Le nombre de personnes vivant dans le monde avec moins de 1,25 dollar par jour a fortement baissé ces dernières décennies. Comme le confirment David Dollar, Tatjana Kleineberg et Aart Kraay (2013), la croissance économique a joué un rôle crucial dans ce reflux de la pauvreté absolue. Cette dernière s’explique en effet en grande partie par la croissance rapide de la Chine et de l’Inde. Toutefois, encore un milliard de personnes vivent aujourd’hui dans l’extrême pauvreté. La Banque mondiale a récemment adopté un objectif de réduction de cette forme de pauvreté : faire passer la proportion de la population vivant sous 1,25 dollar par jour (aux prix internationaux de 2005) de 21 % en 2010 à moins de 3 % d’ici 2030.
Martin Ravallion (2013) a cherché à prévoir les taux de pauvreté futurs en supposant que la réduction de la pauvreté dans le monde en développement se poursuive à l’avenir au même rythme qu’actuellement. Il a observé le rythme de réduction de pauvreté ces dernières décennies et il a constaté que le taux de pauvreté mondiale a diminué chaque année de pratiquement un point de pourcentage depuis 1981 (cf. graphique). En utilisant la tendance passée, Ravallion estime que le taux de pauvreté du monde en développement atteindrait 3 % en 2027, soit trois ans en avance par rapport au programme de la Banque mondiale.
GRAPHIQUE Pourcentage de la population vivant dans l’extrême pauvreté dans le monde en développement (en %)
Nobuo Yoshida, Hiroki Uematsu et Carlos Sobrado (2014) ne se montrent pas aussi optimistes. Ils dénotent en effet plusieurs fragilités dans le travail de Ravallion. D’une part, ce dernier suppose un taux de croissance de la population uniforme pour tous les pays, mais les dernières projections démographiques présentent de larges variations dans la croissance démographique d’un pays à l’autre, ce qui n’est pas sans avoir un impact significatif sur la projection de la pauvreté. D’autre part, Ravallion suppose qu’il n’y aura pas de changements dans la répartition du revenu mondial au cours du temps pour établir ses projections, alors qu’il observe lui-même de tels changements au cours des dernières décennies : la répartition mondiale est devenue plus inégale soit parce que les pays connaissent différents taux de croissance, soit parce que les inégalités s’accroissent en leur sein. Yoshida et ses coauteurs estiment le taux de pauvreté mondial de 2030 en reprenant l’approche de Ravallion, mais en utilisant cette fois-ci des taux de croissances économique et démographique spécifiques aux pays et en prenant en compte les changements dans les inégalités au sein de chaque pays. Ils estiment alors que le taux de pauvreté mondial atteindra 8,6 % en 2030, soit un chiffre bien plus élevé que la cible de 3 % de la Banque mondiale.
Leurs conclusions soutiennent la thèse de Kaushik Basu (2013) selon laquelle l’accélération de la croissance n’est pas suffisante pour éliminer rapidement l’extrême pauvreté dans le monde et le partage de la prospérité (que ce soit dans et entre les pays) s’avère essentiel pour l’éliminer en une génération. Les fruits de la croissance ne se diffusent pas nécessairement à l’ensemble de l’économie. Si les inégalités continuent de se creuser entre les pays, mais aussi en leur sein, le monde en développement aurait à atteindre des taux de croissance sans précédent afin d’éliminer rapidement l’extrême pauvreté. Pour que l’objectif de la Banque mondiale soit atteint, il apparaît essentiel aux auteurs d’accélérer la croissance parmi les pays les plus pauvres, mais aussi et surtout d’en faire profiter davantage les couches les plus pauvres de la population. Or, comme le notent à nouveau Yoshida et ses coauteurs avec pessimisme, rien ne certifie que les pays en développement continueront à maintenir des performances macroéconomiques au moins aussi belles que ces dernières décennies. Ils ne sont pas à l’abri d’une crise économique ou d’un simple ralentissement de leur croissance et la stagnation de l’activité parmi les pays avancés contraindrait fortement leur développement si elle persistait durablement.
Références
BASU, Kaushik (2013), « Shared prosperity and the mitigation of poverty In practice and in precept », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7000.
DOLLAR, David, Tatjana KLEINEBERG & Aart KRAAY (2013), « Growth still is good for the poor », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6568, août.
RAVALLION, Martin (2013), « How long will It take to lift one billion people out of poverty? », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6325, janvier.
YOSHIDA, Nobuo, Hiroki UEMATSU & Carlos E. SOBRADO (2014), « Is extreme poverty going to end?, An analytical framework to evaluate progress in ending extreme poverty », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6740, janvier.