L’agence Fitch vient de ramener la dette publique française en catégorie AA. Certains doutent que les agences de notation aient suffisamment d’expertise pour noter les titres publics des grands pays avancés, ce que démontre la relative atonie des marchés lors des dégradations de notations souveraines : malgré la baisse de leur notation, les titres publics continuent de jouer le rôle d’actif sûr et leur taux d’intérêt demeurent historiquement faibles. Ces détériorations ne sont toutefois pas sans avoir des conséquences sur l’activité réelle. En effet, si les agences de notation baissent la note d’un Etat ou menacent de le faire, celui-ci est incité à resserrer sa politique budgétaire pour maintenir la confiance sur les marchés obligataires. Un tel resserrement budgétaire freine la demande globale, en particulier si l’économie était initialement en récession, or la croissance économique demeure le principal déterminant de la soutenabilité de la dette publique. La récession complique également l’assainissement budgétaire en réduisant les recettes fiscales, rendant ainsi l’endettement public encore moins soutenable. La dégradation de la notation souveraine se trouve ainsi justifiée ex post. La poursuite de la récession et la nouvelle détérioration des finances publiques incitent alors les agences de notation à dégrader de nouveau la notation souveraine et d’enfermer le pays dans un cercle vicieux d’austérité budgétaire et de récession.
En utilisant les données de l’agence Standard & Poor’s, Carmen Broto et Luis Molina (2014) observent les « cycles de notation » (rating cycles) à partir d’un échantillon de 67 pays, dont 43 pays émergents. Un cycle de notation complet comprend une phase de dégradation de la note (allant d’un pic à un creux), suivie par une phase d’amélioration où la notation souveraine est ramenée à la hausse, toutefois sans forcément revenir à son niveau initial. Sa périodicité n’est pas nécessairement liée aux cycles d’affaires. Les changements de notation souveraine sont fortement asymétriques, dons la mesure où les phases de dégradation sont plus abruptes et plus rapides que les phases d’amélioration. En d’autres mots, lorsqu’un pays perd sa notation, il lui faut beaucoup de temps pour la retrouver.
Cette asymétrie pourrait s’expliquer par le fait que les signaux sur lesquels les agences se basent pour établir leur notation présentent elles-mêmes une certaine asymétrie. Beaucoup d’études suggèrent toutefois que les agences de notation n’ajustent pas de façon systématiquement leur notation aux indicateurs domestiques. D’une part elles ne répondent aux indicateurs domestiques qu’après un certain délai. Par exemple, Giovanni Ferri et alii (1999) ont analysé la crise asiatique de 1997 et ont constaté que les agences de notation, qui avaient échoué à prédire l’arrivée de la crise, avaient des incitations en termes de réputation à davantage dégrader la notation de ces pays que ne le justifiaient les fondamentaux, ce qui contribua alors à amplifier la crise. De même, les agences de notation ont joué un rôle déterminant dans l’accumulation des déséquilibres qui menèrent à la Grande Récession (en maintenant une bonne note pour des produits risqués) et dans l’aggravation de la crise qui en résulta (en dégradant rapidement les notations des produits structurés risqués, puis celles de certains Etats). Ainsi, les agences de notations seraient excessivement sensibles aux fondamentaux durant les phases de dégradation de note. D’autre part, il se pourrait que les agences soient incitées à donner les notations les plus stables possible, et ce au prix d’un manque de précision. Par conséquent, tant que les fondamentaux changent peu, la notation reste stable, mais si les fondamentaux se dégradent, la notation est rapidement dégradée, ce qui est susceptible de générer de puissantes turbulences sur les marchés des capitaux.
Broto et Molina ont étudié si les agences de notations régissaient de la même manière aux nouvelles informations concernant l’économie domestique dans les phases haussière et baissière du cycle de notation. Leurs résultats indiquent que de bons fondamentaux peuvent aider à lisser ou ralentir le rythme des dégradations, alors qu’ils ne semblent pas accélérer la reprise de la notation. Si les phases de dégradation ont un caractère procyclique, quoique marqué par un certain délai, les phases d’amélioration tendent par contre à être visqueuses.
Références
BROTO, Carmen, & Luis MOLINA (2014), « Sovereign ratings and their asymmetric response to fundamentals », Banque d'Espagne, document de travail, n° 1428.
FERRI, Giovanni, L. G LIU & Joseph E. STIGLITZ (1999), « The procyclical role of rating agencies: Evidence from the East Asian crisis », Banca Monte dei Paschi di Siena, Economic Notes, vol. 28, n° 3.