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2 avril 2015 4 02 /04 /avril /2015 22:03

Malgré la convergence entre les niveaux de vie des différents pays, les inégalités ont eu tendance à s’accroître dans chaque économie depuis les années quatre-vingt, excepté dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’Afrique subsaharienne : le coefficient de Gini mondial (non pondéré) des revenus primaires est passé de 0,41 à 0,45 entre les années quatre-vingt et 2013. Même l’impôt et la redistribution ne sont pas parvenues à contenir totalement la hausse des inégalités de revenu : le coefficient de Gini mondial (non pondéré) du revenu disponible est passé de 0,36 à 0,38 entre les années quatre-vingt et 2013. Ces évolutions mondiales dissimulent évidemment des dynamiques hétérogènes d’un pays à l’autre. A un extrême, les inégalités sont relativement faibles dans des pays comme la Belgique et la Bulgarie. A un autre extrême, les inégalités sont relativement fortes au Kenya et en Indonésie.

La détérioration des inégalités fut particulièrement prononcée en Chine. Depuis les années soixante-dix, la croissance chinoise s’est pratiquement maintenue au rythme de 10 % par an. Le revenu par tête est passé de 320 dollars à 5.500 dollars entre 1980 et 2012. Sur cette période, 660 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté. Le pourcentage de Chinois vivant avec moins de 1,25 dollar par jour est passé de 85 % à 11 % entre 1980 et 2012. Malgré ces impressionnantes performances en termes de croissance économique et de réduction de la pauvreté, la Chine a connu l’une des plus fortes dégradations dans la répartition des revenus. Entre les années quatre-vingt et 2013, les coefficients de Gini des revenus primaires et des revenus disponibles sont respectivement passés de 0,3 et 0,29 à 0,52 et 0,53. En 2009, les 1 % des ménages chinois les plus riches détenaient 4,9 % du revenu national, contre 2,8 % dans les années quatre-vingt. Les 5 % des ménages chinois les plus riches captaient 47 % du revenu national en 2012, contre 38 % en 1980. Les 5 % des ménages chinois les plus pauvres captaient 4,7 % du revenu national en 2012, contre 8,7 % en 1980. L’accroissement des inégalités est avant tout le résultat de l’accélération de la croissance des revenus parmi les riches plutôt que de la stagnation des revenus des plus modestes. Les inégalités entre les provinces chinoises et les disparités de revenu entre la ville et la campagne se sont également creusés. Elles pourraient en l’occurrence expliquer la moitié des inégalités de revenu interpersonnelles. Ainsi, la Chine était, au sortir du régime communiste, l’un des pays les plus égalitaires au monde ; elle est désormais l’un des pays les plus inégaux au monde.

Comme bien d’autres auteurs, Il Houng Lee, Murtaza Syed et Xin Wang (2013) ont directement relié la hausse des inégalités au modèle de croissance chinois fondé sur l’investissement et orienté à l’export. L’investissement alimenta l’accumulation de larges capacités de production, en l’occurrence dans le secteur manufacturier. Suite à l’accession à l’OMC, ces capacités de production furent en grande partie utilisées pour satisfaire la demande extérieure. Comme la Chine bénéficia également d’un large afflux de main-d’œuvre peu qualifiée des campagnes vers les villes, elle put offrir des biens manufacturés à bas prix sur les marchés internationaux et accroître ainsi rapidement ses parts de marché, alors même que le commerce mondial connaissait une forte expansion.

