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14 janvier 2016 4 14 /01 /janvier /2016 14:31

 

Au cours des deux dernières décennies, les pays émergents ont amélioré le cadre de leur politique macroéconomique, réduit leurs niveaux de dette et d’inflation, diversifié leur production et leurs exportations et resserré les liens financiers et commerciaux avec le reste du monde. Au début des années deux mille, ils connurent un rythme de croissance qu’ils n’avaient plus atteint depuis les années quatre-vingt, notamment grâce à la hausse des prix des matières premières et l’expansion rapide des échanges internationaux. Ils devinrent même le moteur de la croissance mondiale au cours de cette période : ils contribuèrent à 52 % et à 60 % de la croissance mondiale, respectivement à la veille de la crise financière mondiale et en 2010 [Didier et alii, 2016]. Ils rebondirent rapidement suite à la crise, notamment parce qu’ils purent profiter des marges de manœuvre budgétaire qu’ils eurent acquis au cours des précédentes années. En Chine, le gouvernement et la banque centrale assouplirent puissamment leurs politiques conjoncturelles lors de la Grande Récession, ce qui permit non seulement de stimuler la croissance domestique, mais aussi de pousser les prix des matières premières à la hausse, donc de soutenir l’activité des pays qui en sont exportateurs [Buysse et Vincent, 2015]. En conséquence, la part des pays émergents dans le PIB mondial a fortement augmenté : ils contribuaient à 34 % du PIB mondial en 2014, soit 1,5 fois plus qu’en 1980. La part du commerce mondial réalisée par les pays émergents doubla entre 1994 et 2014, passant de 16 % à 32 %. Puisque l’activité des pays émergents sembla moins sensible aux dynamiques à l’œuvre dans les pays avancés, certains ont pu suggérer qu’un véritable découplage s’était opéré entre les deux ensembles d’économies.

Malheureusement, depuis 2010, les pays émergents connaissent un ralentissement de leur croissance économique. En 2014, leur croissance s’éleva à 4,5 %, contre 7,6 % en 2010 [Didier et alii, 2016]. La croissance observée en 2014 a même été en deçà du rythme moyen qu’elle attint entre 1990 et 2008. L’écart de croissance entre les pays avancés et les pays émergents a notamment atteint son plus faible niveau depuis le début des années deux mille : il s’éleva à 2 points de pourcentage en 2015, contre une moyenne de 4,8 points de pourcentage entre 2003 et 2008 (cf. graphique 1). Pour Kristel Buysse et Evelien Vincent (2015), le point tournant a été la décision du gouvernement chinois de retirer son programme de relance, alors même que la demande ne semblait pas avoir retrouvé son niveau d’avant-crise dans les pays avancés. Pour autant, à la différence des précédents épisodes, le ralentissement ne semble pas avoir été amorcé par un quelconque événement : la crise asiatique, l’éclatement de la bulle internet et la crise financière mondiale avaient en effet été à l’origine du ralentissement de la croissance dans les pays émergents, respectivement en 1998, en 2001 et en 2007.

GRAPHIQUE 1  Ecart de croissance entre les pays développés et les pays émergents (en points de %)

 

Ralentissement des pays émergents : une simple mauvaise passe ?

source : Didier et alii (2016)

