Il y a dix ans, l’économie mondiale émergeait à peine de la plus forte crise économique qu’elle ait connue depuis la Grande Dépression des années trente. Au cours de la dernière décennie, les craintes d’une nouvelle récession mondiale se sont régulièrement ravivées, sans pour l’heure se concrétiser ; ce fut notamment le cas autour de 2012 dans le sillage de la crise de la zone euro, autour de 2015 avec la peur d’un atterrissage brutal de l’économie chinoise, puis plus récemment avec l’escalade de la guerre commerciale lancée par l’administration Trump et ces dernières semaines avec l’épidémie du coronavirus.
Rares sont les travaux se focalisant sur les récessions mondiales. Kenneth Rogoff et alii (2002) avaient cherché à déterminer si le ralentissement que connaissait la croissance mondiale en 2001 constituait une récession mondiale, mais ils s’étaient focalisés sur ce seul épisode. En fait, c’est l’ouvrage d’Ayhan Kose et Marco Terrones (2020) qui proposa le premier compte-rendu détaillé des récessions mondiales à partir d’un échantillon de données relatives à 163 pays sur la période allant de 1960 à 2012.
GRAPHIQUE 1 Croissance de la production par tête mondiale (en %)
En observant les données relatives à 181 pays pour la période allant de 1950 à 2019, Ayhan Kose, Naotaka Sugawara et Marco Terrones (2020) viennent de proposer un panorama plus complet des récessions mondiales. Selon leur analyse, il y a eu quatre récessions mondiales au cours des sept dernières décennies : en l’occurrence, en 1975, en 1982, en 1991 et en 2009. Le PIB mondial réel annuel par tête s’est contracté au cours de chacun de ces épisodes (cf. graphique 1). En l'occurrence, mesurée avec les taux de change de marché, la production par tête a baissé en moyenne de 1,3 %, alors qu'elle augmentait en moyenne de 2,2 % au cours des années d’expansion ; mesurée avec les taux de change PPA, la production par tête a baissé de 0,8 % en moyenne, alors qu'elle augmentait en moyenne de 2,5 % au cours des années d'expansion. Seule la récession de 2009 s'est accompagnée d'une chute de la production mondiale (cf. graphique 2). Les données trimestrielles donnent une datation similaire des récessions mondiales et montrent que la durée typique d’une récession mondiale est d’environ une année, ce qui correspond à la durée moyenne des récessions nationales.
GRAPHIQUE 2 Croissance de la production mondiale (en %)
Lors d’une récession mondiale, la contraction de la production par tête s’accompagne d’un affaiblissement des autres indicateurs clés de l’activité économique mondiale. La production mondiale par tête, la production industrielle, le commerce international et la consommation de pétrole amorcent leur ralentissement deux ans avant le début d'une récession mondiale. L'investissement, la production industrielle et le commerce tendent à décliner plus fortement que la production lors des récessions mondiales. En outre, les conditions financières tendent à se durcir, le climat des affaires à se détériorer et l’incertitude entourant la politique économique à augmenter.
Les récessions mondiales ont été très fortement synchronisées au niveau international, avec de sévères perturbations économiques et financières dans plusieurs pays à travers le monde. Chacune d’entre elles a coïncidé avec une récession aux Etats-Unis, mais chaque récession américaine n’a pas été synchrone avec une récession mondiale : entre 1950 et 2019, l’économie américaine a en effet connu dix récessions au total.