Ce modèle de croissance entraîna une répartition inégale des fruits de la croissance chinoise. C’est la côte est qui fut la première à se développer et à concentrer les usines. En raison de sa position géographique et de l’adoption de politiques préférentielles en sa faveur, elle a directement tiré profit du commerce international et fut la destination privilégiée des investissements directs à l’étranger. L’accumulation rapide du capital a permis à la productivité de se maintenir à un niveau élevé dans le secteur manufacturier, mais l’abondance en main-d’œuvre maintint les salaires à un faible niveau, si bien que ce sont essentiellement les entreprises et les propriétaires du capital qui captèrent l’essentiel de la valeur ajoutée. Malgré tout, en raison des écarts de productivité, les travailleurs du secteur manufacturier ont reçu des salaires plus élevés que les travailleurs agricoles, ce qui alimenta à nouveau les disparités salariales entre les campagnes des provinces intérieures et la côte urbanisée. L’accroissement de la demande de main-d’œuvre qualifiée, dans un contexte de main-d’œuvre peu qualifiée peu abondante, a entraîné une hausse de la prime de qualification, c’est-à-dire de l’écart salarial entre les qualifiés et les non-qualifiés. Les plus grandes entreprises ont pu se permettre de mieux payer leurs salariés, grâce aux gains qu’elles tiraient de l’exploitation des économies d’échelle, mais aussi grâce à leur accès privilégié au financement bancaire. Outre les salaires élevés qu’ils percevaient lorsqu’ils avaient un emploi qualifié, les ménages chinois qui vivaient dans les centres urbains bénéficièrent d’un meilleur accès à l’éducation et aux soins médicaux. Par contre, à cause du système Hukou, les migrants ont eu un accès restreint aux services sociaux.

Serhan Cevik et Carolina Correa-Caro (2015) notent que la politique budgétaire chinoise semble avoir été moins efficace à réduire les inégalités que dans les autres pays au cours des dernières décennies. La redistribution contribuait à réduire l’indice de Gini de 0,017 points durant les années quatre-vingt-dix, mais elle les a accru de 1,1 point sur la période 2000-2013. Le ratio impôts sur PIB a pratiquement doublé en Chine au cours des deux dernières décennies, atteignant désormais 19 %, mais il reste bien inférieur à la moyenne de l’OCDE, en l’occurrence 35 %, ce qui contraint la marge de manœuvre des autorités chinoises et notamment l’ampleur de la redistribution. D’autre part, le système d’imposition chinoise est globalement régressif, notamment parce que plus de la moitié des recettes publiques proviennent des taxes indirectes. Certes les dépenses publiques chinoises ont fortement augmenté, en passant de 18 % à 29 % du PIB entre 1990 et 2013. Or, non seulement ce niveau reste bien en-deçà de leur moyenne au sein de l’OCDE, en l’occurrence 45 % du PIB, mais la protection sociale et les soins de santé ne représentent en Chine que 6 % du PIB, contre 15 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Enfin, les services publics et les transferts bénéficient de façon excessive aux ménages riches urbains. Ce sont en effet les gouvernements locaux qui financent la santé et l’éduction : les zones pauvres se révèlent par conséquent incapables de financer ces services. En outre, le quartile supérieur reçoit 80 % des pensions de retraite, tandis que le quartile supérieur n’en reçoit que 2 %.

Parce qu’elle a contribué à l’accumulation du capital productif, la hausse des inégalités était peut-être nécessaire pour amorcer le décollage de la Chine ; en quelque sorte, celle-ci faisait initialement face à un arbitrage entre croissance et égalité et les autorités chinoises ont décidé de favoriser la première au détriment de la seconde. Au fur et à mesure que la Chine poursuit son développement économique, ce modèle de croissance apparaît de moins en moins soutenable. Des auteurs comme Andrew Breg et alii (2014) ont démontré que la persistance de fortes inégalités freine la croissance et la rend instable. En l’occurrence, dans le cas d’un pays émergent comme la Chine, l’exclusion d’une partie de la population de la santé et de l’éducation compromet l’accumulation de capital humain que beaucoup considèrent comme essentielle pour atteindre le club des pays riches.

 

Références

BERG, Andrew, Jonathan D. OSTRY, & Charalambos G. TSANGARIDES (2014), « Redistribution, inequality, and growth », FMI, staff discussion note, n° 14/02, février.

CEVIK, Serhan, & Carolina CORREA-CARO (2015), « Growing (un)equal: Fiscal policy and income inequality in China and BRIC+ », FMI, working paper, mars.

DOLLAR, David (2007), « Poverty, inequality and social disparities during China’s economic reform », Banque mondiale, policy research working paper, n° 4253.

KNIGHT, John (2013), « Inequality in China: An overview », Banque mondiale, policy research working paper, n° 6482, juin.

LEE, Il Houng, Murtaza SYED & Xin WANG (2013), « Two sides of the same coin? Rebalancing and inclusive growth in China », FMI, working paper, n° WP/13/185, août.

LUO, Xubei, & Nong ZHU (2008), « Rising income inequality in China: A race to the top », Banque mondiale, policy research working paper, n° 4700, août.

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