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29 janvier 2023 7 29 /01 /janvier /2023 10:10
Quelles ont été les répercussions macroéconomiques de l’adoption du ciblage d’inflation ?

La stagflation des années soixante-dix a fini par convaincre les banques centrales de donner la priorité à la seule lutte contre l’inflation ; les travaux des nouveaux classiques leur suggéraient d’ailleurs que la stabilité des prix était le seul objectif qu’elles pouvaient espérer atteindre à long terme et qui maximise le bien-être collectif. Mais Robert Lucas et ses disciples affirmaient également que les banques centrales stabiliseraient plus efficacement les anticipations d’inflation si elles annonçaient publiquement un objectif précis et s’y tenaient. Inspirées par les thèses monétaristes, les banques centrales ont initialement cherché à cibler la croissance de la masse monétaire, mais très vite l’instabilité de la demande de monnaie et des agrégats monétaires les a amenées à abandonner cette stratégie. A partir des années quatre-vingt-dix, elles ont été de plus en plus nombreuses à se tourner vers une nouvelle stratégie : le ciblage de l’inflation.

La banque centrale de la Nouvelle-Zélande est la première à l’avoir adopté, en l’occurrence en 1989. Le taux d’inflation annuelle avait quasiment atteint les 12 % lors des trois années précédentes ; mais au cours des trois années qui suivirent l’adoption du ciblage d’inflation, il chuta à 3 % [Bhalla et alii, 2023]. Quatre autres pays développés, en l’occurrence le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Suède, et six pays émergents, notamment le Brésil, la Colombie et la Pologne, adoptèrent à leur tour le ciblage d’inflation au cours des années 1990. Dans ces pays, le taux d’inflation chuta également dans les trois années qui suivirent l’adoption du ciblage d’inflation. C’est cette apparente réussite qui a incité de nombreuses autres banques centrales a adopter également le ciblage de l’inflation les décennies suivantes.

La littérature a évoqué plusieurs bénéfices que l’adoption du ciblage d’inflation est susceptible de procurer. Celle-ci conduirait à une baisse du taux d’inflation et des anticipations d’inflation, ainsi que de leur volatilité [Bernanke et alii, 2000 ; King, 2002]. La baisse et la stabilisation de l’inflation observée et des anticipations d’inflation amélioreraient la croissance à long terme, par exemple en réduisant l’incertitude et les taux d’intérêt et en incitant par ce biais les entreprises à investir davantage [Bernanke et alii, 2000]. L’adoption du ciblage d’inflation réduirait le « ratio de sacrifice », c’est-à-dire les coûts en termes d’activité économique qui sont associés à une désinflation [Gonçalves et Salles, 2008 ; Huang et alii, 2019]. Elle aurait des bénéfices plus indirects, notamment en termes de croissance et d’efficacité de la politique monétaire, en amenant les autorités à gagner en transparence et en cohérence dans leurs décisions [Bernanke et Mishkin, 1997].

Plusieurs économistes se sont montrés moins enthousiastes [Bhalla et alii, 2023]. Certains doutent que l’adoption du ciblage d’inflation ait significativement contribué à réduire l’inflation, dans la mesure où l’inflation a simultanément baissé dans les pays qui ne l’ont pas adoptée. Kenneth Rogoff (2003) a par exemple noté que la formidable baisse de l’inflation observée à travers le monde depuis le début des années quatre-vingt-dix a été assez généralisée et qu’elle s’était notamment produite dans des pays aux cadres institutionnels très différents. Selon lui, même si l’amélioration de la politique monétaire a pu contribuer à la baisse de l’inflation, elle n’est en tout cas ni le seul facteur, ni le plus important, derrière celle-ci ; la mondialisation, en faisant pression à la baisse sur les prix et les salaires, aurait joué un rôle de premier plan. On peut également envisager d’autres tendances lourdes susceptibles d’avoir alimenté la désinflation, comme le vieillissement démographique. 

D’autres économistes ont précisément douté de l’efficacité de l’adoption du ciblage de l’inflation. Par exemple, la forte baisse de l’inflation qui a été rapidement observée dans les premiers pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation pourrait, non pas résulter de celui-ci, mais être relever d’un simple phénomène de « retour à la moyenne » (regression to the mean) : après avoir atteint des valeurs extrêmes, une variable comme l’inflation tend à revenir à des valeurs moins extrêmes, or une banque centrale risque précisément d’adopter le ciblage d’inflation quand elle juge faire face à une inflation excessivement élevée. Si c’est le cas, l’inflation aurait reflué dans les pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation même s’ils ne l’avaient pas adopté. C’est précisément la conclusion à laquelle ont abouti Laurence Ball et Niamh Sheridan (2004) en étudiant vingt pays de l’OCDE, dont sept qui ont adopté le ciblage d’inflation, à partir de données allant jusqu’à 2001. Ils notent certes que certains pays qui l’ont adopté ont connu une plus forte baisse de l’inflation que les autres, mais ceux-ci avaient initialement subi un plus fort emballement de l’inflation que ces derniers. 

