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10 décembre 2015 4 10 /12 /décembre /2015 17:13

Dans les grandes économies avancées, les taux de croissance par tête se sont écroulés bien en-deçà de leur moyenne d’avant crise. Plusieurs études suggèrent également que la croissance potentielle s’est également affaissée, notamment en raison du ralentissement de la croissance de la productivité globale des facteurs, mais cet essoufflement semble avoir déjà été à l’œuvre avant même qu’éclate la crise financière mondiale. La croissance potentielle pourrait rester faible ces prochaines décennies en raison du vieillissement démographique et de l’héritage laissé par la Grande Récession. 

GRAPHIQUE 1  Les trajectoires effective et tendancielle de la production de la zone euro (en indices, base 100 en 1991)

 

La zone euro est promise à une longue stagnation

source : Lin (2015)

Les risques d’une longue période de stagnation sont particulièrement élevés pour la zone euro, comme le rappelle Huidan Lin (2015). Depuis la crise financière mondiale, la production par tête de la zone euro peine difficilement à renouer avec la croissance, si bien qu’elle demeure aujourd’hui au même niveau qu’elle atteignait il y a une décennie et que l’écart qu’elle accuse avec celle des Etats-Unis ne cesse de se creuser. Elle s’éloigne de plus en plus de la trajectoire qu’elle suivait avant la crise (cf. graphique 1). En outre, les estimations et prévisions de production potentielle de la zone euro ont régulièrement été révisées à la baisse depuis la crise (cf. graphique 2).

GRAPHIQUE 2  Production effective et estimations de la production potentielle (en indices, base 100 en 2007)

La zone euro est promise à une longue stagnation

source : Lin (2015)

Du point de vue de l’offre, Lin rappelle que la production dépend du facteur travail, de l’accumulation du capital et de la productivité globale des facteurs ; or chacune de ces composantes risque à moyen terme de moins contribuer à la croissance qu’elle ne le faisait avant la crise financière mondiale. Par exemple, le ralentissement de l’accumulation du capital dans les pays avancés s’est accéléré au cours de la Grande Récession. Mais si l’investissement et l’accumulation du capital se sont accrus aux Etats-Unis après la Grande Récession, l’accumulation du capital dans la zone euro s’est poursuivie plus lentement que la croissance de la population. La Grèce et l’Italie ont quant à elle connu une forte contraction de leur stock de capital (cf. graphique 3).

GRAPHIQUE 3  Investissement privé non résidentiel au premier trimestre 2015 (en indices, base 100 en 2007)

La zone euro est promise à une longue stagnation

source : Lin (2015)

Avant la crise financière mondiale, la zone euro connaissait déjà une baisse de la part de la population en âge de travailler, mais celle-ci était compensée par un accroissement de la population active et une baisse du chômage. Durant la crise, la croissance de la population active a ralenti et le chômage a fortement augmenté, si bien que la contribution du facteur travail à la croissance est devenue négative. Avec le vieillissement démographique, la croissance de l’emploi devrait rester en-deçà des niveaux d’avant-crise. Selon les prévisions du FMI (2015), la croissance de la population devrait se maintenir au rythme annuel moyen à 0,3%, soit à un rythme inférieur de deux tiers à celui observé entre 2002 et 2007.

GRAPHIQUE 4  Taux de croissance annuel moyen de la productivité globale des facteurs (en %)

La zone euro est promise à une longue stagnation

source : Lin (2015)

Quant à la productivité du travail (mesurée par la production par heure travaillée), elle a certes augmenté plus rapidement dans la zone euro qu’aux Etats-Unis jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, ce qui permit de faire converger les niveaux de productivité des deux économies, mais la situation s’est ensuite inversée, si bien que les écarts de productivité se sont à nouveau creusés au début des années deux mille. Pour certains, cette divergence pourrait s’expliquer par le ralentissement de la croissance de la productivité globale des facteurs dans la zone euro (cf. graphique 4). Ce ralentissement s’expliquerait en grande partie par le ralentissement de la productivité dans le tertiaire ; ce dernier s’expliquerait quant à lui par la lenteur de la diffusion des nouvelles technologies d’information et de communication. En conséquence de la Grande Récession, la croissance de la productivité dans les services en zone euro est encore plus faible qu’avant-crise.

