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26 juillet 2020 7 26 /07 /juillet /2020 15:33
La faible croissance de la productivité en Europe, un héritage de la crise financière ?

La reprise consécutive à la crise financière mondiale a été marquée par une faible croissance de la productivité du travail et de la productivité globale des facteurs dans les pays développés [Cette et alii, 2016 ; Adler et alii, 2017].

Beaucoup ont souligné qu’un choc transitoire est susceptible d’avoir des répercussions structurelles : les récessions dégradent le potentiel de production via ce que la littérature a qualifié d’effets d’hystérèse (ou d’hystérésis) [Haltmaier, 2012 ; Ball, 2014 ; FMI, 2015 ; Martin et alii, 2015 ; Blanchard et alii, 2015 ; Cerra et Saxena, 2017]. Par exemple, les travailleurs perdent d’autant plus en compétences qu’ils passent de temps au chômage. Les entreprises peuvent ne pas être enclines ou capables d’investir si elles font face à une faible demande, si elles cherchent à se désendetter ou si les banques sont frileuses à prêter ; or, dès lors qu’elles amènent les entreprises à moins investir, les récessions sont susceptibles de freiner l’innovation et la diffusion des nouvelles technologies [Anzoategui et alii, 2019], etc. Les gouvernements peuvent eux-mêmes dégrader le potentiel de croissance lorsqu’ils adoptent des plans d’austérité budgétaire [Fatas et Summers, 2018].

Dans le cas des Etats-Unis, le ralentissement de la croissance tendancielle pourrait être en grande partie indépendant de la Grande Récession [Fernald, 2014 ; Fernald et alii, 2017]. L’économie américaine avait connu un boom de la productivité à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, mais celui-ci s’est achevé quelques années avant qu’éclate la crise financière. D’ailleurs la croissance trimestrielle de la productivité globale des facteurs a été plus faible durant la période allant de la fin de l’année 2004 à l’année 2007 qu’elle ne l’a été durant la période allant de la fin de l’année 2007 à l’année 2019. Le boom de la productivité observé à partir du milieu des années quatre-vingt-dix tient au développement et à la diffusion des technologies d’information et de communication. La question qui se pose est de savoir si l’essoufflement de ce boom est définitif ou simplement temporaire. Certains doutent que les technologies soient sur le point de générer à nouveau de significatifs gains de productivité [Gordon, 2012]. En effet, il semble de plus en plus dur de trouver de nouvelles idées [Bloom et alii, 2020].

Dans le cas des pays européens, en l’occurrence des quinze pays qui appartenaient à l’UE avant son élargissement en 2004, John Fernald et Robert Inklaar (2020) estiment que la faiblesse de la croissance de la productivité observée après la Grande Récession ne tient pas non plus essentiellement à cette dernière. La croissance de la productivité du travail et celle de la productivité globale des facteurs ont toutes les deux commencé à ralentir, comme aux Etats-Unis, avant la crise financière mondiale (cf. graphique 1) [Cette et alii, 2016]. Par conséquent, si cette dernière ou les politiques adoptées dans son sillage ont pu jouer un rôle significatif dans le ralentissement de la croissance de la productivité, d’autres facteurs ont dans tous les cas contribué à freiner la croissance de la productivité avant qu’éclate la crise financière mondiale.

GRAPHIQUE 1  Variation annuelle de la productivité globale des facteurs européenne (en %)

La faible croissance de la productivité en Europe, un héritage de la crise financière ?

source : Fernald et Inklaar (2020)

Pour Fernald et Inklaar, la faiblesse de la croissance de la productivité du travail en Europe tient essentiellement à la faible croissance de la productivité globale des facteurs et non à la faiblesse de la formation de capital ; l’investissement dans les usines, les équipements, les logiciels, etc., ne semble jouer, au maximum, qu’un petit rôle dans la faible croissance de la productivité du travail. En effet, les ratios capital sur production n'apparaissent pas particulièrement faibles relativement aux tendances d’avant-crise. 

