La surévaluation du yuan et l’excès d’épargne asiatique auraient contribué à accumuler aux Etats-Unis les déséquilibres macrofinanciers qui ont finalement provoqué la crise du crédit subprime et fait basculer l’économie mondiale dans la Grande Récession. Avant la crise mondiale, les gouvernements des pays avancés appelaient déjà la Chine à réévaluer sa monnaie afin de réduire les déséquilibres courants. La Banque populaire de Chine a entrepris l’appréciation graduelle du yuan à partir de juillet 2005. Depuis, le taux de change réel du yuan s’est apprécié de 40 %, soit à peu près 3 % par an. Au niveau domestique, cette appréciation a permis de réduire l’inflation et de réorienter le modèle de croissance chinois en le faisant reposer, non plus sur la demande étrangère, mais sur la demande domestique. Au niveau international, elle a contribué à rééquilibrer l’économie mondiale en comprimant le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine et en permettant aux autres pays émergents d’absorber les répercussions de la dépréciation du yen.
GRAPHIQUE Taux de change du yuan (en dollars)
L’appréciation quasi continue du yuan depuis 2010 a été stoppée par une franche dépréciation du yuan fin février. Depuis, le taux de change du yuan contre le dollar a chuté de 2,5 %. Cette soudaine dépréciation du yuan a amené certains à suggérer que l’économie chinoise était désormais touchée par l’annonce du tapering. Les responsables de la Fed ont en effet indiqué en décembre avoir l’intention de réduire le rythme des achats d’actifs effectués dans le cadre de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). La perspective de plus hauts rendements aux Etats-Unis a conduit à ralentir l’entrée de capitaux dans les pays émergents. Ces derniers ont alors connu ces derniers mois une forte dépréciation de leur taux de change, une accélération de l’inflation et un effondrement des prix d’actifs. Leurs banques centrales ont réagi en resserrant leur politique monétaire pour stimuler l’entrée des capitaux et contenir la hausse du niveau général des prix, mais un resserrement monétaire est susceptible de pénaliser la croissance économique et au final d’accentuer la fuite des capitaux. En ce qui concerne la Chine, les investisseurs financiers avaient l’habitude jusqu’à présent d’emprunter des dollars à de faibles taux d’intérêt et d’acheter des actifs chinois à haut rendement [Eichengreen, 2014]. La perspective d’un resserrement de la politique monétaire américaine amène les investisseurs à prévoir une hausse des coûts d’emprunt en dollars, ce qui les incite à se détourner des actifs chinois. La chute de la demande en yuan a pu alors amener le taux de changer à se déprécier.
Toutefois cette soudaine dépréciation fut bien d’une moindre ampleur que celles subies par les devises des autres pays émergents. Et surtout, cette explication ne tient pas compte du fait que la banque centrale chinoise contrôle étroitement le taux de change du yuan via sa fixation des taux pivots et ses achats et ventes de dollars. Autrement dit, le yuan ne peut se déprécier que si la Banque populaire de Chine le désire. L’Etat chinois reste particulièrement opaque, si bien que les décisions publiques peuvent faire l’objet de multiples interprétations.
Selon certains, les autorités chinoises chercheraient à réagir au ralentissement de l’activité domestique en dévaluant le yuan pour stimuler les exportations. Selon les prévisions officielles, le taux de croissance du PIB s’établirait à 7,5 % pour 2014, ce qui n’est certes pas un « atterrissage brutal », mais n’en demeure pas moins un fort ralentissement de la croissance chinoise au regard de ses performances passées. Non seulement les autorités chinoises pourraient chercher à contenir les excès du shadow banking et des marchés immobiliers en accroissant les coûts d’endettement, mais les déséquilibres macrofinanciers pourraient par eux-mêmes s’effondrer sous leur propre poids. Dans les deux cas, la stimulation des exportations permettrait de compenser la chute subséquente de la demande domestique. Ce faisant, les autorités chinoises auraient suspendu le processus de rééquilibrage de l’économie chinoise, ce qui rend non seulement cette dernière plus vulnérable à la conjoncture mondiale, mais dégraderait également cette dernière, ce qui pénaliserait en définitive les performances chinoises. Une telle stratégie réduirait la demande mondiale à un moment où plusieurs économies, en particulier les pays-membres de la zone euro, peinent à retrouver ou maintenir une croissance robuste. En 1994, la Chine avait déjà délibérément dévalué sa monnaie pour accroître sa part dans les exportations mondiales, or les répercussions de la dévaluation sur les autres pays émergents ont contribué à les déstabiliser les années suivantes et finalement à amorcer la crise asiatique de 1997 [Davies, 2014].
Les autorités chinoises pourraient également chercher à promouvoir le rôle du yuan comme devise internationale [Eichengreen, 2014]. La Chine devra pour cela développer ses marchés financiers et les ouvrir aux investisseurs étrangers, mais cela n’est possible que si les ces derniers ne considèrent pas que le yuan ne puisse seulement que s’apprécier. En outre, l’économie chinoise a tendance à connaître des afflux spéculatifs de capitaux avec l’appréciation de sa monnaie : comme le yuan s’apprécie continûment, spéculer à la hausse sur le yuan apparaît comme un pari sûr. A long terme, le yuan devrait continuer à s’apprécier tant que l’économie chinoise génère de larges excédents courants, qu’elle connaisse de larges entrées nettes d’IDE et qu’elle accumule des réserves de devises. Le récent élargissement des bandes de fluctuations (passant de 1 à 2 %) est susceptible de stimuler les entrées de capitaux et d’accélérer l’appréciation de la devise. Mais accroître la volatilité du taux de change à court terme dans les deux sens, à la hausse comme à la baisse, permettrait de réduire les entrées de capitaux spéculatifs et l’inflation.
Pour Ronald McKinnon (2014), la Chine est prise dans une currency trap en raison de son excédent d’épargne et des taux d’intérêt proches de zéro sur les actifs en dollars. Si elle libéralise ses marchés financiers, les capitaux (spéculatifs) entreront dans l’économie au lieu d’en sortir. Même en l’absence d’afflux de capitaux spéculatifs, le taux de change est susceptible de s’apprécier car l’excédent commercial ne peut être financé par des sorties de capitaux. Si l’économie chinoise génère des excédents courants, c’est précisément car elle épargne massivement. Les institutions financières chinoises sont trop immatures pour compenser les afflux par l’émission de prêts libellés en yuan à l’étranger. En anticipant une appréciation du yuan vis-à-vis du dollar, elles ne désirent pas accorder des prêts libellés en dollar, dans la mesure où leurs actifs sont libellés en yuan. De même, les investisseurs étrangers sont réticents à emprunter en yuan.
Références
DAVIES, Gavyn (2014), « Watch China’s exchange rate policy », in Financial Times, 25 février.
EICHENGREEN, Barry (2014), « Yuan dive? », in Project Syndicate, 12 mars. Traduction française, « Le yuan en chute libre ? ».
HARDING, Robin, & Josh NOBLE (2014), « US warns China after renminbi depreciation », in Financial Times, 8 avril.
MCKINNON, Ronald (2014), « China’s currency conundrum », in Project Syndicate, 11 avril.