GRAPHIQUE 5  Croissance potentielle de la zone euro (en %)

La zone euro est promise à une longue stagnation

source : Lin (2015)

Au final, la croissance potentielle de la zone euro ne devrait que légèrement s’accélérer ces prochaines années : selon les estimations et prévisions du FMI (2015), elle passerait en moyenne de 0,7 % sur la période 2008-2014 à 1,1 % sur la période 2008-2014, soit un rythme inférieur à celui observé sur la période 1999-2007, en l’occurrence 1,9 % par an (cf. graphique 5).

GRAPHIQUE 6  Taux de chômage (en %)

La zone euro est promise à une longue stagnation

source : Lin (2015)

Lin estime également que les perspectives de croissance à moyen terme sont médiocres du point de vue de la demande. Les taux de chômage, notamment de longue durée, restent élevés dans la zone euro, en particulier pour les jeunes (cf. graphique 6). Le taux de chômage s’élève à 11 % dans l’ensemble de la zone euro et atteint le niveau maximal de 25 % en Grèce. La part des personnes au chômage depuis plus d’un an n’a cessé d’augmenter dans l’ensemble de la zone euro, ce qui laisse craindre un enkystement du chômage : au fur et à mesure que les travailleurs restent au chômage, leurs qualifications se dégradent et leurs perspectives d’embauche se réduisent. En raison des effets d’hystérèse, le chômage conjoncturel qui a été généré dans le sillage de la crise financière mondiale se mue peu à peu en chômage structurel. Non seulement une telle dynamique complique la réduction du chômage, mais elle contribue à freiner la demande globale et la croissance potentielle. Surtout, comme le rappelaient notamment Banerji et alii (2014), le chômage élevé des jeunes laisse craindre une véritable « génération perdue ».

 

Références

BANERJI, Angana, Rodolphe BLAVY, Huidan LIN & Sergejs SAKSONOVS (2014), « Youth unemployment in advanced economies in Europe: Searching for solutions », FMI, staff discussion note, n° 14/11, décembre.

FMI (2015), « Where are we headed? Perspectives on potential output », in FMI, World Economic Outlook, Uneven Growth: Short- and Long-Term Factors, avril.

LIN, Huidan (2015), « Risks of stagnation in the euro area », FMI, working paper, décembre.

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6 décembre 2015 7 06 /12 /décembre /2015 17:31

La crise financière mondiale de 2008 a entraîné un accroissement de la dette publique : d’une part, elle a réduit directement les recettes fiscales en freinant l’activité économique ; d’autre part, elle a pu inciter les gouvernements à adopter des plans de relance, c’est-à-dire à accroître délibérément leurs dépenses publiques et à alléger la fiscalité, pour stimuler l’activité. Dans plusieurs pays, en particulier les pays avancés, les déficits publics se sont fortement détériorés alors même que le niveau de dette publique était initialement élevé. Cette nouvelle détérioration des ratios d'endettement a suscité d’autant plus d’inquiétudes que de nombreux pays font face à un vieillissement démographique qui pèsera immanquablement ces prochaines décennies sur les finances publiques. 

Isabel Ortiz, Matthew Cummins, Jeronim Capaldo et Kalaivani Karunanethy (2015) ont examiné les prévisions budgétaires de 187 pays fournies par le FMI pour la période s’étalant entre 2005 et 2020. L’analyse des prévisions budgétaires met en évidence deux phases distinctes dans les dynamiques budgétaires depuis le début de la crise financière mondiale. Lors d’une première période s’écoulant entre 2008 et 2009, la plupart des gouvernements ont adopté des plans de relance budgétaire afin de soutenir l’activité et l’emploi. Par contre, à partir de 2010, les gouvernements ont cherché à stabiliser leur endettement, si bien que les baisses de dépenses publiques et les hausses d’impôts ont eu tendance à se généraliser à travers le monde. La seconde période est caractérisée par deux chocs budgétaires majeurs : un premier survenant entre 2010 et 2011 et un second commençant en 2016 et durant au moins jusqu’en 2020.

