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6 février 2016 6 06 /02 /février /2016 10:03

Ces dernières décennies ont été marquées par des épisodes de stagnation durables pour les pays avancés. En effet, depuis le début des années quatre-vingt-dix, l’économie japonaise connaît une faible croissance. Au sortir de la crise financière mondiale, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et surtout la zone euro ont connu une lente reprise. Ces deux épisodes ont été caractérisés par une faible croissance de la production et de la production potentielle dans un contexte de taux directeurs proches de zéro. Olivier Blanchard, Eugenio Cerutti et Lawrence Summers (2015) ont confirmé que les récessions étaient souvent suivies par un ralentissement du taux de croissance de l’économie. Laurence Ball (2014) a cherché à déterminer les répercussions à long terme de la Grande Récession ; il met en évidence des pertes significatives en termes de production potentielle. De leur côté, Lawrence Christiano, Martin Eichenbaum et Mathias Trabandt (2015) constatent que la Grande Récession s’est caractérisée pour les Etats-Unis par une chute persistante de la productivité totale des facteurs en-deçà de sa tendance d’avant-crise.

Gianluca Benigno et Luca Fornaro (2016) proposent une théorie de la croissance où les anticipations pessimistes sont susceptibles d’entraîner une stagnation persistante, voire même permanente, de l’activité caractérisée par un chômage élevé et une faible croissance. Ils qualifient de tels épisodes de « trappes stagnationnistes » (stagnation traps), parce qu’ils correspondent à la survenue simultanée d’une trappe à faible croissance d’une trappe à liquidité. Pour faire apparaître une telle situation, ils utilisent un modèle d’innovation verticale s’inspirant notamment des travaux de Philippe Aghion et Peter Howitt (1992) et de Gene Grossman et Elhanan Helpman (1991). Ils enrichissent ce modèle de croissance endogène en y introduisant des rigidités de salaires nominaux, afin de pouvoir faire apparaître un chômage involontaire, et en prenant en compte la borne inférieure zéro sur les taux d’intérêt zéro, qui est susceptible de limiter l’efficacité de la politique monétaire conventionnelle. 

Dans la modélisation de Benigno et Fornaro, l’investissement des entreprises dans l’innovation détermine de façon endogène le taux de croissance de la productivité et de la production potentielle. Les entreprises investissent dans l’innovation pour se retrouver en situation de monopole et cet investissement dans l’innovation est positivement relié à leurs profits. Via ce canal, un ralentissement de la demande globale, qui entraînerait une chute des profits, réduit également l’investissement dans l’innovation et par conséquent le taux de croissance de l’économie. Les dépenses de consommation courantes des ménages sont quant à elles affectées par le taux de croissance de la production potentielle, parce que la croissance de la productivité est l’un des déterminants du revenu futur des ménages. Par conséquent, un faible taux de croissance potentielle est associé à de plus faibles revenus futurs et à une réduction de la demande globale courante.

En raison de ces interactions entre croissance de la productivité et demande globale, l’économie a deux états réguliers possibles. Il y a tout d’abord un bon équilibre associé au plein emploi, dans lequel l’économie opère à son potentiel et la croissance de la production est robuste. Par contre, au mauvais équilibre associé au chômage, la demande globale et les profits des entreprises sont faibles, ce qui se traduit par un faible investissement dans l’innovation et une faible croissance de la productivité. Dans ce dernier cas, la banque centrale est incapable de restaurer le plein emploi parce que la faiblesse de la croissance déprime la demande globale et pousse le taux d’intérêt à sa borne inférieure zéro ; or la croissance est faible, parce que la faiblesse de la demande agrégée réduit les profits des entreprises, ce qui les incite à réduire leurs dépenses d’investissement dans l’innovation. Ce second équilibre est alors qualifié de trappe stagnationniste. 

Benigno et Fornaro font jouer un rôle déterminant aux anticipations dans leur modèle. Elles contribuent en effet à pousser l’économie à un équilibre plutôt qu’à un autre. Par exemple, lorsque les entreprises et les ménages anticipent une faible croissance, ce pessimisme contribue à réduire la demande globale, ce qui réduit le profit des entreprises. Comme ces dernières innovent moins, notamment dans l’innovation, la croissance sera effectivement faible, ce qui valide les anticipations initiales des agents. L’économie est alors susceptible de rester dans une trappe à liquidité caractérisée par du chômage involontaire et une faible croissance, aussi bien courante que potentielle. Le modèle de Benigno et Fornaro fait sur ce point écho à la modélisation de la stagnation séculaire proposée par Gauti Eggertsson et Neil Mehrotra (2014), où la baisse du taux d’intérêt naturel est susceptible de maintenir l’économie dans une trappe à liquidité permanente. Dans la mesure où leur modèle relie la trappe à liquidité à une chute endogène de l’investissement dans l’innovation et de la croissance de la productivité, Benigno et Fornaro estiment alors que l’adoption d’une politique agressive de subvention à l’innovation peut contribuer à sortir l’économie de sa trappe stagnationniste et la ramener au plein emploi en stimulant aussi bien la demande globale que la croissance potentielle.

 

 

Références

AGHION, Philippe, & Peter Howitt (1992), « A model of growth through creative destruction », in Econometrica, vol. 60.

BALL, Laurence M. (2014), « Long-term damage from the Great Recession in OECD countries », NBER, working paper, n° 20185, mai.

BENIGNO, Gianluca, & Luca FORNARO (2016), « Stagnation traps », CEPR, discussion paper, n° 11074.

BLANCHARD, Olivier, Eugenio CERUTTI & Lawrence SUMMERS (2015), « Inflation and activity – Two explorations and their monetary policy implications », FMI, working paper, novembre.

CHRISTIANO, Lawrence J., Martin S. EICHENBAUM & Mathias TRABANDT (2015), « Understanding the Great Recession », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 7, n° 1.

EGGERTSSON, Gauti B., & Neil R. MEHROTRA (2014), « A model of secular stagnation », NBER, working paper, n° 20574, octobre.

GROSSMAN, Gene M. & Elhanan HELPMAN (1991), « Quality ladders in the theory of growth », in The Review of Economic Studies, vol. 58, n° 1.

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