GRAPHIQUE 2  Niveau de la productivité globale des facteurs (relativement à celle des Etats-Unis en 1995)

La faible croissance de la productivité en Europe, un héritage de la crise financière ?

source : Fernald et Inklaar (2020)

Certes, en Europe, la croissance de la productivité globale des facteurs avait déjà ralenti dans le sillage des années soixante ; ce ralentissement correspondait à la fin de la période de reconstruction et de rattrapage de l’Europe qui suivit la Seconde Guerre mondiale. Mais le nouveau ralentissement observé à partir des années quatre-vingt-dix, synchrone au boom américain, est une autre affaire. Après le milieu des années quatre-vingt-dix, la productivité globale des facteurs des économies européennes a arrêté de converger vers celle des Etats-Unis et elle a même commencé à diverger pour certaines d’entre elles, notamment l’Espagne et l’Italie (cf. graphique 2). Si les pays d’Europe du Nord n’ont que légèrement perdu du terrain vis-à-vis de la frontière technologique, les pays du sud de l’Europe en ont beaucoup perdu. Contrairement aux Etats-Unis, l’analyse statistique suggère que la crise financière mondiale a davantage freiné la croissance de la productivité globale des facteurs dans certains pays nordiques, mais cette croissance était initialement faible.

Fernald et Inklaar n’ont pas cherché à expliquer pourquoi la crise financière mondiale semble avoir joué un rôle plus significatif dans le ralentissement de la croissance de la productivité en Europe qu’aux Etats-Unis. Ils évoquent toutefois une possible raison : les politiques budgétaire et monétaire ont pu réagir moins agressivement à la Grande Récession en Europe qu’elles ne l’ont fait aux Etats-Unis, auquel cas une plus grande partie des dommages conjoncturels y sont devenus structurels, via les effets d’hystérèse.

La faiblesse de la croissance de la croissance de la productivité en Europe n’est pas un constat nouveau ; les recommandations en termes de politique économique sont toutefois plus difficiles à établir qu’il y a une décennie. Avant la crise financière internationale, la littérature tendait à considérer que les pays européens n’avaient pas su s’adapter, en termes de flexibilité, de compétences, de gestion, etc., pour devenir une économie de la connaissance [Timmer et alii, 2010]. Au début du siècle, beaucoup appelaient à l’adoption de réformes structurelles pour assouplir un cadre institutionnel jugé excessif ou tout du moins inadapté et le rapprocher de celui en vigueur aux Etats-Unis : les réglementations européennes des marchés des produits et du travail étaient accusées de freiner la concurrence, le processus de destruction créatrice et en définitive le progrès technique. Or, il n’est plus certain que l’économie étasunienne constitue encore aujourd’hui un modèle de concurrence et d’innovation : les pays européens ont fortement assoupli leur réglementation depuis les années quatre-vingt-dix et leurs marchés s’avèrent aujourd’hui bien plus concurrentiels que ceux des Etats-Unis [Gutiérrez et Philippon, 2018]. L'économie américaine souffre d’une concentration croissante de ses marchés des produits et d’un faible dynamisme de leurs entreprises. Par conséquent, Fernald et Inklaar doutent que la simple adoption de réformes structurelles puisse être mécaniquement suivie par une accélération de la croissance de la productivité en Europe.

 

Références

ADLER, Gustavo, Romain A. DUVAL, Davide FURCERI, Sinem KILIÇ ÇELIK, Ksenia KOLOSKOVA & Marcos POPLAWSKI-RIBEIRO (2017), « Gone with the headwinds: Global productivity », FMI, staff discussion note, n° 17/04.

ANZOATEGUI, Diego, Diego COMIN, Mark GERTLER & Joseba MARTINEZ (2019), « Endogenous technology adoption and R&D as sources of business cycle persistence », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 11, n° 3.

