Les liens économiques se sont renforcés aussi bien au niveau régional que mondial lors du dernier quart de siècle. Le volume, la direction et la nature des flux commerciaux et financiers internationaux ont connu de fortes évolutions sur cette période. Depuis les années soixante (et ce jusqu’à la Grande Récession), le volume des échanges commerciaux s’est accru à un rythme plus rapide que la production mondiale ; le premier représentant trois fois le dernier. Les échanges intra-régionaux ont joué un rôle toujours plus important au sein du commerce international. Cela reflète le développement de pays émergents comme la Chine et la multiplication des accords commerciaux régionaux. Ensuite, les échanges intra-branche ont significativement contribué à l’essor du commerce international ces deux dernières décennies. La fragmentation des processus de production ont aussi particulièrement alimenté la création de flux commerciaux au niveau mondial. Parallèlement, les flux financiers ont également connu depuis les années quatre-vingt une expansion sans précédent. Si les flux financiers entre les économies avancées ont toujours constitué le principal moteur de l’essor des transactions internationales, les flux se sont également multipliés entre les régions constituées de pays avancées et les régions composées de pays en développement.
Ces développements ont pu affecter les patterns mondiaux et régionaux des cycles conjoncturels. On peut ainsi se demander si les forces de globalisation n’auraient pas accru l’interdépendance des pays et mené à une convergence des cycles d’affaires ; en d’autres termes, avec la plus grande ouverture au commerce international et à la finance internationale, les économies seraient devenues plus sensibles aux chocs externes et ces derniers se répercuteraient plus facilement d’un pays à l’autre, si bien que les performances tendraient à devenir plus similaires. Toutefois, malgré la présence de forts liens commerciaux et financiers au niveau mondial, les performances de croissance ont par exemple varié d’une région à l’autre au cours de la Grande Récession. Certaines régions, en particulier l’Asie, se sont en effet montrées particulièrement résilientes et sont rapidement revenues à leurs taux de croissance antérieurs [Abiad et alii, 2012] ; d’autres, comme l’Amérique du Nord et l’Europe, ont subi de profondes et durables contractions de l’activité. Ces événements pourraient au contraire suggérer un éventuel découplage des pays émergents d’avec les pays avancés, les fluctuations conjoncturelles des premiers n’étant plus alors intimement liées à celles des seconds.
L’impact de l’accroissement des échanges sur le degré de synchronisation des cycles mondiaux et régionaux apparaît ambigu, tant au niveau empirique que théorique. D’un côté, le renforcement des liens internationaux génère des externalités tant du côté de l’offre que de la demande et peut ainsi se traduire par une plus forte corrélation des cycles économiques. D’un autre côté, si le renforcement des liens internationaux passe par une plus forte spécialisation des pays, les nouvelles théories du commerce international suggérent au contraire que celui-ci va conduire à une baisse du degré de synchronisation des cycles conjoncturels. L’impact précis de l’approfondissement de la spécialisation sur le degré de comouvement des cycles d’affaires dépendrait en effet de la nature de la spécialisation et du type de choc. Si le renforcement des liens commerciaux est associé à une plus grande spécialisation intersectorielle et non intra-sectorielle, alors la nature des chocs façonnera l’impact exact du développement du commerce sur les fluctuations économiques. Si le cycle conjoncturel repose avant tout sur les chocs spécifiques aux secteurs, alors le comouvement des cycles économiques va s’affaiblir. En revanche, si les chocs communs sont à la source du cycle d’affaires, alors le degré de comouvement va s’élever.
Les études empiriques tendent à conclure à une plus grande synchronisation des cycles avec le développement commerce international. Les externalités d’offre et de demande domineraient ainsi les effets de spécialisation associés aux flux du commerce intersectoriel. L’intensité du commerce a également un plus large effet sur la corrélation des cycles d’affaires d’un pays à l’autre lorsque les économies présentent de fortes liens de commerce intra-branche et des structures sectorielles similaires. Le comouvement s’accroîtrait également avec les accords commerciaux régionaux. En revanche, les études sont plus nuancées concernant les répercussions des facteurs financiers. L’intégration financière conduirait à de plus fortes corrélations dans la production et la consommation dans les pays avancés, mais cet effet serait plus limité dans les pays en développement.
Hideaki Hirata, Ayhan Kose et Christopher Otrok (2013) ont analysé l’impact du renforcement des liens financiers sur l’évolution des cycles économiques régionaux et mondiaux. Leur modèle leur permet d’évaluer les rôles que jouent respectivement les facteurs spécifiques à l’économie mondiale, aux régions et aux pays dans les cycles conjoncturels à partir d’un échantillon de 106 pays, regroupés en 7 régions, pour la période s’étalant de 1960 à 2010. Ils constatent que, depuis le milieu des années quatre-vingt, les facteurs régionaux sont devenus de plus en plus importants pour expliquer les cycles d’affaires, en particulier dans les régions qui ont connu une forte croissance des flux commerciaux et financiers intra-régionaux. Le degré de synchronisation mondiale des cycles ne semble pas avoir varié ces dernières décennies, si bien que le facteur mondial a vu son importance relative décliner au cours du temps. Au final, la récente phase de mondialisation aurait donc vu émerger de véritables cycles d’affaires régionaux.
Références Martin ANOTA
ABIAD, Abdul, John BLUEDORN, Jaime GUAJARDO & Petia TOPALOVA (2012), « The rising resilience of emerging market and developing economies », IMF working paper, n° 300, décembre. Traduction disponible ici.
KOSE, M. Ayhan, E. S. PRASAD, & M. E. TERRONES (2003), « How does globalization affect the synchronization of business cycles? », n° 27, IMF working paper, n° 27.