La question qui agite les économistes est si ce ralentissement est essentiellement structurel ou conjoncturel ; s’il est essentiellement structurel, il risquerait d’être durable. Pour le déterminer, Tatiana Didier, Ayhan Kose, Franziska Ohnsorge et Lei Ye (2016) ont analysé plus en détails les caractéristiques et les causes de ce ralentissement. Ils confirment que le ralentissement a été inhabituellement synchronisé et prolongé. Il a affecté de nombreux pays émergents et notamment les plus grands d’entre eux : en 2015, l’Afrique du Sud, la Chine et la Russie voyaient leur croissance ralentir, pour la troisième année consécutive. Si toutes les régions du monde en ont été affectées, ce sont l’Amérique latine et les Caraïbes qui en furent les plus touchées. Alors que ce ralentissement s’est produit dans un environnement externe, certes affaibli, mais pas turbulent, son ampleur est comparable à celle des précédents épisodes de turbulences mondiales. En 2014, le nombre de pays émergents qui voyaient leur croissance ralentir depuis au moins trois ans a atteint des niveaux proches à ceux observés lors de la crise financière mondiale de 2008-2009. Ce ralentissement de la croissance a été synchrone avec des révisions à la baisse répétées des prévisions de croissance pour les pays émergents. Les prévisions de croissance pour 2015 sont légèrement inférieures à 4 %, alors qu’elles s’élevaient à 7,6 % en 2010. Lorsque l’on observe les composantes de la croissance du point de vue de la demande, il apparaît qu’elles ont toutes décliné. Les taux de croissance de l’investissement et des exportations ont connu de très fortes baisses : ils ont été divisés par plus de deux par rapport à leur moyenne sur la période 2003-2008. La consommation privée et la consommation publique ont décliné plus modestement.

GRAPHIQUE 2  Contributions respectives des facteurs externes et domestiques dans la croissance des émergents (en points de %)

Ralentissement des pays émergents : une simple mauvaise passe ?

source : Didier et alii (2016)

La nature synchronisée du ralentissement de la croissance dans l’ensemble des pays émergents suggère que des facteurs communs sont à l’œuvre. Le ralentissement de la croissance des pays émergents a initialement été provoqué par des facteurs externes, mais les facteurs domestiques y contribuent également de plus en plus depuis 2014 (cf. graphique 2). La faiblesse du commerce mondiale, la faiblesse des prix des matières premières et le resserrement des conditions financières sont les principaux facteurs externes qui contribuent à ralentir la croissance depuis 2011 ; or le ralentissement même de la croissance des émergents contribue en retour à freiner les prix des matières premières et les échanges mondiaux.

GRAPHIQUE 3  Croissance observée et croissance potentielle des pays émergents (en points de %)

Ralentissement des pays émergents : une simple mauvaise passe ?

source : Didier et alii (2016)

Les facteurs domestiques qui contribuent également à freiner la croissance des émergents incluent le fort ralentissement de la croissance de la productivité, une hausse de l’incertitude autour des politiques économiques et une érosion des marges de manœuvre des politiques monétaire et budgétaire qui empêchent ces dernières de pleinement soutenir l’activité. Afin de distinguer entre les causes structurelles et les causes conjoncturelles derrière ce ralentissement, Didier et alii estiment la croissance potentielle des pays émergents (cf. graphique 3). Ils constatent que cette dernière a effectivement décéléré et que son ralentissement contribue à environ la moitié du ralentissement de la croissance observé entre 2010 et 2014. Cependant, le degré auquel les facteurs structurels contribuent au ralentissement varie fortement d’un pays à l’autre. L’essentiel du déclin de la croissance potentielle résulte du ralentissement de la croissance de la productivité. Le ralentissement de la croissance démographique et le vieillissement de la population ont joué un rôle important dans le ralentissement de la croissance potentielle en freinant l’« accumulation » de facteur travail et la croissance de sa productivité.

 

Références

BUYSSE, Kristel, & Evelien VINCENT (2015), « Factors explaining emerging economies’ growth slowdown », in Banque nationale de Belgique, Economic Review, septembre.

DIDIER, Tatiana, M Ayhan KOSE, Franziska OHNSORGE & Lei (Sandy) YE (2016), « Slowdown in emerging markets: rough patch or prolonged weakness? », CAMA, working paper, n° 01/2016.

KOSE, M. Ayhan, Franziska OHNSORGE, Lei (Sandy) YE (2016), « Emerging markets at a crossroads », in voxEU.org, 7 janvier.

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