BALL, Laurence M. (2014), « Long-term damage from the Great Recession in OECD countries », NBER, working paper, n° 20185, mai.

BERGEAUD, Antonin, Gilbert CETTE & Rémy LECAT (2016), Le Bel Avenir de la croissance, Odile Jacob.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », FMI, working paper, novembre.

BLOOM, Nicholas A., Charles I. JONES, John VAN REENEN & Michael WEBB (2020), « Are ideas getting harder to find? », in American Economic Review, vol. 110, n° 4.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2017), « Booms, crises, and recoveries: A new paradigm of the business cycle and its policy implications », FMI, working paper, n° 17/250.

CETTE, Gilbert, John G. FERNALD & Benoît MOJON (2016), « The pre-Great Recession slowdown in productivity », in European Economic Review, vol. 88.

FATAS, Antonio, & Lawrence H. SUMMERS (2018), « The permanent effects of fiscal consolidations », in Journal of International Economics, vol. 112.

FERNALD, John G. (2014), « Productivity and potential output before, during, and after the Great Recession », in NBER Macroeconomics Annual 2014.

FERNALD, John G., Robert E. HALL, James H. STOCK & Mark W. WATSON (2017), « The disappointing recovery of output after 2009 », in Brookings Papers on Economic Activity.

FERNALD, John & Robert INKLAAR (2020), « Does disappointing European productivity growth reflect a slowing trend? Weighing the evidence and assessing the future », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2020-22.

FMI (2015), « Where are we headed? Perspectives on potential output », World Economic Outlook, chapitre 3.

HALTMAIER, Jane (2012), « Do recessions affect potential output? », Fed, international finance discussion paper, n° 1066.

GORDON, Robert (2012), « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », CEPR, policy insight, n° 63.

GUTIERREZ, Germán, & Thomas PHILIPPON (2018), « How EU markets became more competitive than US markets: A study of institutional drift », NBER, working paper, n° 24700.

MARTIN, Robert, Teyanna MUNYAN & Beth Anne WILSON (2015), « Potential output and recessions: Are we fooling ourselves? », Fed, international finance discussion paper, n° 1145.

PHILIPPON, Thomas (2019), The Great Reversal. How America gave up on free markets, Harvard University Press. 

TIMMER, Marcel P., Robert INKLAAR, Mary O’MAHONY & Bart VAN ARK (2010), Economic Growth in Europe: A Comparative Industry Perspective, Cambridge University Press.

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28 juin 2020 7 28 /06 /juin /2020 16:40
Faut-il être né riche pour être riche ?

Ces dernières décennies, les pays développés ont connu un véritable « retour du capital » [Piketty et Zucman, 2014]. Au Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et en France, les ratios patrimoine sur revenu ont augmenté depuis les années soixante-dix, en passant d’environ 2-3 en 1970 à 4-6 en 2010. Dans les pays européens, les ratios ont ainsi retrouvé ces dernières années les niveaux qu’ils atteignaient un siècle plus tôt et tendent à revenir aux niveaux exceptionnellement élevés qu’ils atteignaient aux dix-huitième et dix-neuvième siècle (cf. graphique 1).

GRAPHIQUE 1  Ratio richesse privée sur revenu national en Europe

Faut-il être né riche pour être riche ?

source : Piketty et Zucman (2014)

Une telle évolution peut susciter un sentiment d'injustice. En effet, la répartition du patrimoine est très inégale, en l’occurrence bien plus que celle des revenus [Garbinti et alii, 2016]. Dans la mesure où le patrimoine génère un revenu, les inégalités patrimoniales peuvent facilement avoir tendance à se creuser au sein d'une même génération. Et comme beaucoup d'inégalités, elles peuvent avoir tendance à se reproduire d'une génération à l'autre.