Jamais le même scénario ne s'est reproduit. La récession mondiale de 1975 a été provoquée par le premier choc pétrolier, qui accéléra fortement l’inflation. La récession de 1982 a résulté de la conjonction de plusieurs facteurs, notamment du deuxième choc pétrolier et du fort resserrement des politiques monétaires de plusieurs banques centrales, en particulier la Réserve fédérale (le « choc Volcker »). Ce resserrement monétaire et la chute des prix des matières premières provoquée par la récession ont particulièrement nui à plusieurs pays d’Amérique, en les exposant notamment à une crise de la dette publique. La récession mondiale de 1991 a résulté de la confluence de facteurs encore plus nombreux, notamment de la guerre du Golfe, qui accentua l’incertitude géopolitique et provoqua une nouvelle hausse des prix du pétrole, de crises bancaires aux Etats-Unis et dans les pays scandinaves, du resserrement des politiques monétaires européennes dans le sillage de la crise du système monétaire européen et la réunification allemande, ainsi que de la transition brutale des anciens pays du bloc communiste vers des économies de marché. Enfin, la récession mondiale de 2009 a été déclenchée par la crise financière mondiale. Parmi les quatre récessions mondiales enregistrées depuis 1950, elle a été la plus sévère et la plus synchronisée ; outre le fait qu'elle ait été la seule à s’être accompagnée d’une contraction de la production mondiale annuelle, elle a présenté les plus fortes chutes du commerce mondial, des flux de capitaux et de la production industrielle.
Les reprises mondiales, c'est-à-dire les premières années de l'expansion consécutive à une récession mondiale, ont souvent été caractérisées par un rebond généralisé de l’activité économique. Le taux de croissance moyen de la production mondiale au cours de la première année de reprise a été proche de la moyenne à plus long terme. Parmi les quatre reprises mondiales, c’est la reprise consécutive à la récession de 1975 qui présente la plus forte accélération de la croissance au cours de sa première année. La reprise consécutive à la récession de 2009 constitue la deuxième plus forte reprise mondiale, grâce à l’adoption d’une puissante relance budgétaire.
La durée des expansions mondiales vont de six ans (dans le cas de la reprise consécutive à la récession de 1975) à 17 ans (dans le cas de la reprise consécutive à la récession de 1991). L’expansion mondiale actuelle a fêté ses dix ans en 2019. Elle a été synchrone avec la plus longue expansion que les Etats-Unis aient connue au cours de leur histoire. Par rapport aux expansions mondiales passées, elle a certes enregistré une croissance moyenne par tête assez similaire, mais aussi la plus faible croissance du commerce mondial et des flux de capitaux.
Kose et ses coauteurs soulignent que les récessions et reprises mondiales n’ont pas affecté les différents groupes de pays de la même façon. Au cours des récessions mondiales, la croissance de la production par tête a davantage décliné dans les pays développés que dans les pays en développement ; l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud sont même restées en expansion. Parmi les pays en développement, ce sont les pays à faible revenu qui ont connu les plus forte baisse de leur croissance. Au cours des quatre récessions mondiales, les échanges commerciaux et la production industrielle se sont davantage contractées dans les pays développés que dans les pays en développement.
De même, l’impact de la récession mondiale de 2009 n’a pas affecté de la même façon les différents groupes de pays. Les pays développés ont non seulement subi de plein fouet la récession, mais ils ont connu aussi la plus faible reprise en termes de production et de production par tête par rapport aux précédentes récessions mondiales, dans la mesure où beaucoup d’entre eux ont eu des difficultés à assainir leur système financier et à connaître un franc rebond de la demande domestique. Les pays en développement ont par contre connu une croissance positive de la production au cours de la dernière récession mondiale, puis la plus forte reprise mondiale qu’ils aient connue.
Enfin, Kose et ses coauteurs notent que les politiques conjoncturelles sont souvent assouplies lors des récessions mondiales et continuent d’être accommodantes lors des subséquentes reprises mondiales. Dans les pays développés, les politiques monétaires sont restées très accommodantes lors de la reprise consécutive à la récession mondiale de 2009, notamment avec l’usage de mesures non conventionnelles ; par contre, après l’adoption coordonnée de plans de relance budgétaire massifs en 2009, l’impulsion budgétaire a été très vite inversée, ce qui a contribué à fortement freiner la reprise des pays développés. Dans les pays en développement, les politiques budgétaires et monétaires sont restées accommodantes durant l’essentiel de l’actuelle expansion.
Références
KOSE, M. Ayhan, & Marco E. TERRONES (2015), Collapse and Revival: Understanding Global Recessions and Recoveries, FMI.