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8 décembre 2014 1 08 /12 /décembre /2014 19:27

Avant qu’éclate la crise financière mondiale en 2008, les pays en développement ont connu une longue période de forte croissance. En effet, entre 2003 et 2007, la croissance du PIB par tête s’éleva en moyenne à 5,9 % dans les pays en développement, alors qu’elle n’atteignit en moyenne que 2,3 % dans les pays avancés. La période se marque ainsi par une véritable convergence des niveaux de vie. En outre, les pays en développement ont davantage résisté à la crise mondiale que les pays avancés : les premiers virent leur PIB par tête croître à un rythme de 3 % en 2008-2009, tandis que les seconds voyaient le leur décroître au rythme de 2,2 %. Avec une croissance de 6,8 % en 2010, les pays en développement ont rebondi plus rapidement que les pays avancés suite à la Grande Récession. 

Par la suite, le rythme de croissance par tête a fortement ralenti dans les pays en développement : il s’est élevé à 4,6 % en moyenne entre 2010 et 2013. Certes il reste toujours supérieur à celui des pays avancés, mais il est tout de même inférieur de 2 points de pourcentage à son niveau d’avant-crise. Beaucoup ont craint que ce ralentissement soit structurel, c’est-à-dire finalement susceptible de perdurer. Il accrédite l'hypothèse d'une « trappe à revenu intermédiaire » ou d'un « piège du revenu intermédiaire » (middle-income trap) : les pays émergents se sont peut-être suffisamment développé pour sortir du club des pays à faible revenu, mais ils ne pourront atteindre le club des pays à revenu élevé, car ils finiront par stagner. Comme les théories économiques suggèrent que les déterminants de la croissance ne sont pas les mêmes selon que le pays appartienne ou non au club des pays riches, certains suggèrent que les pays en développement sont susceptibles de se retrouver dans une trappe à revenu intermédiaire s’ils sont incapables de renouveler leurs stratégies de croissance, notamment d’adopter certaines réformes structurelles. 

Il y a bientôt une décennie, Ricardo Hausmann, Lant Pritchett et Dani Rodrik (2005) avaient observé des exemples d’accélérations soutenues de la croissance économique. Ils constatèrent que les accélérations de croissance tendent à être corrélées avec des hausses de l’investissement et des échanges, ainsi qu’avec une dépréciation du taux de change. Elles tendent aussi à être corrélées avec des changements de régime politique et des réformes économiques. Toutefois, les accélérations de croissance sont hautement imprévisibles, une conclusion qui fait écho aux précédentes conclusion de William Easterly et alii (1993) : les performances de croissance passées ne sont pas corrélées avec les performances futures. En outre, une majorité de réformes n’entraîne pas une accélération de la croissance. Récemment, la littérature s’est par contre intéressée aux décélérations de la croissance en se focalisant tout particulièrement sur la Chine. Par exemple, Barry Eichengreen, Donghyun Park et Kwanho Shin (2011) ont observé un échantillon de pays qui ont connu une forte croissance avant de voir cette dernière fortement ralentir. Ils ont alors suggéré que ces économies ont vu leur croissance commencer à ralentir lorsque leurs revenus par tête atteignirent aux alentours de 17.000 dollars (constants de 2005). Comme la Chine était proche de ce niveau, ils soulignèrent qu'elle était tout particulièrement susceptible de connaître un ralentissement significatif de sa croissance. 

David Bulman, Maya Eden et Ha Nguyen (2014a, 2014b) suggèrent qu’il n’y a pas de stagnation particulière à un quelconque niveau intermédiaire du revenu : ils ne décèlent pas de ralentissement de la croissance qui puisse amener les pays à revenu intermédiaire à stagner avant de joindre le club des pays à haut revenu. Les « rescapés » (c’est-à-dire les pays qui ont « échappé » à la trappe à revenu intermédiaire et qui devinrent riches) tendent à connaître une croissance régulière et soutenue jusqu’à avoir un haut revenu et ils ne stagnent à aucun niveau de revenu. A l’inverse, les « non rescapés » tendent à avoir une faible croissance à tous les niveaux de revenu. Comparés aux autres pays à revenu intermédiaire, les « rescapés » ont une plus forte croissance à tous les niveaux relatifs de revenu, une plus forte croissance de la productivité totale des facteurs et ils connaissent une industrialisation plus rapide ; ils font preuve d’une meilleur gestion macroéconomique, leurs inégalités de revenu sont plus faibles et ils sont davantage orientés vers l’exportation. En d’autres termes, alors que l’existence d’une trappe à revenu intermédiaire implique que les taux de croissance ralentissent systématiquement lorsque les pays atteignent le statut de pays à revenu intermédiaire, les données ne font pas apparaître un tel ralentissement systématique.

Cependant, Bulman et ses coauteurs constatent que les déterminants de la croissance diffèrent effectivement selon que le pays a un revenu élevé ou faible. Ces divers constats les amènent finalement à nuancer leurs conclusions : les pays à revenu intermédiaire peuvent effectivement avoir à changer de stratégies de croissance pour atteindre le club des pays à haut revenu. Ils constatent en effet que la croissance de la productivité totale des facteurs est une bien plus large source de croissance, à la fois en termes absolus et relatifs, dans les pays à revenu intermédiaire ou élevé que dans les pays à faible revenu : pour ces derniers, l’essentiel de la croissance provient de l’accumulation du capital, tandis que pour les pays à revenu intermédiaire et élevé, la part de la croissance de la productivité totale des facteurs est plus grande. Puisque les pays à faible revenu n’ont qu’un faible niveau de capital, il leur est relativement plus facile d’attirer et d’accumuler du capital. Par contre, lorsque le pays a accumulé beaucoup de capital, les rendements du capital s’affaiblissent ; il lui faut alors chercher ailleurs les moteurs de sa croissance. En l’occurrence, l’investissement dans l’éducation, la recherche-développement et les réformes ont peut-être effectivement un rôle déterminant à jouer dans la poursuite de la croissance. 

 

Références

BULMAN, David, Maya EDEN & Ha NGUYEN (2014a), « Transitioning from low-income growth to high-income growth: Is there a middle income trap? », Banque mondiale, policy research working paper, n° 7104, novembre. 

BULMAN, David, Maya EDEN & Ha NGUYEN (2014b), « There is no middle income trap », Banque mondiale.

EASTERLY, William, Michael KREMER, Lant PRITCHETT & Lawrence SUMMERS (1993), « Good policy or good luck?: Country growth performance and temporary shocks », in Journal of Monetary Economics, vol. 32, n° 3.

EICHENGREEN, Barry, Donghyun PARK & Kwanho SHIN (2011), « When fast growing economies slow down: International evidence and implications for China », NBER, working paper, n° 16919.

HAUSMANN, Ricardo, Lant PRITCHETT & Dani RODRIK (2005), « Growth accelerations », in Journal of Economic Growth, vol. 10, n° 4.

IM, Fernando Gabriel, & David ROSENBLATT (2013), « Middle-income traps: a conceptual and empirical survey », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6594.

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