Si de nombreuses analyses se sont penchées sur la corrélation intergénérationnelle des revenus [Lefranc et Trannoy, 2005 ; Corak, 2013], plus rares sont celles qui ont étudié la corrélation intergénérationnelle des patrimoines. Dans le cas français, quelques analyses ont fourni un tel travail, mais elles se focalisent sur le dix-neuvième siècle et le début du vingtième siècle. En se concentrant sur la période allant le 1800 à 1938, Luc Arrondel et Cyril Grange (2006) ont mis en évidence un faible degré de mobilité intergénérationnelle de la richesse : ceux dont le père avait deux fois le niveau moyen de richesse avaient à leur mort un patrimoine 1,45 fois plus élevé que la moyenne de leur génération. De leur côté, Jérôme Bourdieu et alii (2017), dans une analyse allant jusqu’aux années soixante, ont noté que la mobilité n’est constante ni dans le temps, ni selon la position dans la répartition du patrimoine : par exemple, elle était stable et essentiellement descendante durant le dix-neuvième siècle, dans la mesure où la taille du groupe des plus modestes continuait alors à gonfler, puis elle a augmenté après la Première Guerre mondiale, notamment avec le développement des classes moyennes.

Ces analyses explorent peu les sources de la corrélation intergénérationnelle entre les patrimoines. Celle-ci peut s’expliquer par différents facteurs [Arrondel et Grange, 2018], en premier lieu la corrélation intergénérationnelle entre les revenus. En l’occurrence, si ce sont les enfants des plus riches qui tendent à se constituer le plus facilement un patrimoine, c’est peut-être parce qu’ils tendent, comme leurs parents, à gagner un haut revenu. Une corrélation entre les revenus peut s’expliquer par l’investissement dans le capital humain : un ménage peut d’autant plus investir dans l’éducation de ses enfants qu’il gagne un revenu plus important. La corrélation entre les revenus peut aussi s’expliquer par une troisième variable liée (comme le revenu) au statut social, comme le niveau de diplôme des parents ou le capital social de ces derniers. Par exemple, les diplômés tendent à être davantage rémunérés que les non-diplômés, mais ils peuvent aussi, relativement à ces derniers, plus facilement transmettre à leurs enfants la culture valorisée à l’école, ce qui permettra à ceux-ci d’avoir plus de chances d’être diplômés et donc d’être mieux rémunérés que les enfants des non-diplômés, etc

La corrélation intergénérationnelle entre les patrimoines peut également s’expliquer par les transferts directs de richesses, c’est-à-dire les legs et dons, or il est probable que ces derniers aient eu tendance ces dernières décennies à renforcer la corrélation intergénérationnelle entre les patrimoines. En effet, la repatrimonialisation que les pays développés connaissent correspond avant tout à un retour de l’héritage [Frémeaux, 2018]. L’accroissement de l’importance relative du patrimoine ce dernier demi-siècle s’est accompagné d’une hausse de la part de la part de la richesse agrégée qui est héritée [Alvaredo et alii, 2017]. En Europe, la richesse héritée représentait environ 70-80 % de l’ensemble du patrimoine au tout début du vingtième siècle ; cette part a ensuite chuté pour atteindre 30-40 % entre 1950 à 1980, avant de repartir à la hausse et atteindre environ 50-60 % en 2010 (cf. graphique 2). Bien sûr, il est d’autant plus probable de rejoindre le cercle des plus riches que l’on est rémunéré, mais il ne suffit pas d’atteindre le sommet de la répartition du revenu du travail pour rejoindre le sommet de la répartition du patrimoine : ces dernières décennies, les personnes gagnant un revenu du travail élevé ont eu moins de chances de faire partie des ménages les plus aisés, ce qui suggère que les individus ont de moins en moins de chances d’en faire partie s’ils n’ont pas hérité d’un patrimoine [Garbinti et alii, 2016]. D’ailleurs, si l’on se penche sur la propriété immobilière, il apparaît que l’apparente stabilité de la propriété parmi les jeunes ménages depuis les années soixante-dix dissimule en fait un creusement des inégalités dans l’accession à la propriété et que celui-ci s’explique en grande partie par les donations et les legs [Bonnet et alii, 2018].

