En alimentant l’accumulation du capital et par là les capacités de production d’une économie, l’investissement des entreprises constitue un déterminant clé de la croissance de long terme. Mais il est aussi une composante procyclique particulièrement volatile de la demande globale, si bien qu’il contribue tout particulièrement aux cycles d’affaires, en aggravant le ralentissement de l’activité lors des récessions et en stimulant celle-ci lors des périodes d’expansions. En l’occurrence, l’effondrement de l’investissement explique une large part de la contraction de la demande globale que les pays avancés ont connu en 2008 et qui les fit basculer dans la plus grave crise économique depuis la Grande Dépression des années trente.
Les principales banques centrales des pays avancés ont ramené leurs taux directeurs au plus proche de zéro et adopté des mesures non conventionnelles pour stimuler tant l’investissement des entreprises que l’investissement résidentiel et ainsi ramener les économies au plein emploi. Aujourd’hui, les emprunteurs font face à des taux d’intérêt particulièrement faibles. Les cours boursiers dans les pays avancés ont aussi connu de forte hausse, alimentée par la faiblesse des taux d’intérêt et par le fort appétit vis-à-vis du risque.
Depuis la Grande Récession, l’investissement réel a connu une reprise dans certains pays, alors qu’il continue de stagner dans d’autres pays (notamment l’Allemagne, la France, l’Italie et le Japon) malgré des conditions de financement accommodantes. Or non seulement l’atonie de l’investissement ne permet pas à celui-ci de contribuer à la relance de l’activité à court terme, mais elle réduit aussi le potentiel productif à long terme via les effets d’hystérèse. Autrement dit, la faiblesse de l’investissement pourrait maintenir l’économie dans une stagnation prolongée.
Pour expliquer une quelconque faiblesse de l’investissement au niveau agrégée, deux explications sont souvent privilégiées : soit les entreprises ne désirent pas investir, soit elles désirent lancer des projets d’investissement, mais ne parviennent pas à les financer. Les entreprises peuvent être incertaines quant à l’évolution future de la demande, si bien qu’elles ne désirent pas s’engager dans des investissements irréversibles. En outre, même si les entreprises sont confiantes lorsqu’elles anticipent la demande future, elles peuvent toutefois estimer que les rendements d’un supplément de capital seront faibles. Aujourd'hui, même si la croissance du crédit est lente, cette lenteur ne permet pas de conclure forcément à un problème de financement, puisqu’elle peut aussi bien s’expliquer par une faible offre de crédit que par une faible demande de crédit. Le fait que les conditions de financement soient aujourd'hui très souples suggère qu'il n'y a toutefois pas de problèmes de financement...
Au début de l’année, Bergljot Barkbu, Pelin Berkmen, Pavel Lukyantsau, Sergejs Saksonovs et Hanni Schoelermann (2015) avaient cherché à expliquer la faiblesse de l’investissement en Europe. Plus récemment, Ryan Banerjee, Jonathan Kearns et Marco Lombardi (2015) ont cherché à comprendre l’apparente déconnexion entre les conditions financières et l’investissement dans l’ensemble des pays avancés. Les données empiriques suggèrent que l’incertitude à propos des perspectives économiques futures et des profits attendus a joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’investissement, alors que les conditions de financement ont joué un rôle moins important. Parmi l’ensemble des pays, les forts rendements boursiers observés depuis 2009 ont stimulé l’investissement, d’environ 8 points de pourcentage en moyenne. Le modèle de Banerjee et alii suggère que les écarts de croissance de l’investissement observés d’une économie à l’autre s’expliquent essentiellement par l’incertitude économique. La réduction de l’incertitude au Canada, au Japon, au Royaume-Uni et dans une moindre mesure aux Etats-Unis a contribué à accroître l’investissement dans ces économies d’environ 8 points de pourcentage en moyenne. Inversement, l’accroissement de l’incertitude dans les pays de la zone euro a réduit la croissance de l’investissement d’environ 5 points de pourcentage. Cependant le modèle ne parvient pas à expliquer totalement la faiblesse de l’investissement que l’Italie accuse.
Puisque la faiblesse de l’investissement observée dans plusieurs pays s’expliquerait avant tout par l’incertitude autour des profits attendus, il semble peu efficace d’assouplir davantage les conditions de financement pour relancer l’investissement. L’étude de Banerjee et alii ne précise pas si les entreprises réviseraient leurs anticipations de profit avec l’adoption de mesures d’offre (par exemple, la réduction des impôts ou l’accroissement de la flexibilité du travail) ou par des mesures de demande (notamment la mise en œuvre de plans de relance budgétaire). L’analyse de Barkbu et alii suggérait que c’est avant tout une insuffisance de la demande globale qui explique l'actuelle faiblesse de l’investissement en Europe, ce qui plaiderait en faveur de politiques expansionnistes.
Références