raison de leurs niveaux élevés d’endettement public. Dans le cadre de la zone euro, une alternative à l’assouplissement monétaire pourrait être le recours à la relance budgétaire dans les pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire, en l’occurrence dans les pays au cœur de la zone euro. Une expansion dans le cœur de la zone euro pourrait en effet stimuler l’activité des pays périphériques, notamment via le canal des échanges commerciaux, compenser l’impact récession de la modération salariale et faciliter l’ajustement de leur économie. Olivier Blanchard, Christopher Erceg et Jesper Lindé (2015) ont déterminé l’efficacité d’une telle relance budgétaire.

La modération salariale des pays périphériques pourrait aussi gagner en efficacité si elle s’accompagnait parallèlement d’une accélération des hausses salariales dans le cœur de la zone euro. Selim Elekdag et Dirk Muir (2015) ont précisément observé les répercussions qu’une hausse des salaires nominaux en Allemagne pourrait avoir sur le reste de la zone euro. D’après leur modélisation, si la hausse salariale est exogène, par exemple si elle provient d’une réforme du marché du travail renforçant le pouvoir de négociation des travailleurs, alors elle pourrait réduire l’excédent courant allemand, mais en déprimant l’activité en Allemagne, tout comme dans le reste de la zone euro. Par contre, si la hausse salariale résulte d’un accroissement de la demande de travail, alors elle pourrait accroître la consommation et l’investissement en Allemagne, ce qui stimulerait l’activité non seulement en Allemagne, mais aussi dans le reste de la zone euro. Les écarts de compétitivité entre l’Allemagne et les pays périphériques seraient plus rapidement éliminés et la périphérie profiterait d’un surcroît de demande extérieure avec l’expansion de la demande allemande.

 

Références

BEAN, Charles (1998), « The interaction of aggregate-demand policies and labour market reform », in Swedish Economic Policy Review, vol. 5, n° 2.

BLANCHARD, Olivier, Christopher J. ERCEG & Jesper LINDÉ (2015), « Jump-starting the euro area recovery: Would a rise in core fiscal spending help the periphery? », Banque de Suède, working paper, n° 304, juillet.

DECRESSIN, Jörg, Raphael ESPINOZA, Ioannis HALIKIAS, Daniel LEIGH, Prakash LOUNGANI, Paulo MEDAS, Susanna MURSULA, Martin SCHINDLER, Antonio SPILIMBERGO & TengTeng XU (2015), « Wage moderation in crises. Policy considerations and applications to the euro area », FMI, staff discussion note, n° 15/22, novembre.

DECRESSIN, Jorg, & Prakash LOUNGANI (2015), « The effects of wage moderation: Can internal devaluations work? », in iMFdirect, 17 novembre.

ELEKDAG, Selim, & Dirk MUIR (2015), « Would higher German wages help euro area rebalancing and recovery? », in FMI, Germany: Selected Issues, country report, n° 15/188, juillet.

Partager cet article
Repost0
18 novembre 2015 3 18 /11 /novembre /2015 18:03

Au milieu des années deux mille, les banquiers centraux, notamment Alan Greenspan, faisaient face à une énigme (conundrum) : ils avaient beau relever leurs taux directeurs, les taux d'intérêt à long terme restaient faibles à travers le monde. Ben Bernanke (2005) avança la théorie de la surabondance d’épargne (saving glut) pour l'expliquer : il suggérait que les taux d’épargne élevés que l’on observait dans les pays émergents d’Asie et dans certains pays producteurs de pétrole généraient une abondance d’épargne au niveau mondial qui poussait les taux d’intérêt à la baisse. Ce faisant, cette surabondance d’épargne a pu contribuer à alimenter les déséquilibres à l’origine de la crise financière mondiale. En effet, les Etats-Unis n’auraient pas pu générer de larges déficits courants si d’autres pays n’avaient pas symétriquement généré de larges excédents courants. Les excédents des émergents asiatiques ont pu financer au sein des Etats-Unis la création du crédit et par là la bulle immobilière. La faiblesse même des taux d’intérêt à travers le monde a pu inciter à la prise de risque et contribuer ainsi à l’expansion de l’endettement privé. 

La surabondance mondiale d’épargne permet également d’expliquer pourquoi la croissance demeure lente dans les pays avancés suite à la Grande Récession, mais aussi pourquoi elle a pu rester modeste dans plusieurs pays avancés avant la crise, alors même que ceux-ci connaissaient la formation d’une ample bulle immobilière. Selon l’hypothèse de la stagnation séculaire avancée par Larry Summers (2014), la persistance d’une épargne excessive par rapport à l’investissement tend à déprimer le taux d’intérêt naturel et par là la demande globale. Summers identifie notamment la hausse des inégalités, le vieillissement de la population et la baisse des prix des biens d’investissement comme divers facteurs contribuant à cette épargne excessive. Lors de la crise, le taux d’intérêt naturel a pu être tellement déprimé avec le relèvement de la propension à épargner que plusieurs économies avancées ont basculé dans une trappe à liquidité : le taux d’intérêt naturel a tellement diminué qu’il est devenu négatif. Comme les banques centrales peuvent difficilement pousser les taux d’intérêt nominaux en-deçà de zéro, les taux d’intérêt nominaux restent supérieurs à leur niveau naturel, générant des pressions déflationnistes sur l’économie.