GRAPHIQUE 2  Part de la richesse héritée dans l’ensemble de la richesse (en %)

Faut-il être né riche pour être riche ?

source : Garbinti (2018), d’après Alvaredo et alii (2017)

En s’appuyant sur les données issues de l’enquête sur le patrimoine réalisée par l’INSEE, Bertrand Garbinti et Frédérique Savignac (2020) ont étudié le degré et les sources de la corrélation intergénérationnelle des richesses en France jusqu’aux cohortes nées dans les années quatre-vingt en se focalisant sur les personnes âgées entre 35 et 44 ans. Leur analyse confirme que les individus ont une probabilité d’autant plus élevée d’appartenir aux groupes les plus aisés que leurs parents possèdent un patrimoine élevé, c’est-à-dire que la position dans la répartition du patrimoine tend à se reproduire au fil des générations (cf. graphique 3). Cette probabilité a eu tendance à augmenter au cours du temps au sein des groupes les plus aisés, ce qui conforte l’idée que le patrimoine accumulé joue un rôle de plus en plus important dans la société française.

GRAPHIQUE 3  Probabilité d’être parmi les 10 % les plus riches pour ceux âgés entre 35 et 44 ans selon la richesse des parents (en %)

Faut-il être né riche pour être riche ?

source : Garbinti et Savignac (2020)

L’analyse de Garbinti et Savignac fait émerger d’autres résultats. Tout d’abord, elle permet de mettre en évidence des non-linéarités dans la corrélation intergénérationnelle des patrimoines dans la mesure où plus l’on s’élève le long de la répartition de la richesse, plus la richesse des parents joue un rôle important pour expliquer celle-ci. Ensuite, plus de la moitié de la corrélation intergénérationnelle des patrimoines s’explique par les transferts intergénérationnels de patrimoine, la profession du père et l’éducation des enfants. Enfin, les dons et legs expliquent une part d’autant plus importante du lien entre la richesse des parents et la probabilité de faire partie du cercle des plus aisés à mesure que l’on se focalise vers le sommet de la répartition. Tout cela contribue à expliquer pourquoi les Français ont eu davantage tendance à juger la société comme injuste ces dernières décennies. 

 

Références

ALVAREDO, Facundo, Bertrand GARBINTI & Thomas PIKETTY (2017), « On the share of inheritance in aggregate wealth: Europe and the United States, 1900-2010 », in Economica, vol. 84.

ARRONDEL, Luc, & Cyril GRANGE (2006), « Transmission and inequality of wealth: An empirical study of wealth mobility from 1800 to 1938 in France », in The Journal of Economic Inequality, vol. 4, n° 2.

ARRONDEL, Luc, & Cyril GRANGE (2018), « Transmettre des valeurs entre générations : tel père tel fils ? », in Revue de l'OFCE, n° 156.

BONNET, Carole, Bertrand GARBINTI & Sébastien GROBON (2018), « Hausse des inégalités d’accès à la propriété entre jeunes ménages en France, 1973-2013 », in INSEE, Economie et Statistique, n° 500-501-502.

BOURDIEU, Jérôme, Lionel KESZTENBAUM, Gilles POSTEL-VINAY & Akiko SUWA-EISENMANN (2017), « Intergenerational wealth mobility in France, 19th and 20th century », in Review of Income and Wealth, vol. 35.

CORAK, Miles (2013), « Income inequality, equality of opportunity, and intergenerational mobility », in Journal of Economic Perspectives, vol. 27, n° 3.

FREMEAUX, Nicolas (2018), Les Nouveaux Héritiers, éditions du Seuil.

