Suite à l’échec des négociations menées avec les fonds vautours, l’Argentine vient de connaître un second défaut de paiement après la faillite de 2001. Si les marchés et gouvernements redoutent ce type d’événement, ses répercussions restent toutefois encore imprécises…
Il n’y a pas de définition consensuelle du défaut souverain, ce qui complique le recensement de ces événements. On peut considérer qu’un Etat fait défaut lorsqu’il se révèle incapable de payer tout ou partie de sa dette selon les modalités fixées initialement, qu'il s'agisse des intérêts ou du principal. Entre la Seconde Guerre mondiale et 1970, il y eut très peu de défauts souverains à travers le monde. Par contre, entre 1970 et 2010, il y a eu plus de 180 restructurations de dette publique et celles-ci ont concerné 68 pays [Cruces et Trebesch]. L’Amérique latine tend à concentrer l’essentiel des défauts souverains. Certains pays comme l’Argentine, le Brésil et le Nigéria ont connu plus de six restructurations au cours de cette période. Les pertes essuyées par les créanciers (les « haircuts ») s’élèvent en moyenne à 37 %. Elles se sont accrues au cours du temps : elles s’élevaient à 25 % dans les années quatre-vingt, puis à 50 % dans les années quatre-vingt-dix et deux mille. Au cours du dernier demi-siècle, les defaults souverains n’ont concerné que les pays en développement. La crise de la zone euro et surtout les difficultés budgétaires rencontrées par la Grèce ont montré que les pays avancés ne sont pas immunisés contre les défauts souverains.
Aux yeux des économistes, la présence de coûts associés au défaut souverain rend précisément possible l’endettement public. Si rien n’obligeait les Etats à rembourser leur dette, les agents ne seraient pas incités à leur prêter, à moins qu’ils soient « irrationnels ». Si, par contre, il est coûteux pour les Etats de faire défaut sur leur dette publique, ils sont incités à assurer le service de leur dette ; puisque les agents prennent eux-mêmes en compte l’existence de ces coûts et leur effet incitatif sur les gouvernements, ils sont de leur côté incités à prêter.
Il existe tout d’abord des coûts en termes de réputation : un Etat qui ne rembourse pas sa dette fait face au risque d’être exclu des marchés financiers. Pour Jonathan Eaton et Mark Gersovitz (1981), la menace d’une exclusion des marchés financiers constitue même une condition suffisante pour que l’Etat soit incité à rembourser sa dette. En outre, si un Etat se révélait incapable de rembourser sa dette, il enverrait un signal négatif aux parties engagées dans d’autres transactions, ce qui renforce son incitation à assurer le service de sa dette. Ensuite, un pays qui connaît un défaut de paiement fait face au risque de sanctions commerciales, voire militaires, de la part des pays où résident les créanciers. En l’occurrence, Jeremy Bulow et Kenneth Rogoff (1989) doutent que les coûts en termes de réputation soient importants et considèrent que les sanctions directes, notamment commerciales, constituent le principal mécanisme incitant les Etats à rembourser leur dette. En outre, un défaut souverain affecte l’activité économique, notamment en générant des turbulences bancaires. En effet, les banques détiennent des titres publics dans leurs portefeuilles, en particulier au sein des pays en développement. Un défaut souverain affaiblit alors leurs bilans et est susceptible de générer non seulement un effondrement du crédit, mais aussi une panique bancaire. Or, avec l’exclusion des marchés financiers, le gouvernement perd en marge de manœuvre pour recapitaliser les banques. En outre, les résidents sont susceptibles de perdre confiance envers leur monnaie. Toutes ces répercussions du défaut se traduisent enfin par un coût politique : si la poursuite d’une forte croissance tend naturellement à renforcer le gouvernement en place, les récessions et crises bancaires tendent réciproquement à réduire la durée des gouvernants au pouvoir.
La littérature empirique semble suggérer que ces divers coûts sont temporaires. En observant la période s’écoulant entre 1997 et 2004, Eduardo Borensztein et Ugo Panizza (2009) confirment que les pays qui connaissent un défaut souverain perdent alors l’accès aux marchés des capitaux internationaux. La notation de crédit chute immédiatement et les primes de risque souverain augmentent d’environ 400 points de base. Cet effet est toutefois de courte durée et disparaît entre trois et cinq ans après le défaut. Gaston Gelosa, Ratna Sahaya et Guido Sandleris (2011) montrent également qu’après un défaut souverain, les pays sont exclus des marchés des capitaux internationaux en moyenne durant quatre ans. Bref la courte exclusion des marchés financiers pourrait suggérer que ces derniers ont une courte mémoire.