Les mesures de consolidation budgétaire, quelle que soit leur forme, pèsent sur l’activité économique et l’emploi, ce qui contribue par là même à réduire leur efficacité. Le resserrement de la politique budgétaire en 2010 a pu apparaître prématuré dans la mesure où la reprise était lente et où le chômage restait élevé dans plusieurs pays, alors même que les pertes de production occasionnées par la crise financière mondiale n’avaient pas été comblées. Les mesures d’austérité ont pu conduire à éloigner davantage le PIB et l’emploi des trajectoires qu’ils auraient suivie s’il n’y avait eu ni crise financière mondiale, ni ajustement budgétaire. Autrement dit, la Grande Récession et la généralisation de l’austérité qui l’a suivie ont appauvri de façon permanente les populations. Au final, la Grande Récession a beau avoir été moins sévère et plus courte que la Grande Dépression, grâce à l’assouplissement des politiques conjoncturelles, mais la reprise qui l’a suivie a été plus lente que celle qui a suivi la crise des années trente en raison de l’austérité budgétaire : sept ans après le début de la crise, les pertes en production mondiale suite à la Grande Récession se sont révélées être plus persistantes que celles occasionnées lors de la Grande Dépression [O’Rourke, 2015].

GRAPHIQUE  Production industrielle mondiale (en indices, base 100 au pic d’avant-crise)

L’économie mondiale face à une décennie d’austérité

source : O’Rourke (2015)

Ortiz et ses coauteurs ont examiné 616 country reports réalisés par le FMI pour identifier quelle forme prend l’ajustement budgétaire dans chaque pays. Ils constatent que les gouvernements s’appuient sur diverses mesures pour consolider leurs finances publiques. En l’occurrence, 132 pays ont recours à des réductions de subventions, notamment sur le carburant, l’agriculture et les produits alimentaires ; 130 pays ont réductions à des réductions ou gels des salaires, notamment dans les secteurs publics de l’éducation et de la santé ; 107 pays réduisent les aides sociales ; 105 pays réforment leur système de retraite ; 89 pays réforment leur marché du travail ; 56 pays réforment leur système de santé. Outre les réductions de dépenses publiques, plusieurs pays ont recours à des hausses d’impôts pour consolider leurs finances publiques. En l’occurrence, 138 pays introduisent ou augmentent des taxes à la consommation (notamment une TVA) ; 55 pays privatisent les services publics et vendent des actifs publics. Les auteurs notent que les mesures d’austérité sont loin d’être adoptées par les seuls gouvernements européens. La majorité des mesures d’austérité qui sont mises en œuvre à travers le monde sont en fait adoptées par les pays en développement.

L’ajustement budgétaire à venir devrait affecter 132 pays en 2016 et persister jusqu’en 2020 selon les estimations d’Ortiz et alii. Le monde en développement en sera le plus sévèrement affecté. 81 pays en développement et 45 pays à haut revenu devraient réduire leurs dépenses publiques au cours du prochain choc. La comparaison du choc prévu ces prochaines années avec la période comprise entre 2005 et 2007 suggère qu’un tiers des pays réduisent excessivement leurs dépenses publiques. L’austérité budgétaire devrait affecter plus des deux tiers des pays entre 2016 et 2020 et concerneront par là même plus de 6 milliards de personnes, soit 80 % de la population mondiale.

La poursuite de l’austérité après 2016 ne manquera pas d’affecter le PIB et l’emploi via ses répercussions sur la demande globale. Les prévisions que réalisent Ortiz et ses coauteurs à partir d’un modèle macroéconomique des Nations Unies indiquent que les réductions budgétaires de ces cinq prochaines années affecteront négativement le PIB et l’emploi dans toutes les régions. En 2020, le PIB mondial sera inférieur de 5,5 % à ce qu’il serait si les gouvernements n’adoptaient pas de mesures d’austérité ces cinq prochaines années ; cette perte en production mondiale se traduira par la perte nette de 12 millions d’emplois à travers le monde sur la seule période comprise entre 2016 et 2020. Les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure seront les pays les plus affectés par l’austérité : en 2020, le PIB des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure sera inférieur de 7,5 % à ce qu’il serait en l’absence d’austérité ces cinq prochaines années ; le PIB des pays à faible revenu sera inférieur de 6 % à ce qu’il serait en l’absence d’austérité. Quant aux pays à haut revenu, leur PIB et leur emploi seront respectivement inférieurs de 4,98 % et 4,75 % aux niveaux qu’ils atteindraient si leurs gouvernements n’adoptaient pas de mesures d’austérité. Géographiquement, ce seront les pays de l’Asie de l’Est et du Pacifique (subissant en moyenne une perte de 11 % de leur PIB) qui seront les plus affectés. En l’occurrence, l’austérité devrait amputer 13 % du PIB en Chine.

 

Références

O’ROURKE, Kevin (2015), « It has finally happened », in The Irish Economy (blog), 29 novembre. Traduction française, « C’est finalement arrivé », in Annotations.