GARBINTI, Bertrand (2018), « Quel est le poids de l’héritage dans le patrimoine total ? », in Banque de France, Bloc-note éco (blog).

GARBINTI, Bertrand, Jonathan GOUPILLE-LEBRET & Thomas PIKETTY (2016), « Accounting for wealth inequality dynamics: Methods, estimates and simulations for France (1800-2014) », WID.world, working paper, n° 2016/5.

GARBINTI, Bertrand, & Frédérique SAVIGNAC (2020), « Accounting for Intergenerational Wealth Mobility in France over the 20th Century: Method and Estimations », CREST, document de travail, n° 2020-16

LEFRANC, Arnaud, & Alain TRANNOY (2005), « Intergenerational earnings mobility in France: Is France more mobile than the US? », in Annales d'Economie et de Statistique, n° 78.

PIKETTY, Thomas, & Gabriel ZUCMAN (2014), « Capital is back: Wealth-income ratios in rich countries 1700-2010 », in Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 3.

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3 juin 2020 3 03 /06 /juin /2020 15:00
Les banques centrales réduisent-elles le risque de crise financière en allant à contre-courant ?

Les crises financières ont de lourds coûts économiques. En effet, suite à une crise financière, l’économie ne parvient pas à revenir sur la trajectoire qu’elle suivait avant qu’elle éclate : le PIB reste en moyenne inférieur de 8 % à 9 % par rapport à sa trajectoire d'avant-crise [Cerra et Saxena, 2008 ; Reinhart et Rogoff, 2009 ; FMI, 2009 ; Jordà et alii, 2013 ; Reinhart et Rogoff, 2014]. Or les crises financières résultent souvent de « booms du crédit qui ont mal tourné » : en l’occurrence, elles résultent d’une hausse insoutenable des prix d’actifs (par exemple sur les marchés boursiers ou sur les marchés de l’immobilier) alimentée par le crédit bancaire [Schularick et Taylor, 2012].

Par conséquent, beaucoup d’économistes, en premier lieu ceux de la Banque des Règlements Internationaux, préconisent une politique monétaire « allant à contre-courant » (leaning against the wind) : dès qu’elles perçoivent des emballements spéculatifs, les banques centrales devraient augmenter leurs taux d’intérêt, ce qui devrait amener les banques commerciales à resserrer le crédit et priverait ainsi la bulle spéculative de son carburant [Borio et Lowe, 2002 ; Filardo et Rungcharoenkitkul, 2016 ; Juselius et alii, 2016]. Plus tôt une bulle spéculative éclate, moins son éclatement endommagera l’activité économique.

Une telle proposition avait gagné en popularité au tout début des années deux mille, dans le sillage de l’éclatement de la bulle internet, mais elle n’avait alors pas convaincu les banquiers centraux. Ainsi, au milieu des années deux mille, la Réserve fédérale n’a pas réagi aux fortes hausses des prix que connaissaient alors les marchés boursier et immobilier : écartant les considérations de stabilité financière pour prendre ses décisions (1), la banque centrale américaine s’est contentée de chercher à maintenir le taux d’inflation à un faible niveau. Elle a certes fini par resserrer sa politique monétaire, mais parce que l’inflation tendait à s’accélérer. Les déséquilibres macrofinanciers ont continué de s’accumuler et finirent par engendrer une crise financière mondiale en 2008. La violence de cette nouvelle crise financière et la lenteur de la reprise subséquente ont alors donné un nouveau souffle à la proposition d’une politique monétaire allant à contre-courant, en démontrant que les pays développés n’étaient pas préservés des crises financières et que celles-ci ont un coût significatif et durable sur l’activité.

