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5 février 2023 7 05 /02 /février /2023 08:49
Le bilan des banques centrales et l’économie

Le bilan des banques centrales a joué un rôle majeur dans la gestion des chocs financiers et macroéconomiques au cours des quinze dernières années. Lors de la crise financière mondiale de 2008, puis de la pandémie de Covid-19, elles ont procédé à de massifs achats d’actifs et fourni d’amples montants de liquidités au secteur financier. Ces interventions visaient à éviter que le système financier se retrouve paralysé et que les banques fassent faillite à la chaîne, asséchant complètement le financement de l’économie réelle et plongeant celle-ci dans la dépression.

Les interventions des banques centrales en tant que prêteurs en dernier ressort soulèvent toutefois des réserves. Il est par exemple possible qu’elles entraînent une mauvaise allocation du crédit, ce qui nuit à la croissance à long terme, ou qu’elles génèrent un aléa moral et alimentent la prise de risque des institutions financières, ce qui augmente la probabilité qu’une nouvelle crise financière éclate. En fait, en étudiant les crises bancaires qui ont éclaté dans environ 80 pays depuis la fin du dix-neuvième siècle, Michael Bordo et alii (2001) avaient conclu que les pertes en PIB étaient plus importantes lorsqu’elles étaient accompagnées d’une injection de liquidités par les banques centrales. Mais cette observation peut souffrir d’un biais d’endogénéité, dans la mesure où les banques centrales risquent d’injecter d’autant plus de liquidités qu’une crise est sévère. 

Dans tous les cas, les récessions sévères et les crises financières étant des événements rares, il apparaît nécessaire d’adopter une optique de long terme et d’observer un large échantillon de pays pour les étudier et étudier la réaction des banques centrales à leur égard. Niall Ferguson, Andreas Schaab et Moritz Schularick (2015) avaient analysé l’évolution à long terme des bilans des banques centrales, mais sans remonter au-delà du vingtième siècle, ni observer les répercussions des expansions de bilans. Dans une nouvelle étude, Niall Ferguson, Martin Kornejew, Paul Schmelzing et Moritz Schularick (2023) ont analysé l’évolution du bilan des banques centrales de 17 économies majeures sur une période s’étendant sur quatre siècles. Ces travaux montrent qu’au cours du temps la taille des bilans des banques centrales a fortement varié relativement à l’activité économique (cf. graphique 1). Ils remettent en cause l’idée, répandue, que les banques centrales n’ont guère utilisé leurs bilans avant une période récente : dès leur origine, finalement, elles ont utilisé leur pouvoir de création de liquidités pour jouer le rôle de prêteurs en dernier ressort et préserver l’économie de désastres. 

GRAPHIQUE 1  Actifs des banques centrales relativement au PIB (en %)

Le bilan des banques centrales et l’économie

Source : Ferguson et alii (2023)

Les deux tiers des soutiens en liquidité via le bilan des banques centrales que Ferguson et ses coauteurs ont enregistrés pour ces quatre derniers siècles ont été associées à des chocs géopolitiques ou financiers (cf. graphique 2). Initialement, les grandes expansions du bilan des banques centrales visaient à assurer le financement de l’Etat dans des situations de tensions géopolitiques ; ensuite, elles ont surtout été associées à la provision de liquidité lors des épisodes de détresses financières. En l’occurrence, ce n’est qu’à partir de la fin de la Grande Dépression qu’elles ont systématiquement utilisé l’expansion de leur bilan comme outil de stabilisation face aux crises financières. La nature des chocs auxquels le bilan des banques centrales a réagi a changé au fil du temps, pas simplement parce que les chocs ont changé de nature, mais aussi, manifestement, parce que les préférences même des banques centrales ont changé. 

GRAPHIQUE 2  Proportion de banques centrales connaissant une expansion majeure de leur bilan (en %)

Le bilan des banques centrales et l’économie

Source : Ferguson et alii (2023)

Certes, les banques centrales ont eu tendance à davantage détenir de titres publics ces dernières années ; aujourd’hui, elles détiennent environ 17,5 % de la dette publique. Cela dit, cette proportion reste bien moindre que celle observée lors des épisodes de monétisation de la dette publique, notamment ceux réalisés le sillage des guerres napoléoniennes : certaines banques centrales ont alors détenu près de 80 % de l’encours de dette publique (cf. graphique 3). 

GRAPHIQUE 3  Part de la dette publique détenue par les banques centrales (en %)

Le bilan des banques centrales et l’économie

Source : Ferguson et alii (2023)

En s’appuyant notamment sur des articles de journaux, des tribunes, des discours et des autobiographies, Ferguson et ses coauteurs ont distingué les banquiers centraux selon leur apparente position idéologique en matière de soutien au secteur financier : ils qualifient de « faucons » (hawks) les banquiers centraux qui mettaient l’accent sur les problèmes d’aléa moral et l’importance de la stabilité des prix, notamment lorsqu’il s’agissait de justifier une limitation du soutien au secteur financier, et de « colombes » (doves) ceux qui donnaient la priorité à des objectifs de croissance et d’emploi. Il apparaît alors que la position idéologique des banquiers centraux a influencé l’action des banques centrales lors des crises : les « colombes » ont eu une probabilité 36 % plus élevée d’accroître le bilan de leur banque centrale lors d’une crise que les « faucons ».

Lorsqu’ils se penchent sur les répercussions des opérations des banques centrales, Ferguson et ses coauteurs concluent que, tout au long de l’histoire moderne des pays développés, la fourniture de liquidité a contribué à stabiliser efficacement l’économie lors des crises financières. En effet, une forte expansion du bilan d’une banque centrale lors des deux années suivant le début d’une crise financière est associée à un PIB réel 21 % plus élevé au cours des trois années suivantes par rapport à un contrefactuel où il n’y a pas eu une telle expansion du bilan. En outre, cette intervention est associée à un rebond plus rapide des prix d’actifs et de l’investissement et à une baisse plus marquée du chômage. En moyenne, cette stabilisation s’opère sans forte inflation, alors qu’en son absence les crises financières tendent à être suivies par des épisodes prolongés de déflation. De plus, la fourniture de liquidités semble avoir été plus efficace lorsqu’elle est passée par des achats d’actifs privés plutôt que par un soutien de l’emprunt public via des interventions sur le marché des obligations publiques. Ce résultat suggère à Ferguson et à ses coauteurs que la stimulation de l’activité du secteur privée tient étroitement à l’absorption du risque par le secteur public. 

Cela dit, il apparaît que les effets positifs à court terme de l’expansion des bilans des banques centrales s’accompagnent d’effets pervers à moyen terme. Ferguson et ses coauteurs constatent que la fourniture de liquidité par les autorités monétaires est associée par la suite à une probabilité plus élevée d’épisodes de prises de risque excessives et de crises financières. Ce résultat suggère que l’intervention des banques centrales entraîne bien un aléa moral, comme le craignaient les « faucons ».

 

Références

BORDO, Michael D., Barry EICHENGREEN, Daniela KLINGEBIEL & Maria Soledad MARTINEZ-PERIA (2001), « Is the crisis problem growing more severe? », in Economic Policy, vol. 16, n° 32.

FERGUSON, Niall, Martin KORNEJEW, Paul SCHMELZING & Moritz SCHULARICK (2023), « The safety net: Central bank balance sheets and financial crises, 1587-2020 », CEPR, discussion paper, n° 17858.

FERGUSON, Niall, Andreas SCHAAB & Moritz SCHULARICK (2015), « Central bank balance sheets: Expansion and reduction since 1900 », CESifo, working paper, n° 5379.

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