La littérature a peu étudié le rôle même des entreprises dans cette surabondance mondiale d’épargne. Dans une économie fonctionnant normalement, on s’attend à ce que le secteur des entreprises soit emprunteur net, c’est-à-dire à ce qu’il utilise l’épargne excessive des autres secteurs, notamment le secteur des ménages, pour dépenser et accroître l’offre. Mais si les entreprises investissent peu alors même qu’elles réalisent beaucoup de profits, c’est-à-dire si elles tendent au contraire à épargner, elles contribuent en fait à financer le reste de l’économie.

Jan Loeys et ses coauteurs (2005), parmi d’autres, ont précisément mis en évidence l’existence d’une surabondance d’épargne d’entreprises (corporate saving glut) au milieu des années deux mille : le secteur des entreprises a eu tendance à davantage épargner qu’investir, c’est-à-dire à être prêteur net, dans plusieurs pays avancés. Ils expliquaient ce comportement comme dénotant leur désir de reconstituer leurs bilans suite aux excès passés, notamment suite à l’éclatement de la bulle boursière à la fin des années quatre-vingt-dix. Le FMI (2006) attribuait la hausse du prêt net des entreprises à la baisse des taux d’intérêt et à l’allègement de la fiscalité qui auraient amélioré la profitabilité des entreprises, mais aussi à la baisse des prix relatifs des biens d’investissement qui aurait réduit les dépenses d’investissement et à la pratique de plus en plus fréquente des rachats d’actions. Christophe André, Stéphanie Guichard, Mike Kennedy et Dave Turner (2007) considèrent que la récession du début des années deux mille avait également contribué à freiner l’investissement et à stimuler le prêt net. Ces diverses études suggéraient que le prêt net des entreprises diminuerait à mesure que leurs bilans s’améliorent et que la croissance économique se poursuit. Or, non seulement la surabondance d’épargne des entreprises n’a pas disparu, mais la crise financière mondiale l’a sûrement amplifié, en poussant les entreprises à réduire leurs investissement et à nettoyer leurs bilans.

Joseph Gruber et Steven Kamin (2015) ont étudié la hausse du prêt net des entreprises avant et après la crise financière mondiale. Lorsqu’ils observent les sept plus grandes économies, ils constatent que la chute de l’investissement des entreprises lors de la crise financière mondiale est en phase avec ce qui a pu être observé par le passé, étant donnée l’évolution du PIB, des taux d’intérêt et des profits. Ils constatent cependant que l’investissement était initialement à un niveau excessivement faible. Autrement dit, la Grande Récession a pu contribuer à l’excès d’épargne des entreprises, mais cette dernière s’explique également par des facteurs plus structurels. En outre, Gruber et Kamin notent que les dépenses réalisées par les entreprises au bénéfice des propriétaires, notamment les versements de dividendes et les rachats d’actions, ont eu tendance à augmenter depuis le tournant du siècle. Or un tel comportement apparaît incohérent avec l’idée selon laquelle les entreprises auraient cherché à être prudentes et qu’elles auraient réduit leurs dépenses d’investissement pour renforcer leurs bilans, que ce soit en réaction à l’éclatement de la bulle internet ou à la crise financière mondiale.

Comme le développe Martin Wolf (2015), ce comportement a d’importantes implications macroéconomiques. La faiblesse de l’investissement contribue non seulement à freiner l’accumulation des capacités de production, mais elle pèse également sur la demande globale. Si le secteur des entreprises génère un excès d’épargne, les autres secteurs de l’économie (notamment les gouvernements, les ménages ou le reste du monde) sont poussés à être déficitaires. L’excès d’épargne des entreprises a comme contrepartie au Japon une envolée de l’endettement public. Il est compensé au Royaume-Uni et aux Etats-Unis par une hausse de la dette des ménages. Il tend enfin par se traduire par l’apparition de larges excédents courants dans la zone euro et en Allemagne ; ces dernières génèrent alors des pressions déflationnistes sur le reste du monde. Dans un monde où les entreprises sont incapables d’utiliser leur propre épargne pour l’investissement, il n’est pas anormal de voir à la fois des taux d’intérêt extrêmement faibles et des cours boursiers élevés.

 

Références

ANDRÉ, Christophe, Stéphanie GUICHARD, Mike KENNEDY & Dave TURNER (2007), « Corporate net lending: A review of recent trends », OCDE, economics department working paper, n° 583. 

BERNANKE, Ben S. (2005), « The global saving glut and the U.S. current account deficit », 10 mars. 

FMI (2006), « Awash with cash: Why are corporate savings so high », World Economic Outlook.

GRUBER, Joseph W., & Steven B. KAMIN (2015), « The corporate saving glut in the aftermath of the global financial crisis », Fed, international finance discussion paper, n° 1150.

LOEYS, Jan et alii (2005), « Corporates are driving the global saving glut », JP Morgan, juin.

SUMMERS, Lawrence (2014), « U.S. economic prospects: Secular stagnation, hysteresis, and the zero lower bound », in Business Economics, vol. 49, n° 2.

WOLF, Martin (2015), « Corporate surpluses are contributing to the savings glut », in Financial Times, 17 novembre.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : D'un champ l'autre
  • : Méta-manuel en working progress
  • Contact

Twitter

Rechercher