Il existe deux grandes explications orthodoxes des cycles d’affaires. D’un côté, selon les néoclassiques, les cycles d’affaires trouvent avant tout leur origine du côté de l’offre. Lorsque l’économie subit un « choc d’offre positif » (une vague d’innovations améliorant la productivité, un contre-choc pétrolier, une baisse de la fiscalité etc.), l’activité tend à s’en trouver stimulée et l’inflation tend à ralentir. Par exemple, grâce au progrès technique, les entreprises ont accès à des méthodes de production qui leur permettent de produire plus rapidement et à moindres coûts ; la baisse des coûts leur permet de baisser leurs prix, donc d’accroître les ventes pour écouler leur supplément de production. Inversement, si l’économie subit un « choc d’offre négatif » (un choc pétrolier, des intempéries ou un conflit qui détruisent le tissu productif et les récoltes, une hausse de la fiscalité, etc.), l’activité tend à ralentir et l’inflation à s’élever. Par exemple, si les prix du pétrole augmentent, les coûts de production se renchérissent, ce qui réduira les profits ; pour maintenir leur marge, les firmes sont incitées à relever leurs prix de vente, mais ce faisant elles accroissent de nouveau les coûts de production des entreprises qui se fournissent auprès d’elles, donc l’inflation risque de s’accélérer. C’est précisément ce qui s’est passé lors de l’épisode de stagflation des années soixante-dix.
D’un autre côté, selon les keynésiens, les cycles d’affaires trouvent avant tout leur origine du côté de la demande globale. Dans leur optique, les entreprises prennent leurs décisions en matière de production, d’investissement, d’embauche et de fixation des prix en fonction de la demande, notamment de leurs anticipations de demande. Si les entreprises anticipent une forte demande, elles auront tendance à augmenter leur production, à investir pour accroître leurs capacités de production, à embaucher et à relever leurs prix. Réciproquement, si elles anticipent qu’elles vendront peu, elles auront tendance à réduire leur production, à réduire leurs dépenses d’investissement de façon à ne pas avoir trop de capacités de production excédentaires, à réduire les embauches, voire à licencier, mais aussi à baisser leurs prix. Autrement dit, une faible demande est susceptible d’entraîner une récession.
Si le cycle économique trouve effectivement sa source du côté de la demande, alors plusieurs mécanismes sont susceptibles d’amplifier les cycles économiques. En effet, lorsque l’économie est en surchauffe, plusieurs cette dernière. Par exemple, si les prix augmentent, les agents vont avoir tendance à anticiper une poursuite de la hausse des prix, ce qui les incite à avancer leurs dépenses, notamment leurs achats de biens durables ; or, l’accroissement immédiat de la demande incite les entreprises à répondre à celle-ci en relevant leurs prix, en particulier si elles font face à des goulots d’étranglement, ce qui alimente en retour l’inflation. Lorsque leurs capacités de production sont saturées, les entreprises sont incitées à les accroître, donc à investir, mais l’investissement n’accroît pas immédiatement l’offre ; par contre, elle alimente instantanément la demande globale. Réciproquement, lorsque l’économie est en récession, cette dernière est susceptible de s’aggraver et de se muer en véritable dépression. En effet, face à une faible demande, les entreprises réduisent leurs dépenses (en investissement ou en consommation intermédiaire), licencient, voire réduisent les salaires, mais elles contribuent par là même à réduire davantage la demande globale. Si les firmes réduisent les prix pour tenter de vendre plus, les agents sont susceptibles d’être incités à reporter leurs achats de biens durables, afin de profiter de plus faibles prix à l’avenir, mais cela comprime davantage la demande à court terme.
Ces deux interprétations ne sont pas en soi contradictoires : théoriquement, il n’est pas impossible que l’économie puisse connaître successivement des chocs d’offre et des chocs de demande. Il est toutefois difficile de déterminer quelle est la source exacte des fluctuations de l’activité, en particulier en temps réel [1]. Dans l’une et l’autre de ces interprétations, les variables réelles comme la production, la consommation et l’investissement ont un comportement procyclique, ce qui est confirmé par les données empiriques. Comme le suggérait notamment Larry Summers (1986), les économistes peuvent observer le comportement de l’inflation afin de déterminer si une récession (ou une expansion) résulte d’un choc d’offre ou de demande ; c’est notamment sur cette idée que se sont appuyés Olivier Blanchard et Danny Quah (1989) lorsqu’ils ont proposé une méthode d’identification empirique des chocs. En effet, si la récession résulte d’une insuffisance de la demande globale, l’inflation devrait avoir tendance à ralentir, voire à laisser place à une déflation. Par contre, si elle résulte de problèmes du côté de l’offre, les prix devraient avoir tendance à augmenter.
Il y a quelques années, Michal Andrle, Jan Brůha et Serhat Solmaz (2013) avaient observé le comportement de l’inflation et de la production dans la zone euro. Ils avaient mis en évidence que les deux variables tendaient à varier dans le même sens. Cette co-variation n’était pas apparente à première vue, mais elle apparaissait clairement à la fréquence des cycles d’affaires. A la fréquence des cycles d’affaires, la production et l’inflation sous-jacente tendent à varier dans le même sens et cette variation est à la fois stable et robuste ; les variations de l’inflation étaient toutefois en retard par rapport aux fluctuations de la production.
Dans une nouvelle contribution, Andrle et alii (2016) ont cherché à déterminer quels sont les principaux facteurs derrière les fluctuations de l’activité économique, mais en élargissant leur échantillon à l’ensemble des pays développés. Ils mettent à nouveau en évidence une tendance robuste et prévisible des variables réelles à varier dans le même sens au cours du cycle d’affaires, aussi bien d’un pays à l’autre qu’au cours du temps. Les cycles d’affaires dans les pays développés semblent trouver leur origine dans une unique source. Dans la mesure où la production réelle et l’inflation tendent à varier dans le même sens, cela plaide à nouveau en faveur d’une explication des cycles d’affaires reliant directement ces derniers à la demande globale. En l’occurrence, cette dernière expliquerait 80 % des variations des agrégats macroéconomiques au cours du cycle d’affaires.
[1] Cette question est cruciale pour les autorités publiques. Celles-ci doivent réagir à un choc d’offre négatif en mettant en œuvre des réformes structurelles afin d’accroître le potentiel de production de l’économie ; elles doivent réagir à un choc de demande négatif en stimulant la demande globale. Par contre, si elles mettent en œuvre des réformes structurelles à l’instant même où l’économie souffre d’une insuffisance de la demande globale, elles risquent de déprimer davantage cette dernière, donc d’aggraver la récession. De même, si elles assouplissent leurs politiques conjoncturelles alors même que la récession résulte de problèmes d’offre, elles risquent de ne pas parvenir à stimuler l’activité, mais par contre d’aggraver la récession en alimentant les pressions inflationnistes et dégradant par là davantage la profitabilité des firmes.
Références
ANDRLE, Michal, Jan BRŮHA & Serhat SOLMAZ (2013), « Inflation and output comovement in the euro area: Love at second sight? », FMI, working paper, n° 13/192, septembre.
BLANCHARD, Olivier J., & Danny QUAH (1989), « The dynamic effects of aggregate demand and supply disturbances », in American Economic Review, vol. 79, n° 4.
SUMMERS, Lawrence H. (1986), « Some skeptical observations on real business cycle theory », in Federal Reserve Bank of Minneapolis Quarterly Review, automne.