ORTIZ, Isabel, Matthew CUMMINS, Jeronim CAPALDO & Kalaivani KARUNANETHY (2015), « The decade of adjustment: A review of austerity trends 2010-2020 in 187 countries », Organisation Internationale du Travail, ESS working paper, n° 53.

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3 décembre 2015 4 03 /12 /décembre /2015 17:04

La Grande Récession a été si violente et l’inflation s’est par la suite tellement affaiblie que plusieurs banques centrales ont dû ramener leurs taux directeurs au plus proche de zéro. Un tel assouplissement s’est toutefois révélé insuffisant pour ramener les économies au plein emploi et le taux d’inflation à sa cible (généralement 2 %). Pour certains, le taux d’intérêt naturel, c’est-à-dire le taux d’intérêt qui devrait être en vigueur pour stabiliser l’activité et assurer le plein emploi, a même été fortement négatif. Dans une telle situation de trappe à liquidité, beaucoup de banques centrales ont multiplié les mesures « non conventionnelles » pour assouplir davantage leur politique monétaire. Elles ont par exemple réalisé des achats d’actifs à grande échelle, notamment dans le cadre de programmes d’assouplissement quantitatif et elles ont cherché à mieux guider les anticipations des agents à travers la pratique du forward guidance. Certains suggèrent également que les banques centrales relèvent le taux d’inflation qu’elles ciblent, qu’elles se mettent à cibler le PIB nominal ou encore qu’elles émettent de la monnaie-hélicoptère. Aujourd’hui, la Réserve fédérale envisage peut-être de relever enfin ses taux directeurs, mais beaucoup des autres banques centrales du monde développé cherchent toujours à davantage soutenir l’activité économique.

GRAPHIQUE  Les taux directeurs de la BCE, de la Banque nationale du Danemark, de la Banque nationale suisse et de la Banque de Suède (en %)

A zéro et en-deçà. Que nous enseigne la récente expérience avec les taux d’intérêt négatifs ?

source : Jackson (2015)

Beaucoup supposent que la borne inférieure effective des taux directeurs est proche de zéro, mais pas inférieure à celle-ci. Or, plusieurs banques centrales ont adopté ces dernières années des taux d’intérêt négatifs. Depuis le milieu de l’année 2014, quatre banques centrales ont introduit des taux directeurs négatifs : la Banque nationale du Danemark, la Banque centrale européenne, la Banque nationale suisse et la Banque de Suède. En l’occurrence, soit elles ont appliqué un taux d’intérêt négatif sur les dépôts des banques commerciales (cas de la Banque nationale suisse, de la Banque nationale du Danemark et de la BCE), soit elles ont réduit la cible de leur principal taux directeur sous zéro (cas avec la Banque de Suède et la Banque nationale suisse). Ces diverses banques centrales ont généralement adopté des taux d’intérêt négatifs pour stimuler plus amplement leur économie, dans un contexte de faible inflation et de faible croissance ; comme ce contexte persiste, il est probable qu’elles cherchent à davantage pousser leurs taux directeurs en territoire négatif : par exemple, lors de la réunion qui s’est tenue aujourd’hui, la BCE a passé son taux d’intérêt de facilité de dépôt de -0,2 % à -0,3 %. Au Danemark et en Suisse, les banques centrales ont introduit des taux négatifs afin de freiner les entrées de capitaux et de contenir l’appréciation du taux de change. Ces dernières années, même les autres banques centrales, notamment la Fed, n’ont pas exclu la possibilité de réduire leur taux directeur en deçà de zéro.

La transmission d’une variation des taux directeurs négatifs à l’activité économique devrait être en théorie assez similaire à celle d’une variation des taux directeurs au-dessus de zéro [Jackson, 2015]. Les taux directeurs négatifs vont décourager les banques à détenir des réserves excessives à la banque centrale et donc les inciter à prêter, ce qui se traduit par une baisse des taux d’intérêt. En outre, les agents sont incités à ne pas laisser leur épargne oisive sur leurs comptes bancaires, mais plutôt à la placer sous la forme d’actions et d’obligations, ce qui contribue à pousser les prix d’actifs à la hausse via les rééquilibrages de portefeuille. La baisse des taux d’intérêt devrait stimuler le crédit, tandis que la hausse des prix d’actifs devrait générer des effets de richesse. La plus grande disponibilité du crédit et les effets de richesse incitent les résidents, notamment les entreprises et les ménages, à davantage dépenser. En décourageant les entrées de capitaux, les taux directeurs négatifs vont pousser le taux de change à la baisse, donc accroître la compétitivité des produits domestiques sur les marchés internationaux et par là les exportations. L’accroissement de la demande domestique et extérieure stimule alors la production, incite les entreprises à embaucher et conduit finalement à une accélération de l’inflation. En outre, les taux d’intérêt négatifs sont susceptibles de réduire la charge de la dette publique, ce qui accroîtrait la marge de manœuvre budgétaire des gouvernements et leur permettrait de ralentir le rythme de la consolidation budgétaire, réduisant par là la contrainte que cette dernière fait peser sur l’activité.

