La science économique tend à considérer l'entrepreneuriat comme essentiel à l'accumulation du capital, à l'innovation et à la croissance économique, si bien qu'elle cherche à identifier les diverses barrières susceptibles de freiner le développement de l'entrepreneuriat et par là le processus de destruction créatrice. Mais ses analyses occultent souvent l'hétérogénéité des entrepreneurs. Par exemple, ils ne partagent pas les mêmes compétences, que ce soit pour gérer leur entreprise, la développer ou bien créer des emplois. Ils ne font également pas preuve de la même aversion face au risque. Rien n’assure qu’une entreprise survivra, or les coûts que sa création et que son fonctionnement occasionnent ne sont toujours réversibles. En outre, une telle incertitude précarise la trajectoire de l’entrepreneur. Dans ce contexte, le risque entrepreneurial peut dissuader de nombreux individus de créer leur propre entreprise, alors même qu’ils ont toutes les compétences pour la gérer et la développer. En effet, ils ne peuvent se rendre compte de la réalité de leurs compétences qu’une fois leur entreprise créée. Par conséquent, des activités qui auraient été florissantes sont susceptibles de ne jamais voir le jour. De cette perspective, il semble justifié pour les autorités publiques d’offrir une forme d’assurance aux potentiels entrepreneurs. Cette assurance risque toutefois de perturber l’allocation des ressources si elle incite des entrepreneurs peu efficaces à créer leur entreprise. De ce point de vue-là, le risque entrepreneurial contribue à évincer les potentiels entrepreneurs les moins sûrs de leurs compétences.
Pour observer la tension entre ces deux risques, Johan Hombert, Antoinette Schoar, David Sraer et David Thesmar (2014) ont étudié une réforme qui a été mise en œuvre en France en 2002, en l’occurrence le Plan d’Aide de Retour à l’Emploi (PARE). Celle-ci a fourni une assurance aux chômeurs qui se lançaient dans une activité entrepreneuriale. En effet, jusqu’alors, les entrepreneurs ne pouvaient bénéficier d’allocations chômage si leur entreprise faisait faillite ; avec le PARE, ils pouvaient désormais avoir le droit aux allocations chômage si leur entreprise faisait faillite dans les trois années qui suivaient sa création. En outre, la réforme offrir aux « entrepreneurs chômeurs » la possibilité de combler tout écart entre leurs revenus entrepreneuriaux et leur allocation chômage en percevant une partie de cette dernière, les assurant ainsi contre d’éventuels problèmes de liquidité qui se feraient jour au cours des trois premières années.
Hombert et ses coauteurs constatent que la réforme entraîna une forte accélération des créations d’entreprises. Dès la mise en œuvre de la réforme, la création mensuelle d’entreprises s’accrut immédiatement de 25 %. La croissance d’entrées est plus large de 12 points de pourcentage dans les secteurs où ce sont essentiellement des petites entreprises qui sont créées. Si les entreprises créées grâce à la réforme sont initialement de plus petite taille que les autres, elles ne présentent pas de différences vis-à-vis de ces derniers en termes de taux de survie, de croissance ou de probabilité d’embauche dans les trois années consécutives à leur création. Les entreprises nouvellement créées sont estimées avoir créé chaque année entre 9000 et 24000 emplois. En outre, la réforme n’a pas conduit à significativement changer la population des entrepreneurs. Les caractéristiques personnelles des entrepreneurs, telles que leur niveau d’éducation ou leur ambition, ne sont pas moindres pour les personnes qui se sont lancées dans l’entrepreneuriat avec la réforme.
La réforme est susceptible d’avoir généré un processus de destruction créatrice si l’essor de nouvelles entreprises a érodé les parts de marché des entreprises en place. Hombert et alii constatent que l’entrée de nouvelles entreprises a exercé de puissants effets d’éviction, en particulier sur les petites entreprises en place, qui ont connu un ralentissement de la croissance de 2,6 points de pourcentage suite à la réforme. L’analyse des données ne suggère pas la présence d’effets de débordement sur les grandes entreprises en place, ce qui est cohérent avec l’idée que les petites entreprises en place sont plus exposées à l’intensification de la concurrence que les grandes. L’effet d’éviction est de même ordre d’amplitude que l’effet direct de création d’emplois, si bien que l’effet net sur l’emploi est nul.
Que ce soit avant ou après la réforme, les salaires et la productivité sont plus élevés dans les entreprises nouvellement créées que dans les entreprises déjà en place qui voient leur emploi décliner. Deux ans après la création, la valeur ajoutée annuelle par travailleur est supérieure de 7000 euros dans les premières que dans les secondes. Par conséquent, même si les emplois créés par les entreprises nouvellement créées après la réforme sont complètement compensés par les destructions d’emplois dans les petites entreprises déjà en place, cette réallocation de la main-d’œuvre des secondes vers les premières est finalement susceptible d’avoir un impact positif sur la productivité agrégée et ainsi sur l’ensemble de l’économie française.
Finalement, les quatre auteurs évaluent et comparent les bénéfices et coûts de la réforme. Les bénéfices (notamment la réduction de la durée de chômage, la réallocation des emplois vers les secteurs plus productifs et plus rémunérateurs) pourraient atteindre 350 millions d’euros, tandis que les coûts (les dépenses supportées par l’agence pour l’emploi pour orienter les chômeurs vers l’emploi) s’élevaient à 100 millions d’euros. Bref, les bénéfices de la réforme semblent plus que compenser ses coûts.
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