Enfin, certains craignent que l’adoption même du ciblage d’inflation nuise à la croissance économique [Blanchard, 2003 ; Friedman, 2003]. En l’occurrence, l’adoption d’une telle stratégie risque d’amener les banques centrales à se focaliser excessivement sur l’inflation : elles pourraient moins se soucier des coûts macroéconomiques de la stabilisation de l’inflation et moins chercher à stabiliser l’activité en cas de récession. Elles pourraient également être moins attentives au risque d’instabilité financière, voire aggraver celui-ci en encourageant la prise de risque.

A partir d’un échantillon de données relatives à 190 pays, dont 24 pays développés, et allant jusqu’à 2019, Surjit Bhalla, Karan Bhasin et Prakash Loungani (2023) ont cherché à déterminer quelles ont été les répercussions de l’adoption du ciblage d’inflation sur l’inflation, la croissance et l’ancrage des anticipations d’inflation. Dans un premier temps, ils ont analysé des données de panel pour déceler les différences entre les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation et ceux qui ne l’ont pas adopté. Dans un deuxième temps, ils ont utilisé la méthode du contrôle synthétique pour comparer la dynamique de l’inflation et de la croissance qu’ont connue les pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation avec celle qu’ils auraient connue dans un scénario contrefactuel où ils ne l’auraient pas adopté.

Bhalla et ses coauteurs ont abouti à quatre grands résultats. Tout d’abord, si les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation avant 2000 ont connu après son adoption une baisse de leur taux d’inflation, ce n’est le cas que de la moitié des pays qui l’ont adopté ultérieurement. Deuxièmement, il n’apparaît pas de différences significatives en termes d’inflation moyenne, de volatilité de l’inflation et d’ancrage des anticipations d’inflation entre les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation et ceux qui ne l’ont pas adopté. Troisièmement, la méthode du contrôle synthétique suggère que l’adoption du ciblage d’inflation n’a entraîné un gain significatif en termes d’inflation que dans un cas sur trois. Quatrièmement, cette même méthode ne suggère pas que le ciblage d’inflation ait systématiquement dégradé la croissance économique des pays qui l’ont adopté. 

En définitive, Bhalla et ses coauteurs confirment les observations que Ball et Sheridan avaient faites dans le cas des pays développés et montrent qu’elles s’appliquent également dans le cas des pays émergents et en développement. En l’occurrence, ils n’excluent pas la possibilité que les succès en termes d’inflation qu’ont connus les premiers pays à avoir adopté le ciblage d’inflation résultent d’un simple mouvement de retour à la moyenne. Ensuite, ils estiment que le ciblage de l’inflation ne semble guère avoir stimulé la croissance des pays qui l’ont adopté, contrairement à ce que pensent nombre de ses partisans. D’un autre côté, son adoption ne semble pas non plus avoir pénalisé la croissance, contrairement à ce que pensent ses détracteurs.

 

Références

BALL, Laurence, & Niamh SHERIDAN (2004), « Does inflation targeting matter? », in Bernanke & Woodford (dir.), The Inflation-Targeting Debate, University Of Chicago Press.

BERNANKE, Ben S., Thomas LAUBACH, Frederic S. MISHKIN & Adam S. POSEN (2000), Inflation Targeting: Lessons from the International Experience, Princeton University Press.

BERNANKE, Ben S., & Frederic S. MISHKIN (1997), « Inflation targeting: A new framework for monetary policy? », in Journal of Economic perspectives, vol. 11, n° 2.

BHALLA, Surjit S., Karan BHASIN & Prakash LOUNGANI (2023), « Macro effects of formal adoption of inflation targeting », FMI, working paper, n° 23/7.

BLANCHARD, Olivier (2003), « Inflation targeting in transition economies: Experience and prospects. A comment », in Bernanke & Woodford (dir.), The Inflation-Targeting Debate, University Of Chicago Press.

FRIEDMAN, Benjamin M. (2003), « The use and meaning of words in central banking: Inflation targeting, credibility, and transparency », in Mizen (dir.), Essays in Honour of Charles Goodhart, vol. 1, Elgar.

GONÇALVES, Carlos Eduardo S., & João M. SALLES (2008), « Inflation targeting in emerging economies: What do the data say? », in Journal of Development Economics, vol. 85, n° 1-2.

HUANG, Ho-Chuan, Chih-Chuan YEH & Xiuhua WANG (2019), « Inflation targeting and output-inflation tradeoffs », in Journal of International Money and Finance, vol. 96.

KING, Mervyn (2002), « The inflation target ten years on », discours prononcé à la London School of Economics, 19 novembre.

ROGOFF, Kenneth (2003), « Globalization and global disinflation », article préparé pour la conférence de Jackson Hole, 29 août.

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