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12 octobre 2019 6 12 /10 /octobre /2019 15:37
Le cycle d’affaires est-il symétrique ?

Dans la plupart des modèles orthodoxes actuellement utilisés, l’activité économique tend à fluctuer autour d’une trajectoire tendancielle, un « taux naturel ». Dans de tels modèles, les booms et les récessions apparaissent comme des déséquilibres symétriques. Ce sont alors des événements, des « chocs », qui éloignent la production de son niveau naturel, que ce soit à la hausse (dans le cas des chocs « positifs ») en poussant l'économie à la surchauffe ou à la baisse (dans le cas des chocs « négatifs ») en éloignant l'économie du plein emploi.

Non seulement ces modèles tendent à supposer qu’après un choc la production tend à revenir à son niveau naturel, mais ils supposent aussi que le niveau naturel de la production n’est déterminé que du côté de l’offre, par des facteurs structurels. En conséquence, ils concluent que les politiques conjoncturelles ne peuvent qu’amortir les fluctuations, c’est-à-dire ramener la production à son niveau naturel, mais qu’elles n’ont pas d’effets sur ce dernier. Autrement dit, ces modèles tendent à minorer le rôle des politiques conjoncturelles.

Or, les événements ne sont pas toujours cohérents avec cette vision du cycle d'affaires : par exemple, avant la Grande Récession, les pays développés ne présentaient pas de réels signes de surchauffe, du moins pas de significatives tensions inflationnistes.

GRAPHIQUE 1  Logarithme du PNB des Etats-Unis

Le cycle d’affaires est-il symétrique ?

source : Friedman (1984), via Fatás et Mihov (2013)

A travers son « modèle du pincement de la corde de guitare » (« plucking model », Milton Friedman (1964, 1993) avait proposé une autre vision du cycle d’affaires où il n’y a que deux situations possibles : soit la production est à son niveau maximal, le niveau « naturel » correspondant à ce que l'on peut qualifier de plein-emploi, soit elle est en-deçà de celui-ci (cf. graphique 1). Autrement dit, les chocs que subit l’économie, les « pincements » pour reprendre les termes de Friedman, ne peuvent qu’éloigner la production en-deçà de son maximum ou bien la rapprocher de ce maximum. Le cycle d’affaires apparaît alors comme un phénomène asymétrique.

Dans une telle optique, les politiques conjoncturelles, si elles sont correctement utilisées, peuvent accroître le niveau moyen de la production et réduire le taux de chômage moyen, auquel cas elles sont susceptibles d’accroître significativement le bien-être collectif. De plus, si une telle théorie est valide, cela signifie que les estimations actuelles de la production potentielle, qui se contentent souvent de lisser la production pour en tirer la tendance, sous-estiment la production potentielle, ce qui se traduit par une surestimation du risque de surchauffe pour l'économie et risque d'entraîner un resserrement hâtif des politiques conjoncturelles. L'évolution de l'inflation semble cohérente avec cette vision du cycle : la faiblesse de l'inflation suggère que la production potentielle est bien plus élevée qu'on ne l'estime habituellement.

GRAPHIQUE 2  Taux de chômage aux Etats-Unis (en %)

Le cycle d’affaires est-il symétrique ?

source : Dupraz et alii (2019)

note : la courbe bleue indique le taux de chômage, les lignes vertes les pics de l’activité et les lignes rouges les creux de l’activité.

Stéphane Dupraz, Emi Nakamura et Jón Steinsson (2019) estiment que la dynamique du taux de chômage aux Etats-Unis  (cf. graphique 2) présente une forte asymétrie qui semble davantage cohérente avec la vision asymétrique du cycle d’affaires qu’a proposée Friedman qu’avec la vision symétrique des cycles d’affaires qui est habituellement retenue. En effet, les hausses du taux de chômage américain sont suivies par des baisses de même amplitude, mais l’amplitude d’une hausse du chômage n’est pas liée à l’amplitude de sa baisse précédente (cf. graphique 3).

GRAPHIQUE 3  La propriété « plucking » du taux de chômage américain

Le cycle d’affaires est-il symétrique ?

source : Dupraz et alii (2019)

Selon les estimations que propose le FMI (2019) à partir d'un échantillon constitué d'autres pays développés que les Etats-Unis, l'asymétrie du cycle d'affaires n'est pas propre à l'économie américaine : dans les autres pays développés, la hausse du chômage lors des récessions est également suivie par une baisse proportionnelle du chômage lors des reprises qui les suivent, mais il n'y a aucune corrélation significative entre le reflux du chômage lors des expansions et la hausse du chômage lors des récessions qui les suivent.

Dupraz et ses coauteurs ont alors proposé un « modèle du pincement » où l’asymétrie du cycle d’affaires s’explique par la rigidité des salaires nominaux à la baisse : en raison de cette dernière, les chocs positifs entraînent des hausses de salaires, tandis que les chocs négatifs entraînent essentiellement des hausses du chômage, conformément à l’hypothèse de James Tobin (1972) [1]. Les simulations qu’ils réalisent suggèrent que l’élimination des cycles d’affaires se traduit par d’importants gains de bien-être, dans la mesure où elle réduit le taux de chômage moyen. En effet, les fluctuations du chômage sont des fluctuations au-delà d’un point bas du chômage et non des fluctuations symétriques autour d’un taux de chômage naturel, si bien qu’une réduction de la volatilité des chocs non seulement réduit la volatilité du taux de chômage, mais en outre réduit le niveau moyen de ce dernier. D’après les simulations, le maintien systématique de la production à son maximum réduit le taux de chômage moyen d’environ 1,2 point de pourcentage.

Ainsi, le modèle développé par Dupraz et alii suggère qu’il est justifié de s’appuyer sur les politiques conjoncturelles pour ramener la production à son maximum. D’autre part, il plaide pour un relèvement de la cible d’inflation suivie par la banque centrale : le relèvement de la cible d’inflation de 2 % à 4 % se traduit par une baisse du taux de chômage moyen de 1,4 point de pourcentage. Par contre, une réduction de la cible d’inflation de 2 % à 1 % augmenterait le taux de chômage moyen de 1,7 point de pourcentage.

 

[1] L’hypothèse de rigidité des salaires nominaux à la baisse est toutefois contestable, comme l’ont récemment rappelé Michael Elsby et alii (2019)

 

Références

DUPRAZ, Stéphane, Emi NAKAMURA & Jón STEINSSON (2019), « A plucking model of business cycles », NBER, working paper, n° 26351, octobre.

ELSBY, Michael W. L., & Gary SOLON (2019), « How prevalent is downward rigidity in nominal wages? International evidence from payroll records and pay slips », in Journal of Economic Perspectives, vol. 33, n° 3.

FATÁS, Antonio, & Ilian MIHOV (2015), « Recoveries », INSEAD, working paper.

FMI (2019), « The plucking theory of the business cycle », in World Economic Outlook, octobre 2019. Traduction française, « La théorie du pincement de la corde de guitare appliquée au cycle économique », in Perspectives de l'économie mondiale.

FRIEDMAN, Milton (1964), « The monetary studies of the National Bureau », in NBER, The National Bureau Enters Its 45th Year.

FRIEDMAN, Milton (1993), « The "plucking model" of business fluctuations revisited », in Economic Inquiry, vol. 31.

TOBIN, James (1972), « Inflation and unemployment », in American Economic Review, vol. 62, n° 1/2.

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