Les banques centrales ont pu envisager d’adopter des taux d’intérêt négatifs pour éviter les effets pervers que l’on prête aux autres mesures non conventionnelles, notamment à l’assouplissement quantitatif. Les taux d’intérêt négatifs ne sont pourtant pas sans susciter également des inquiétudes. Par exemple, ils sont susceptibles de réduire la profitabilité des banques commerciales et de dégrader finalement l’intermédiation financière. Les banques pourraient être incitées à moins emprunter à la banque centrale pour éviter les réserves excessives et éviter ainsi d’avoir à payer un taux de dépôt négatif, auquel cas les taux d’intérêt pourraient s’accroître sur les marchés interbancaires et obligataires, annulant les bénéfices initiaux des taux directeurs négatifs. Incapables de proposer des rendements attractifs, les fonds monétaires risquent davantage de s’effondrer. Des sociétés financières comme les assureurs et les fonds de pension pourraient être incitées à prendre davantage de risques et à se lancer dans une chasse au rendement particulièrement agressive, ce qui risque de provoquer à terme une nouvelle crise financière. L’ensemble des agents pourraient être incités à prépayer leurs achats et à retarder l’encaissement de chèques, si bien qu’un large volume de liquidité pourrait rester oisif dans l’économie au lieu de financer l’activité productive [McAndrews, 2015]. Les agents sont incités à ne pas laisser leur monnaie sur leurs comptes, ce qui accroît le risque de paniques bancaires, donc à nouveau le risque d’effondrement du secteur bancaire. Enfin, la réduction de la charge de la dette publique pourrait provoquer une baisse excessive des primes de risque souverain, si bien que les taux d’intérêt sur les titres publics seront susceptibles de connaître à l’avenir de plus fortes corrections ; les gouvernements seront quant à eux désincités à surveiller leurs finances publiques et à mettre en œuvre des réformes structurelles [Hannoun, 2015].

Harriet Jackson (2015) a récemment cherché à tirer les leçons de la récente expérience des banques centrales avec les taux d’intérêt négatifs. Elle voit émerger un consensus selon lequel la borne inférieure effective des taux d’intérêt nominaux est négative. Des estimations grossières suggèrent qu’elle pourrait se situer autour de -2 %, bien qu’il y ait une forte incertitude sur sa valeur exacte ; en pratique, elle pourrait plutôt se situer autour de -1 %. En pratique, la transmission des taux directeurs négatifs fonctionne, bien que la transmission aux taux prêteurs et aux taux de dépôt des banques ait généralement été partielle. Les banques se sont en effet révélées réticentes à proposer des taux négatifs à leurs déposants. L’impact sur l’économie réelle de légères variations de taux directeurs négatifs semble plus modeste que celui de variation équivalente de taux directeurs positifs. Enfin, Jackson identifie peu de preuves empiriques suggérant que les taux directeurs négatifs génèrent une volatilité excessive sur les marchés financiers : en présence de taux d’intérêt négatifs, les marchés financiers ont continué de fonctionner sans perturbation significative et il n’y a pas eu de paniques bancaires, du moins jusqu’à présent.

 

Références

CECCHETTI, Stephen G., & Kermit L. SCHOENHOLTZ (2015), « Negative nominal interest rates: back to the future?  », in Money & Banking (blog), 9 février.

HANNOUN, Hervé (2015), « Ultra-low or negative interest rates: what they mean for financial stability and growth », discours, 22 avril.

JACKSON, Harriet (2015), « The international experience with negative policy rates », Banque du Canada, staff discussion paper, n° 2015-13

MCANDREWS, James (2015), « Negative nominal central bank policy rates – Where is the lower bound? », discours.

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