Les travaux les plus optimistes en économie de l’environnement confèrent au changement technologique une place déterminante dans la lutte contre le réchauffement climatique, or les récentes modélisations incorporant un progrès technique endogène suggèrent que le marché ne va pas générer suffisamment d’innovations pour réduire l’ampleur du changement climatique. Les dépenses en recherche-développement sont en l’occurrence bien trop concentrées dans la création de technologies « sales ». Plusieurs modèles ont affirmé que la trajectoire du progrès technique est soumise à un phénomène de dépendance au sentier (path dependency). En effet, dans les économies qui ont fortement innové par le passé dans les technologies sales, les entreprises trouveront plus profitable d’innover à l’avenir dans ces dernières. Ce phénomène de dépendance au sentier va entrer en interaction avec les externalités environnementales : les entreprises ne prennent pas en compte le fait que la dégradation de l’environnement va se traduire par une diminution de la productivité agrégée et de l’utilité des consommateurs. Une économie soumise au seul laissez-faire va donc excessivement produire des technologies sales en délaissant l’innovation en technologies propres. Une intervention des autorités publiques est alors nécessaire pour réorienter le changement technologique sur une trajectoire compatible avec la protection de l’environnement. Par exemple, l’Etat peut favoriser l’adoption d’énergies renouvelables et inciter les agents à délaisser les énergies fossiles.
Le secteur automobile va être déterminant dans la transition écologique. Le transport routier représente en effet 16,5 % des émissions mondiales de CO2, ce qui a récemment amené Philippe Aghion, Antoine Dechezleprêtre, David Hemous, Ralf Martin et John Van Reenen (2012) à se pencher sur le processus d’innovation dans le secteur automobile. Ils ont utilisé les données de 3423 entreprises et individus dans 80 pays entre 1965 et 2005. Aghion et ses coauteurs se sont focalisés sur les innovations propres (en l’occurrence les voitures électriques, à hydrogène et hybrides) plutôt que sur les innovations dans l’efficience énergétique du carburant, car il est difficile de pleinement distinguer celles-ci des innovations sales. De plus, les progrès dans l’efficience énergétique d’une voiture à combustion interne vont se trouver limités par des limites technologiques. Enfin, les progrès réalisés dans l’efficience énergétique du carburant peuvent être annulés par la multiplication des véhicules en circulation, phénomène que l’on qualifie d’effet rebond (et que les théoriciens de la décroissance ont particulièrement mis en avant pour dénier au progrès technique ses vertus curatives).
L’étude fait tout d’abord apparaître qu’une hausse des prix du carburant stimulent l’innovation dans les technologies propres et pousse au contraire les agents à délaisser l’innovation sale. Les différences observées d’un pays à l’autre (ou au cours du temps) dans la fiscalité des carburants expliquent en grande partie les différences de prix. Ces derniers n’auront pas le même impact d’un constructeur automobile à l’autre selon leurs parts respectives de marché.
L'analyse confirme également la présence d’une dépendance au sentier dans le changement technologique : les entreprises que furent les plus exposées par le passée à l’innovation propre sont les plus susceptibles de consacrer leurs futurs efforts de recherche à l’innovation propre. Réciproquement, les entreprises qui ont auparavant généré une multitude d’innovations sales sont plus susceptibles de se focaliser à l’avenir sur l’innovation sale. En utilisant les modèles économétriques, les auteurs mettent en évidence la présence d’une dépendance au sentier tant au niveau de chaque entreprise qu’au niveau agrégé.
L’existence d’une telle dépendance au sentier aussi bien pour l’innovation sale que propre souligne la nécessité d’agir au plus tôt pour modifier les incitations à innover. Puisque le stock d’innovations sales est plus élevé que le stock d’innovations sales (l’échantillon d’Aghion et alii incorpore notamment 6500 brevets en technologies propres contre 18500 brevets en technologies sales), l’effet de sentier de dépendance va conduire les économies à fortement émettre du carbone, même si une légère taxe carbone est introduire ou si les autorités publiques subventionnent la recherche-développement verte. Aghion et alii plaident alors à une forte action aujourd’hui, quitte à relâcher les efforts à l’avenir, une fois que l’économie sera placée sur une trajectoire d’innovation propre. Les hausses dans les prix du carbone peuvent contribuer à réorienter les efforts d’innovation vers le développement de technologies plus propres. Par exemple, les auteurs estiment que si les prix du carburant se maintenaient à plus de 140 % de leur valeur en 2005, le stock d’innovations propres pourrait dépasser le stock d’innovations sales en moins d’une quinzaine d’années. L'instauration d'une véritable taxe carbone permettrait ainsi d'accélérer le redéploiement de la recherche-développement vers l'objectif d'une croissance verte.
AGHION, Philippe, Antoine DECHEZLEPRÊTRE, David HEMOUS, Ralf MARTIN, & John VAN REENEN (2012), « Carbon taxes, path dependency and directed technical change: Evidence from the auto industry », NBER working paper, n° 18596, décembre.