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28 janvier 2014 2 28 /01 /janvier /2014 20:38

Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, le Japon a connu une déflation faible, mais durable. Le taux d’inflation de l’indice des prix à la consommation atteignait en moyenne 11,6 % dans la première moitié des années soixante-dix ; il déclina par la suite, pour atteindre zéro, voire des valeurs légèrement négatives, à partir du milieu des années quatre-vingt-dix (cf. graphique 1). Les taux d’inflation du Japon ont été inférieurs à ceux des Etats-Unis et de la zone euro. Par exemple, l’écart entre les taux d’inflation du Japon et celui des Etats-Unis s’élevait à 2 points de pourcentage dans les années quatre-vingt-dix, puis atteignit 3 points de pourcentage dans les années deux mille, avant de se resserrer suite à l’effondrement de Lehman Brothers fin 2008. Lorsque Kenji Nishizaki, Toshitaka Sekine et Yoichi Ueno (2013) observent dans le détail, ils constatent que la plupart des composantes de l’indice des prix à la consommation contribuèrent à la désinflation. Les prix des biens durables, qui poussaient déjà l’inflation à la baisse à partir du milieu des années quatre-vingt, chutent encore plus rapidement dans les années deux mille. Les variations des prix des autres biens et services devinrent nulles, voire négatives, dans les années quatre-vingt-dix. En revanche, la hausse des prix des produits énergétiques s’accéléra à partir de 2000.

GRAPHIQUE 1  Taux d'inflation au Japon (en glissement annuel, en %)

Japon-deflation--taux-d-inflation.png

sourceNishizaki et alii (2013)

Nishizaki et ses coauteurs ont cherché à déterminer les causes de la déflation japonaise. Ils observent tout d’abord le rôle des anticipations d’inflation. Si les analyses empiriques suggèrent que ces anticipations ont été régulièrement revues à la baisse au cours des deux dernières décennies, elles ne s’accordent pas sur l’ampleur et les raisons de cette révision. Si l’inflation anticipée est devenue négative, alors le Japon peut s’être retrouvé dans un équilibre de trappe à liquidité ; la borne inférieure zéro (zero lower bound) empêche alors la banque centrale de sortir l’économie de cette trappe en réduisant son taux directeur. Nishizaki et ses coauteurs confirment que l’inflation anticipée a certes diminué, mais ils estiment qu’elle est toutefois restée positive (cf. graphique 2). Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce déclin : soit la banque centrale a réduit le taux d’inflation qu’elle cible, soit les agents privés ont douté que les autorités monétaires soient à même d’atteindre leur cible lorsque le taux d’intérêt nominal a atteint son niveau plancher. En outre, les années quatre-vingt-dix étaient marquées par un yen très fort, si bien que les agents privés ont pu percevoir les prix au Japon comme trop élevés par rapport aux prix en vigueur dans les autres pays industriels.

GRAPHIQUE 2  Anticipations d'inflation (en %)

Japon-deflation--anticipations-d-inflation.png

source : Nishizaki et alii (2013) 

