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20 février 2015 5 20 /02 /février /2015 13:29

La courbe de Beveridge est utilisée pour décrire, d’une part, l’état conjoncturel du marché du travail et, d’autre part, l’efficacité du marché du travail en termes d’appariement entre les travailleurs et les emplois. Elle trace une relation négative entre les taux de chômage et les taux d’emplois vacants au cours du cycle d’affaires. Lors des expansions, le taux de chômage est faible et le taux d’emplois vacants est élevé ; lors d’une récession, le taux de chômage est élevé et le taux d’emplois vacants est faible. Ainsi, en général, plus une économie s’éloigne du plein emploi, plus le taux d’emplois vacants diminue. Ainsi, les déplacements le long de la courbe de Beveridge sont typiquement interprétés comme reflétant des dynamiques conjoncturelles. Par contre, les déplacements de la courbe de Beveridge sont typiquement interprétés comme reflétant des changements structurels. En l’occurrence, si la courbe de Beveridge s’éloigne de l’origine (par exemple, si, en raison d’un choc technologique, de plus en plus d’emplois vacants exigent des qualifications dont ne disposent pas les chômeurs), le taux de chômage sera plus élevé qu’auparavant pour un même taux d’emplois vacants ou, réciproquement, le taux d’emplois vacants sera plus élevé qu’auparavant pour un même taux de chômage : l’appariement est moins efficace.

Boele Bonthuis, Valerie Jarvis et Juuso Vanhala (2015) ont alors analysé l’évolution de la courbe de Beveridge au niveau agrégé de l’ensemble de la zone euro au cours des 25 dernières années.  Les mouvements d’avant-crise marquent la dynamique typique du cycle d’affaires, avec une chute du taux de chômage et une hausse du taux d’emplois vacants, donc un resserrement du marché du travail (cf. graphique 1a). Lorsque la Grande Récession débuta (au premier trimestre 2008), le taux d’emplois vacant chuta brutalement et le chômage augmenta fortement. Cette dynamique s’est poursuivie même après le début de la reprise au troisième trimestre 2009. Toutefois, quand le taux d’emplois vacants s’est amélioré, le taux de chômage n’a pas diminué. Lorsque Bonthuis et ses coauteurs observent l’évolution de la courbe de Beveridge en zone euro à plus long terme, ils constatent que celle-ci s’est éloignée de l’origine à la fin des années quatre-vingt-dix (cf. graphique 1b). Ensuite, au milieu des années deux mille, le chômage de la zone euro est devenu bien plus sensible aux développements des emplois vacants, ce qui s’est traduit par un rapprochement de la courbe de Beveridge de l’origine (cf. lignes bleues sur le graphique 1b). Il y a une claire déviation par rapport à la précédente relation chômage-emplois vacants depuis le début de la crise, ce qui suggère une aggravation du chômage structurel.

GRAPHIQUE 1  Evolution de la courbe de Beveridge de la zone euro

Comment s'est comportée la courbe de Beveridge en zone euro ?

Il y a par contre une forte hétérogénéité des comportements de la courbe de Beveridge d’un pays-membre à l’autre. Au début de la crise mondiale, les taux d’emplois vacants ont brutalement chuté, tandis que le taux de chômage a fortement augmenté dans la quasi-totalité des pays de la zone euro. Depuis 2009, les taux d’emplois vacants ont quelque peu retrouvé leur niveau initial dans plusieurs pays, mais les taux de chômage sont restés élevés ou ont continué à augmenter. En fait, la majorité des pays-membres ne présentent pas de déplacements significatifs de la courbe de Beveridge. Par contre, la courbe de Beveridge s’est clairement éloignée de l’origine en Espagne, en France et en Grèce, tandis qu’elle s’est rapprochée de l’origine en Allemagne (cf. graphique 2). L’analyse suggère que la courbe de Beveridge pourrait également s’être éloignée de l’origine en Italie et aux Pays-Bas, mais ce résultat est moins robuste.

 

GRAPHIQUE 2  Evolution de la courbe de Beveridge dans les quatre plus grandes économies de la zone euro

Comment s'est comportée la courbe de Beveridge en zone euro ?

Bonthuis et ses coateurs ont alors cherché à  identifier les facteurs sous-jacents à ces dynamiques en utilisant la méthode des projections locales de Jorda (2005). Ils constatent une inadéquation des compétences et les données empiriques pourraient également suggérer des problèmes d’appariement sectoriel et d’appariement géographique. Une part élevée de travailleurs peu qualifiés, un taux d’accession à la propriété élevé et une part élevée des travailleurs (précédemment) employés dans le secteur de la construction tend à éloigner la courbe de Beveridge de l’origine dans le cas d’un choc négatif. Une part élevée des femmes dans la population active tend à atténuer ces effets.

Le déplacement de la courbe de Beveridge vers l’extérieur suggère une aggravation du chômage structurel. En d’autres termes, les taux de chômage parviendront difficilement à revenir aux niveaux d’avant-crise avec la seule poursuite de la croissance économique. Cet « enkystement » du chômage à long terme a plusieurs implications en termes de politique économique. En ce qui concerne la politique monétaire, le reflux du chômage pourrait se traduire plus rapidement par des pressions inflationnistes. En termes de politique de l’emploi, ce déplacement suggère que les politiques conjoncturelles ne peuvent ramener à elles seules les économies au plein emploi, si bien que les autorités publiques devraient s’appuyer sur des réformes structurelles pour réduire le chômage. La composante structurelle du chômage pourrait en effet être importante : en moyenne, le chômage structurel de la zone euro pourrait être passé de 8,8 % à 10,3 % entre 2008 et 2013 [Cohen-Setton, 2014].

Cela n’amène toutefois pas à rejeter l’usage des politiques conjoncturelles. D’une part, les estimations du chômage structurel restent entourées d’incertitude. D’autre part, si une composante du chômage est structurelle, il demeure toujours une composante conjoncturelle. En l’occurrence, il est d’autant plus impérieux d’utiliser les politiques expansionnistes pour réduire cette dernière qu’elle risque de devenir peu à peu structurelle en raison des phénomènes d’hystérèse, les chômeurs devenant de moins en moins employables au fur et à mesure qu’ils restent longtemps au chômage. Le déplacement de la courbe de Beveridge dans plusieurs pays-membres pourrait s’expliquer (du moins en partie) par le fait que les autorités publiques aient suffisamment stimulé l’activité suite à la Grande Récession.

 

Références

BONTHUIS, Boele, Valerie JARVIS & Juuso VANHALA (2013), « Whats going on behind the euro area Beveridge curve(s)?  », BCE, working paper, n° 1586.

BONTHUIS, Boele, Valerie JARVIS & Juuso VANHALA (2015), « Shifts in euro area Beveridge curves and their determinants », Banque de Finlande, working paper, n° 2015-2, 3 février.

COHEN-SETTON, Jérémie (2014), « Blogs review: The shift in the Beveridge curve », in Bruegel (blog), 8 septembre.

JORDA, Oscar (2005), « Estimation and inference of impulse responses by local projections », in American Economic Review, vol. 95, n° 1.

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