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12 février 2013 2 12 /02 /février /2013 23:50

Les actifs sûrs (safe assets) sont la pierre angulaire des systèmes financiers. Il s’agit essentiellement de titres de dette publique et de titres de dette privée à haute qualité, notamment des titres adossés sur actifs. Ils offrent une réserve de valeur sûre, servent de collatéraux dans les transactions financières, satisfont aux exigences prudentielles et servent de référence dans la fixation du prix des autres actifs, c’est-à-dire des actifs risqués. En effet, parce qu’ils sont insensibles aux informations, ces actifs sont particulièrement liquides et peuvent stocker la valeur sans que les agents aient à craindre des pertes en capital lors des périodes de turbulences financières. Sous la contrainte de la réglementation prudentielle, les banques s’appuient alors sur les actifs sûrs pour renforcer leurs réserves de capital et de liquidité.

Au cours des années deux mille, la croissance rapide des pays émergents, dans un contexte où leur développement financer demeurait fragile, s'est traduit par une plus forte demande pour les actifs sûrs et a ainsi entraîné une pénurie de ces actifs au niveau mondial. L’excédent d’épargne des économies émergentes s’est massivement placé dans les bons du Trésor américains et en titres adossés sur des créances hypothécaires. Les taux d’intérêt à long terme ont diminué, alimentant (et justifiant) une plus grande prise de risque de la part des agents privés et contribuant ainsi au gonflement des déséquilibres globaux. La titrisation des actifs risqués a, d’une part, permis à l’économie américaine de fonder sa croissance sur l'endettement et les dépenses des ménages. D'autre part, elle a permis aux entités financières des pays avancés de générer une importante masse d’actifs (jugés) sans risque et ceux-ci ont fini par soutenir l’ensemble du système financier.

La pénurie d’actifs sans risque est susceptible de générer de l’instabilité financière et lorsque la crise survient, elle amplifie la pénurie qui l’a engendrée [Gourinchas et Jeanne, 2012]. En temps normal, les prêteurs ne sont en effet pas incités à s’informer de la valeur des actifs produits par le secteur privé que les entreprises utilisent comme collatéraux pour emprunter, si bien qu’un large montant d’actifs peut être utilisé pour soutenir l’emprunt dans l’économie. Une crise éclate quand la publication de mauvaises nouvelles incite les prêteurs à s'informer de la valeur des actifs produits par le secteur privé, ce qui les amène à ne prêter qu’aux seules entreprises disposant d’actifs de haute qualité et à réduire la gamme d’actifs qu’elles acceptent comme collatéraux [Gorton et Ordoñez, 2013]. En l’occurrence, la crise financière a éclaté en 2007 lorsque nombre des actifs privés générés depuis le début de la décennie ont perdu leur statut d’actifs sûr, ce qui mena le système financier mondial au bord de l’effondrement. L’économie mondiale a subi une hausse brutale de l’aversion au risque et du taux d’épargne des agents privés. Le désendettement des entités financières s’est traduit par une course vers la sécurité (fly to safety), c’est-à-dire finalement par un brutal accroissement de la demande d’actifs sûrs alors même que leur offre se contractait tout aussi rapidement.

Dans ce contexte de spirale déflationniste sur les marchés financiers et de ralentissement de l’activité réelle, l’action des administrations publiques a joué en parallèle deux fonctions pour (tenter de) ramener l’économie au plein emploi [Brender et alii, 2012]. D’une part, le creusement du déficit a permis d’amortir le choc macroéconomique ; les dépenses publiques ont partiellement compensé la chute de la demande globale. D’autre part, l’émission de dette publique a permis d’accroître l’offre d’actifs sans risque ; le système financier a absorbé ces titres et produit en contrepartie les placements que recherchaient les épargnants.

Cette nature stabilisatrice des actifs publics est difficilement appréhendable dans un cadre néoclassique standard. D'après l’équivalence ricardienne, les ménages internalisent la contrainte budgétaire du gouvernement, si bien que la manière par laquelle l’Etat finance ses dépenses importe peu. Que ce financement passe par l'emprunt ou par l'impôt, les ménages réduisent dans tous les cas leurs dépenses pour payer le surcroît d’impôts dans la période courante ou anticiper les impôts supplémentaires qui seront exigés à l’avenir. Ce résultat nécessite toutefois que les marchés des capitaux soient parfaits. Le statut des actifs publics brise toute équivalence ricardienne [Gorton et Ordoñez, 2013]. Lors d’une crise, les actifs privés ne peuvent être utilisés de façon satisfaisante comme collatéraux. Lorsque les agents privés sont soumis à des contraintes de liquidité, les titres publics fournissent des services de liquidité. Ils peuvent remplacer les actifs privés, accroître la richesse des agents privés et permettre un relâchement des contraintes d’endettement auxquels ces derniers font face. Puisque l’endettement devient préférable à l’imposition, l’équivalence ricardienne est brisée. Gorton et Ordoñez (2013) notent toutefois qu’il existe des limites à l’utilisation des titres publics comme collatéraux. Si les titres sont détenus par le reste du monde, ils ne peuvent plus couvrir les impôts, si bien que la pression fiscale s’accroît dans l’économie nationale. Malgré cela, il reste optimal pour l’Etat d’émettre de la dette lors des périodes d’instabilité macroéconomique.

Pierre-Olivier Gourinchas et Olivier Jeanne (2012) notent de leur côté que les autorités budgétaires doivent nécessairement se coordonner avec les autorités monétaires pour que les actifs publics puissent pleinement jouer leur rôle stabilisateur. Lors de la Grande Récession, l’offre d’actifs sûrs s’est à nouveau contractée quand la détérioration des ratios d’endettement public a conduit à une dégradation des notations et par là à la crise de la dette souveraine dans la zone euro. La perte du statut d’actif sans risque a mis les emprunts d’Etat directement en concurrence avec les titres privés comme placement pour les épargnants. Les autorités publiques perdent alors une marge de manœuvre dans leur gestion de l’activité, si bien que l’économie mondiale pourra difficilement revenir au plein emploi. En période d’instabilité macroéconomique, c’est-à-dire à un instant où les agents privés sont réticents à prendre davantage de risques, cette mutation des titres publics en actifs risqués menace directement la stabilité du système financier. Seule la banque centrale peut intervenir pour assurer la stabilité macrofinancière en élargissant autant que nécessaire la taille de son bilan et en absorbant par là le volume de risque que les agents privés refusent de porter [Brender et alii, 2012].

 

Références Martin ANOTA

BRENDER, Anton, Emile GAGNA & Florence PISANI (2012), La Crise des dettes souveraines, La Découverte.

GORTON, Gary B., & Guillermo ORDOÑEZ (2013), « The supply and demand for safe assets », NBER working paper, n° 18732, janvier.

GOURINCHAS, Pierre-Olivier, & Olivier JEANNE (2012), « Global safe assets », Banque des règlements internationaux, working paper, n° 399, décembre.

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