Les économistes s’accordent pour dire que l’écart de production (output gap) est resté négatif depuis le milieu des années quatre-vingt-dix (la production est restée bien en deçà de son potentiel), excepté lors de courtes périodes à la fin de la décennie et au cours de la suivante (cf. graphique 3). En revanche, il n’y a pas consensus pour expliquer pourquoi l’écart de production est resté négatif. Une réponse relativement simple serait tout simplement la malchance : la Japon aurait subi toute une série de puissants chocs de demande. Ces derniers comprennent l’effondrement des bulles d’actifs au début des années quatre-vingt-dix, l’effondrement de la bulle internet au début des années deux mille et la récente crise mondiale. Certains auteurs comme Paul Krugman (1998) suggèrent que l’écart de production est devenu négatif en raison d’un déclin du taux d’intérêt naturel et de la borne inférieure zéro sur les taux nominaux : le taux d’intérêt naturel est peut-être devenu négatif, si bien que la politique monétaire est restée excessivement restrictive une fois que le taux directeur atteignit sa borne zéro. D’autres auteurs suggèrent un lien entre la faible croissance potentielle et la détérioration de l’écart de production en mettant l’accent sur les anticipations de croissance. La révision à la baisse de ces anticipations aurait davantage dégradé la demande globale plutôt que l’offre. En outre, les prix diminuent si l’offre ne peut pleinement répondre aux variations de la demande globale ; le vieillissement démographique aurait joué ici un rôle important en entraînant précisément une modification de la structure de demande. D’autres auteurs mettent de leur côté l’accent sur les dynamiques financières. Dans la mesure où la dette publique du Japon n’aurait pu s’accroître aussi considérablement sans les achats massifs de titres publics japonais réalisés par les banques, l’écart de production pourrait avoir été affecté par le comportement des banques. L’émission de dette publique aurait pu entraîner une sorte d’effet d’éviction sur l’investissement privé et par là se traduire par des pressions déflationnistes.

GRAPHIQUE 3  Ecart de production au Japon (en %)

Japon-deflation--output-gap.png

source : Nishizaki et alii (2013) 

Les variations des prix des matières premières, notamment de l’énergie, ne peuvent expliquer la déflation chronique au Japon. Les prix à l’import, qui sont largement déterminés par les prix des matières premières, ont connu d’amples fluctuations, si bien qu’ils n’expliquent pas le déclin prolongé et régulier des prix de consommation. Nishizaki et se coauteurs se tournent alors vers d’autres facteurs externes pour expliquer la déflation japonaise. Ils rappellent que le taux de change nominal effectif du Japon a eu tendance à s’apprécier ces dernières décennies. Or, une fois que les anticipations d’une appréciation du yen sont ancrées parmi les agents, l’économie est susceptible de basculer dans une trappe à liquidité. Dans les années quatre-vingt-dix, les décideurs publics et les agents privés s’inquiétaient des larges écarts entre prix domestiques et étrangers. Les années quatre-vingt-dix furent en effet une période au cours de laquelle les prix au Japon furent considérablement plus élevés que ceux en vigueur dans les autres économies avancées. Cependant, la différence déclina substantiellement dans les années deux mille. En effet, le Japon a dérégulé de nombreux secteurs à partir des années quatre-vingt-dix, ce qui a poussé les prix à la baisse en réduisant les marges et en améliorant la productivité dans la chaîne de distribution. Les chocs d’offre qui ont touché les pays émergents ont pu également jouer un rôle dans le basculement dans la déflation. Le Japon se distingue des autres pays avancés par ses liens particulièrement étroits avec des pays émergents comme la Chine, ce qui l’a davantage exposé aux pressions déflationnistes associées à leur intégration dans le commerce international. 

Au final, Nishizaki et ses coauteurs estiment que la déflation japonaise pourrait bel et bien résulter d’une combinaison de facteurs, ce qui expliquerait pourquoi les précédentes études ne soient pas parvenues à isoler une cause unique. Ils concluent leur étude en suggérant que les différentes mesures mises en place par le premier ministre japonaise Shinzo Abe (celles constituant la fameuse « abenomics ») pourraient faciliter la sortie de la déflation. Avec l’engagement de la banque du Japon à atteindre 2 % d’inflation, les anticipations sont susceptibles de s’élever et de s’ancrer à ce niveau. Ensuite, la baisse des coûts de financement devraient permettre de réduire l’écart de production. Enfin, la dépréciation du yen pousse les prix à l’importation à la hausse.

 

Références 

KRUGMAN, Paul R. (1998). « It's baaack: Japan's slump and the return of the liquidity trap », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 29, n° 2.

NISHIZAKI, Kenji, Toshitaka SEKINE & Yoichi UENO (2013), « Chronic deflation in Japan », Banque des Règlements internationaux.

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