Plusieurs économistes se sont toutefois opposés à une telle idée, notamment Ben Bernanke et Mark Gertler (2000, 2001), Simon Gilchrist et John Leahy (2002) ou encore plus récemment Lars Svensson (2017). Leurs arguments sont désormais bien établis (2). Tout d’abord, il est difficile d’identifier avec exactitude une hausse d’un prix d’actifs comme correspondant à la formation d’une bulle spéculative. Ensuite, même s’il était possible d’identifier une bulle spéculative, il n’est pas certain qu’un resserrement monétaire parvienne à la faire éclater, tout du moins à contenir l’emballement spéculatif. Par contre, le resserrement monétaire pourrait avoir des répercussions négatives dans le reste de l’économie, se traduisant par un ralentissement de la croissance et une hausse du chômage. Il pourrait même entraîner une crise financière en rendant insoutenable la dynamique des prix d’actifs qui, en son absence, serait restée soutenable.

Il y a d’ailleurs un épisode historique suggérant qu’une politique monétaire allant à contre-courant est susceptible d’être particulièrement nocive. En 1928, l’économie américaine connaissait une envolée des cours boursiers et une frénésie immobilière, deux booms des prix d’actifs alimentés par le crédit. Contrairement à une idée populaire, la Fed n’est pas restée inerte face à un tel développement. Elle s'est inquiétée de ce boom financier et elle a tenté de le contenir en resserrant sa politique monétaire : entre janvier 1928 et août 1929, elle a relevé ses taux directeurs de 3,5 % à 6 %. Beaucoup, notamment Barry Eichengreen (1992) et Ben Bernanke (2002), estiment que ce resserrement monétaire a contribué à la Grande Dépression. Pour autant, rien ne certifie que la crise financière et la récession n’auraient pas fini par éclater, peut-être même en prenant de plus grandes proportions en l’absence du resserrement proactif de la Fed.

Plusieurs études ont cherché à déterminer les effets des resserrements monétaires allant à contre-courant [Ajello et alii, 2016 ; Alpanda et Ueberfeldt, 2016 ; Svensson, 2016 ; Gourio et alii, 2018], mais elles ont eu tendance à se focaliser sur le seul comportement du crédit : elles ont ignoré les autres canaux via lesquels les répercussions de la politique monétaire sont susceptibles de transiter.

Elargissant la focale, Moritz Schularick, Lucas Ter Steege et Felix Ward (2020) ont observé les cycles financiers de 17 pays développés depuis 1870 pour déterminer les répercussions qu’ont eues par le passé les resserrements monétaires allant à contre-courant, indépendamment des canaux de transmission que celles-ci ont pu emprunter. Pour cela, ils ont identifié les épisodes de booms financiers, en l’occurrence les épisodes au cours desquels la croissance du crédit et les prix d’actifs ont augmenté et se sont écartés de leur tendance. Une fois ces épisodes identifiés, ils ont cherché à observer les effets des resserrements monétaires qui leur ont été synchrones.

Schularick et ses coauteurs constatent que les resserrements monétaires synchrones avec les booms des prix d’actifs et du crédit sont davantage susceptibles de déclencher des crises financières plutôt que de les empêcher. En effet, la hausse d’un taux directeur d’un point de pourcentage accroît la probabilité qu’une crise financière éclate au cours de l’année suivante de 10 %. Le risque de crise financière est élevé au cours des deux années qui suivent le resserrement monétaire, avant de revenir à sa moyenne de long terme. A aucun moment le risque de crise financière ne diminue au cours des cinq années suivant le resserrement monétaire. 

Même si elle augmente le risque de crise financière, une politique allant à contre-courant pourrait toutefois rester opportune si elle réduit le coût économique des crises financières. Schularick et ses coauteurs ont alors comparé les pertes que subit le PIB réel lors des crises financières selon l’orientation précédente de la politique monétaire. Leur analyse suggère que les resserrements monétaires allant à contre-courant ne réduisent pas systématiquement la sévérité des crises financières. En effet, cinq ans après une crise financière, le PIB réel est inférieur de 8 % par rapport à sa tendance, et ce que la politique monétaire soit ou non allée à contre-courant. 

