Lors de la Grande Récession, les pays avancés ont adopté des politiques de relance pour soutenir l’activité et contenir le chômage. Ces impulsions budgétaires et les effets propres à la récession ont conduit à un fort accroissement des niveaux de dette publique. Les inquiétudes quant à la soutenabilité des finances publiques et la hausse des primes de risque souverain dans plusieurs pays « périphériques » de la zone euro ont poussé, non seulement ces derniers, mais aussi les autres pays avancés à resserrer leur politique budgétaire pour réduire le fardeau de leur endettement et maintenir la confiance sur les marchés obligataires. Par exemple, selon les estimations de l’OCDE, les efforts de consolidation budgétaire menés dans les économies avancées ont représenté 1 % de leur PIB en 2013. Or, ces mesures d’austérité ont été précisément adoptées alors même que la reprise était à peine amorcée, c’est-à-dire à un moment où l’activité était particulièrement sensible aux évolutions de la politique budgétaire (le multiplicateur est plus élevé en bas qu’en haut du cycle économique). Ces mesures d’austérité ont fortement ralenti le rythme de reprise et plusieurs pays européens sont même replongés en récession. Elles ont aussi pu entraîner une nouvelle hausse du ratio dette publique sur PIB dans certains pays quand le PIB s’est contracté plus rapidement que le montant de la dette. Inversement, l’accélération de la croissance au sein de la zone euro en 2013 a pu s’expliquer, selon certains, par le ralentissement du rythme de la consolidation budgétaire.
Si le commerce international joue un rôle majeur dans la transmission d'une crise économique d’un pays à l’autre, il rend également les économies sensibles aux politiques budgétaires adoptées par leurs partenaires commerciaux. En l'occurrence, la notion de contrainte extérieure est régulièrement avancée pour nuancer l'opportunité de mener un plan de relance de façon isolée : puisqu’une partie de la demande domestique s’adresse aux producteurs étrangers, une partie de la relance budgétaire profite donc à ces derniers et non aux entreprises domestiques. En revanche, les Etats-membres de la zone euro auraient tout intérêt à adopter collectivement des plans de relance pour sortir leur économie de la récession, car l’union monétaire constitue une économie relativement fermée. Les effets des plans de relance tendraient alors à se renforcer mutuellement. Pour autant, la contrainte extérieure incite chaque pays, non pas à relancer son économie, mais plutôt à se comporter en passager clandestin, c’est-à-dire à ne rien faire, si ce n’est espérer que ses partenaires commerciaux adoptent des plans de relance pour en profiter indirectement.
Les mêmes mécanismes sont à l’œuvre, mais cette fois-ci en sens inverse, lorsque les gouvernements adoptent collectivement des plans d’austérité. La consolidation budgétaire menée dans une économie donnée est susceptible de réduire la demande domestique pour les importations, auquel cas elle réduit la production des partenaires commerciaux. Comme le montre l’exemple de la zone euro, l’adoption collective de plans d’austérité se révèle particulièrement nocive à l’activité et tend à enfermer l’union monétaire dans la récession. D’une part, si plusieurs pays mènent des plans d’austérité au même instant, leurs effets négatifs sur la production se renforcent mutuellement. D’autre part, ces répercussions sont d’autant plus fortes que les échanges commerciaux entre les économies sont importants. Or, les gouvernements tendent à négliger les répercussions de leur politique budgétaire sur leurs partenaires commerciaux lorsqu’ils adoptent un plan d’austérité.
Affinant les résultats obtenus par Alan Auerbach et Yuriy Gorodnichenko (2012) dans une précédente étude, Antoine Goujard (2013) a récemment observé comment les différents plans d’austérité qui ont été menés entre 1978 et 2009 se sont répercutés sur la production des pays de l’OCDE via les flux commerciaux. Il confirme que la croissance économique d’une économie donnée est pénalisée lorsque ses partenaires commerciaux consolident leurs finances publiques. Ces effets ne sont toutefois pas les mêmes en toute circonstance. Premièrement, une réduction du solde budgétaire équivalente à 1 % du PIB dans les principaux marchés à l’exportation est associée en moyenne à une contraction de la croissance du PIB domestique de 1,5 point de pourcentage. Deuxièmement, les consolidations basées sur les réductions des dépenses publiques tendent à avoir de plus fortes répercussions sur la production que celles reposant sur les hausses d’impôts. Troisièmement, les répercussions de l’austérité budgétaire diffèrent selon la nature des taux de change. En l’occurrence, elles sont plus fortes entre des pays qui disposent de taux de change fixes ou qui possèdent une devise commune qu’entre pays ayant des taux de change flexibles. D’après Goujard, cela reflète un degré élevé d’intégration commerciale d’une union monétaire, puisque les exportations bilatérales chutent plus rapidement au sein de celle-ci qu’entre pays ayant des taux de change flottants. Quatrièmement, les consolidations budgétaires menées dans des pays partenaires tendent à avoir des effets sur la croissance domestique via une réduction des exportations bilatérales et une hausse des importations bilatérales. Selon l’auteur, ce résultat suggère que les consolidations poussent la production à se réorienter vers la satisfaction de la demande étrangère. Dans un régime de taux de change flottants, le taux de change nominal réel tend à s’apprécier lorsqu’un pays partenaire consolide ses finances publiques ; par contre, dans une union monétaire, le taux de change réel s’ajuste à travers un processus de compression des prix et salaires. Cinquièmement, les politiques budgétaires des partenaires commerciaux ont de plus fortes répercussions sur la croissance domestique durant les récessions qu’en temps « normal ». Enfin, les pays tiers jouent également un rôle dans la transmission des chocs. En effet, lorsque les marchés d’exports d’un pays donné sont affectés par des plans d’austérités, ces derniers tendent également à affecter les pays fournisseurs.
Références
AUERBACH, Alan, & Yuriy GORODNICHENKO (2012), « Output spillovers from fiscal policy », NBER working paper, n° 18578. Traduction partielle disponible ici.
GOUJARD, Antoine (2013), « Cross-country spillovers from fiscal consolidations », OECD Economics Department working papers, n° 1099, décembre.