Juan José Cruces et Christoph Trebesch (2013) ont fortement nuancé cette conclusion. D’après eux, les défauts sont associés à de substantiels coûts pour les gouvernements à moyen terme, mais pour les faire apparaître, il faut distinguer les défauts souverains selon les pertes essuyées par les créanciers. Les plus larges décotes (haircuts) sont fortement associées à de plus hauts coûts d’emprunt suite au défaut et à de plus longues exclusions des marchés financiers. Les taux d’intérêt sur la dette publique des pays ayant subi les plus fortes décotes sont supérieures de 200 points de base aux taux des pays ayant subi les moindres décotes, en particulier trois à sept ans après la restructuration. En moyenne, une hausse de la décote de 22 points de pourcentage est associée à une hausse du taux d’intérêt de 1,5 point de pourcentage. En outre, il existe une forte corrélation négative entre la taille de la décote et la probabilité de retourner sur les marchés des capitaux internationaux. Les pays imposant des décotes supérieures à 60 % restent en général exclus, même après 10 ans.
Les études empiriques ont également cherché à évaluer quantitativement les autres coûts des défauts souverains. L’analyse réalisée par Andrew Rose (2005) suggère que le volume des échanges bilatéraux chute d’environ 8 % par an suite au défaut souverain. Borensztein et Panizza constatent également un effondrement des échanges commerciaux suite au défaut souverain, mais ils ne parviennent pas à identifier précisément les canaux par lesquels le défaut affecte les échanges. L’impact semble une nouvelle fois de courte durée et les répercussions commerciales du défaut semblent disparaître deux à trois ans après. Borensztein et Panizza ont estimé ensuite les répercussions du défaut souverain sur la croissance économique. En moyenne, le taux de croissance diminue de 2,5 points de pourcentage l’année du défaut. Par contre, les effets sur la croissance ne semblent pas significatifs l’année suivante. En fait, le ralentissement de l’activité semble précéder le défaut, ce qui suggère qu’il s’explique essentiellement par les anticipations mêmes du défaut.
Les gouvernements ont tendance à retarder leur défaut de paiement, même lorsque celui-ci apparaît inévitable. Borensztein et Panizza avancent deux raisons pour expliquer cette réticence. D’une part, d’importants coûts politiques peuvent être associés aux défauts souverains. En moyenne, le soutien électoral pour le gouvernement en place diminue de 16 points de pourcentage suite au défaut. Un tel coût politique incite le gouvernement à rembourser sa dette et donc à veiller à sa soutenabilité. Mais lorsque l’endettement se révèle finalement insoutenable, ce même coût politique désincite également les gouvernements à s’annoncer en défaut de paiement et les pousse donc à le retarder, ce qui en amplifie alors les coûts économiques. D’autre part, il se pourrait que les responsables politiques retardent le défaut pour s’assurer que les participants de marché le considèrent comme inévitable et non pas stratégique.
Ces études ont fourni d’importants enseignements pour la crise de la dette souveraine en zone euro. Pour Borensztein et Panizza, la dépréciation du taux de change joue un rôle essentiel pour réduire les coûts d’un défaut souverain, notamment en stimulant les exportations. Par conséquent, si un Etat-membre de la zone euro (comme la Grèce) faisait défaut sur sa dette souveraine, il ne pourrait jouer sur son taux de change pour amortir les coûts du défaut s’il gardait la monnaie unique. En d’autres termes, un défaut souverain apparaît peu envisageable pour la Grèce s’il ne s’accompagne pas simultanément d’un abandon de la monnaie unique...
Références
BORENSZTEIN, Eduardo, & Ugo PANIZZA (2009), « The costs of sovereign default », Fonds monétaire international, staff paper, vol. 56.
BULOW, Jeremy, & Kenneth ROGOFF (1989), « A constant recontracting model of sovereign debt », in Journal of Political Economy, vol. 97, n° 1.
CRUCES, Juan José, & Christoph TREBESCH (2013), « Sovereign defaults: The price of haircuts », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 5, n° 3, juillet.
EATON, Jonathan, & Mark GERSOVITZ (1981), « Debt with potential repudiation: Theoretical and empirical analysis », in Review of Economic Studies, vol. 48, n° 2.
GELOSA, R. Gaston, Ratna SAHAYA & Guido SANDLERIS (2011), « Sovereign borrowing by developing countries: What determines market access? », in Journal of International Economics, vol. 83, n° 2.
ROSE, Andrew K. (2005), « One reason countries pay their debts: Renegotiation and international trade », in Journal of Development Economics, vol. 77, n° 1.