En définitive, Schularick et ses coauteurs rejoignent les préconisations traditionnellement avancées par les détracteurs d'une politique monétaire allant à contre-courant : il est préférable que les banques centrales se concentrent sur les objectifs de plein emploi et de stabilité des prix. Des mesures sont certes nécessaires pour éviter que l’expansion du crédit devienne excessive et entraîne une crise financière, mais c’est le rôle de la politique macroprudentielle [Cerutti et alii, 2015]

 

(1) Pour être plus exact, les économistes et les banques centrales n’ignoraient pas totalement la question de la stabilité financière, mais plusieurs arguments les amenaient à conclure qu’elle pouvait être laissée en second plan lorsqu’il s’agissait de décider de la politique monétaire. D’une part, au milieu des années deux mille, les économistes et les responsables de la politique monétaire étaient convaincus de l’irréversibilité de la Grande Modération : la croissance économique était devenue de plus en plus stable au fil des décennies, et ce notamment, pensaient-ils, grâce à l’action menée par les banques centrales pour veiller à la stabilité des prix. Certains croyaient en la « divine coïncidence » : en assurant la stabilité des prix, les banques centrales assurent la stabilité macroéconomique. Même si certains ne manquaient pas de noter les difficultés rencontrées par l’économie nipponne et la Banque du Japon depuis le début des années quatre-vingt-dix, beaucoup considéraient alors que la politique monétaire restait très efficace pour contrer les chocs macroéconomiques ou financiers. D’autre part, beaucoup croyaient en la pleine efficacité de l’innovation financière : celle-ci avait conduit, pensait-on, à une meilleure répartition des risques, en les faisant supporter par ceux qui étaient les plus à même de les supporter. Par conséquent, non seulement les crises financières étaient jugées peu probables, mais en outre le système financier était perçu comme particulièrement robuste pour faire face à une éventuelle crise financière. Malheureusement, comme certains le soulignaient déjà avant qu’éclate la crise financière mondiale [Rajan, 2005], l’innovation financière peut avoir l’effet pervers d’amener les institutions financières à prendre plus de risque en leur donnant un sentiment excessif de sécurité.

(2) La plus récente revue de la littérature sur le sujet, en français, est sûrement celle d'Anne Epaulard (2017).

 

Références

ALPANDA, Sami, & Alexander UEBERFELDT (2016), « Should monetary policy lean against housing market booms? », Banque du Canada, working paper, n° 2016-19.

BERNANKE, Ben S (2002), « Asset-price "bubbles" and monetary policy », discours prononcé à New York.

BERNANKE, Ben S., & Mark GERTLER (2000), « Monetary policy and asset price volatility », NBER, working paper, n° 7559.

BERNANKE, Ben S., & Mark GERTLER (2001), « Should central banks respond to movements in asset prices? », in American Economic Review, vol. 91, n° 2.

BORIO, Claudio, & Philip LOWE (2002), « Asset prices, financial and monetary stability: exploring the nexus », BRI, working paper, n° 114.

CERRA, Valerie, & Sweta C. SAXENA (2008), « Growth dynamics: The myth of economic recovery », in American Economic Review, vol. 98, n° 1.

CERUTTI, Eugenio, Stijn CLAESSENS & Luc LAEVEN (2015), « The use and effectiveness of macroprudential policies: New evidence », FMI, working paper, n° 15/61.

EICHENGREEN, Barry (1992), Golden fetters: The Gold Standard and the Great Depression, 1919-1939, Oxford University Press.

ÉPAULARD, Anne (2017), « Que doit faire la politique monétaire face aux emballements du prix des actifs et au développement du crédit ? », in Revue de l’OFCE, n° 153.

FILARDO, Andrew J., & Phurichai RUNGCHAROENKITKUL (2016), « A quantitative case for leaning against the wind », BRI, working paper, n° 594.

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