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13 novembre 2014 4 13 /11 /novembre /2014 20:00

Avec l’ouverture aux échanges, les entreprises réalisent une part croissante de leurs profits à l’étranger (cf. graphique 1). Or, avec la mondialisation et les avancées technologiques, il est devenu de plus en plus facile pour les entreprises de transférer leurs profits dans les pays à faible fiscalité, tout comme il est devenu de plus en plus facile pour les ménages de transférer leur patrimoine financier vers des comptes bancaires non déclarés des paradis fiscaux. 

GRAPHIQUE 1 Part des profits réalisés à l’étranger par les entreprises américaines (en %)

Gabriel-Zucman--Parts-des-paradis-fiscaux-dans-les-profits-.png

Pour quantifier les pertes en recettes fiscales que connaît le gouvernement américain en raison du transfert des profits vers les juridictions à faible fiscalité, Gabriel Zucman (2014) a utilisé les statistiques de comptabilité nationale, notamment relatives à la balance des paiements. Les profits des entreprises américaines s’élèvent à 2.100 milliards de dollars. Ils incluent 1.700 milliards de dollars en profits domestiques, plus 650 milliards de dollars de profits réalisés par les filiales étrangères possédées par les résidents américains, moins 250 milliards de profits réalisés par les entreprises domestiques détenues par le reste du monde. 31 % des profits des entreprises américaines ont dont été réalisés à l’étranger en 2013. 55 % de ces profits ont été réalisés dans six paradis fiscaux, en l’occurrence les Pays-Bas, les Bermudes, le Luxembourg, l’Irlande, Singapour et la Suisse (cf. graphique 2). Comme les paradis fiscaux tiennent une place croissante dans les profits étrangers (pour atteindre aujourd’hui 55 %) et que la part des profits étrangers dans la totalité des profits des entreprises américaines s’est accrue (pour atteindre aujourd’hui un tiers), Zucman en conclut que 20 % des profits de l’ensemble des entreprises américaines sont enregistrés dans des paradis fiscaux, une part qui a été multipliée par dix depuis les années quatre-vingt (cf. graphique 3). Or, comme le note Zucman, le niveau élevé des profits enregistrés dans les paradis fiscaux est d’autant plus frappant que beaucoup d’entreprises possédées par les résidents américaines n’ont aucune activité sur ces territoires. 

GRAPHIQUE 2  Part des paradis fiscaux dans les profits réalisés par les entreprises américaines à l’étranger (en %)

Gabriel-Zucman--Parts-des-paradis-fiscaux-dans-les-copie-1.png

Une autre manière d’évaluer les pertes de recettes fiscales que connaît le gouvernement américain en raison du transfert des profits vers les juridictions à faible fiscalité est de déterminer l’évolution du taux effectif d’imposition des profits réalisés par les entreprises possédées par des résidents américains. Selon Zucman, entre 1998 et 2013, le taux d’imposition effectif des profits aux Etats-Unis est passé de 30 à 20 % ; les deux tiers de cette baisse s’expliquent par le transfert des profits dans les juridictions à faible fiscalité. Si ce taux était resté constant au cours de cette période, les entreprises possédées par des résidents américains auraient versé un supplément de 200 milliards de dollars au gouvernement américain en 2013. Pourtant, malgré la baisse du taux effectif d’imposition des entreprises, les impôts sur leurs revenus ont représenté une part constante du revenu national des Etats-Unis au cours des trois dernières décennies, en l’occurrence 3 %. Or, les profits des entreprises ont pris une place croissance dans le revenu national, puisqu’ils représentaient environ 9 % dans les années quatre-vingt et qu’ils représentaient 14 % entre 2010 et 2013. Cette hausse a alors compensé la chute du taux effectif d’imposition. Si le « capital est de retour » dans les pays développés, ce n’est pas le cas des impôts sur le capital [Piketty et Zucman, 2014].

GRAPHIQUE 3  Part des paradis fiscaux dans les profits des entreprises américaines (en %)

Gabriel-Zucman--Part-des-profits-des-entreprises-americain.png

Les ménages aisés utilisent également les paradis fiscaux, soit légalement, lorsqu’ils cherchent simplement à bénéficier de services bancaires qui ne sont pas proposés dans leur pays, soit illégalement lorsqu’ils cherchent à échapper au fisc. La richesse personnelle offshore croît rapidement et ce essentiellement à des fins d’évasion fiscale. Par exemple, 80 % du patrimoine détenu par les Européens en Suisse résultent d’une évasion fiscale. Selon les estimations de Zucman, 8 % de la richesse financière personnelle mondiale est détenue à l’étranger, soit environ 7.600 milliards de dollars. Puisqu’il ne prend pas en compte les actifs réels, Zucman considère qu’il offre une estimation basse. Or, le patrimoine détenu à l’étranger pourrait s’élever à 8.900 milliards de dollars selon le Boston Consulting Group et 32.000 milliards de dollars selon James Henry (2012). D’après les estimations de Zucman, ce sont 200 milliards de dollars, soit 1 % de leurs recettes totales, que les gouvernements perdent chaque année. En outre, l’évasion fiscale pourrait conduire à sous-estimer l’importance des inégalités dans la répartition du patrimoine. En effet, ce sont surtout les ménages aisés qui possèdent des actifs financiers à l’étranger. Les résidents américains possèdent environ 1.200 milliards de dollars à l’étranger, soit 4 % de la richesse financière aux Etats-Unis, tandis que les européens détiennent 2.600 milliards de dollars à l’étranger, soit 10 % de l’ensemble des actifs financiers.


Références

HENRY, James S. (2012), « The price of offshore revisited: New estimates for ‘missing’ global private wealth, income, inequality, and lost taxes ».

PIKETTY, Thomas, & Gabriel ZUCMAN (2014), « Capital is back: Wealth-income ratios in rich countries, 1700–2010 », in Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 3.

ZUCMAN, Gabriel (2014), « Taxing across borders: Tracking personal wealth and corporate profits », in Journal of Economic Perspectives, vol. 28, n° 4.

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commentaires

2
L'Union européenne,loin d'être un espace démocratique respectant les droits économiques et sociaux des populations mène une politique largement favorable aux grandes sociétés ayant des pratiques illégales et aux lobbies de tous ordres (toujours généreux à l'égard de politicards peu scrupuleux).Les effets de cette politique sont dévastateurs:coupes sombres dans les budgets des Etats privés de ressources,faible croissance,chômage de masse,explosion des inégalités sociales (aux extrémités des échelles notamment),diffusion de la pauvreté à l'échelle de l'Europe,montée en puissance des mouvements nationalistes,équilibres internes à l'Europe (entre pays membres)menacés....etc.Si l'Europe est un paradis fiscal (train de vie princier pour les uns,austérité budgétaire pour les autres),si la démocratie politique est confisquée par des politicards peu éclairés et peu scrupuleux alors la construction européenne est condamnée.Pourquoi des enquêtes sérieuses et approfondies ne sont-elles pas menées par des journalistes d'investigation sur différents dirigeants des institutions européennes dont les comportements sont sans doute aussi scandaleux que ceux de M.Fillon ?L’Union européenne est devenue un carcan néolibéral où prospèrent des regroupements d’intérêts (profitant des aides de l’Etat qui plus est)contraires aux règles de bonne gestion économique.Les responsables actuels de l’UE poussent les peuples dans les bras des mouvements nationalistes au risque de créer une crise politique qui pourrait être fatale à l’UE.Cela est certes efficace mais cela est totalement irresponsable.
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J
Intéressant ces chiffres, merci !
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