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20 décembre 2016 2 20 /12 /décembre /2016 17:00
Comment les inégalités de revenu ont évolué depuis un siècle aux Etats-Unis ?

Au cours des dernières décennies, les inégalités ont augmenté dans les pays développés, en particulier les pays anglo-saxons, après avoir eu tendance à décliner pendant un demi-siècle. Thomas Piketty et Emmanuel Saez (2003) ont montré que la part du revenu national détenue par les plus riches aux Etats-Unis avait suivi une évolution en forme de U tout au long du vingtième siècle, les inégalités déclinant jusqu’aux années soixante, avant d’amorcer leur remontée la décennie suivante. Saez (2016) actualise régulièrement cette étude et montre que les inégalités ont poursuivi leur hausse ces dernières années, même si la Grande Récession a renversé momentanément la tendance. Facundo Alvaredo, Anthony Atkinson, Thomas Piketty et Emmanuel Saez (2013), parmi d'autres, ont confirmé que le partage du revenu dans les autres pays développés a connu la même tendance qu'aux Etats-Unis, quoique de façon moins marquée.

Ces divers travaux rencontrent toutefois de grandes difficultés lorsqu'il s'agit de mesurer les inégalités. Alors que les précédentes études capturaient moins de 60 % du revenu national des Etats-Unis, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman (2016a, 2016b) ont récemment construit de nouvelles séries de données relatives à la répartition du revenu national américain depuis 1913 en combinant les données fiscales, les données tirées des enquêtes et les données des comptes nationaux. Ils sont ainsi parvenus à capturer 100 % du revenu national enregistré dans les comptes nationaux. Ainsi, ils peuvent observer avec précision la dynamique du revenu sur l’ensemble de sa répartition.

Leurs données indiquent que le revenu moyen par adulte avant impôt s’était accru de 60 % depuis 1980 et atteignait 64.000 dollars (à prix constants) en 2014. Le revenu avant impôt de la classe moyenne, c’est-à-dire des adultes dont le revenu est compris entre la médiane et le 90ème centile, s’est accru de 40 % depuis 1980, plus rapidement que ce que les données fiscales et les données d’enquête le suggèrent, en raison de la hausse des avantages en nature exonérés d’impôts. Par contre, le revenu moyen par adulte avant impôt des 50 % les plus modestes stagne autour de 16.000 dollars depuis 1980. La part du revenu des 50 % les plus modestes est ainsi passée de 20 % à 12 % entre 1980 et 2014 (cf. graphique 1).

GRAPHIQUE 1  Part du revenu national détenue par les 50 % les plus modestes aux Etats-Unis (en %)

Comment les inégalités de revenu ont évolué depuis un siècle aux Etats-Unis ?

source : Piketty et alii (2016)

Les données confirment que le revenu a explosé au sommet de la répartition. En effet, le revenu moyen avant impôt des 1 % les plus rémunérés est passé de 420.000 dollars à environ 1.300.000 dollars entre 1980 et 2014, si bien que leur part du revenu national est passée d’environ 12 % à 20 % au cours de la même période (cf. graphique 2). Depuis 1980, le revenu moyen a augmenté de 121 % pour les 10 % les plus riches, de 205 % pour les 1 % les plus riches et de 636 % pour les 0,1 % les plus riches. En 1980, les 1 % les mieux rémunérés gagnaient en moyenne 27 fois plus que les 50 % des adultes les plus modestes, tandis qu’ils gagnaient 81 fois plus que ces derniers aujourd’hui. Au cours de cette période, c’est l’équivalent de 8 points du revenu national qui ont été transférés des 50 % les plus modestes aux 1 % les plus riches. La part du revenu national détenue par les 1% les plus riches est désormais deux fois plus large que celle des 50 % les plus modestes, alors que ces derniers sont par définition 50 fois plus nombreux.

GRAPHIQUE 2  Part du revenu national détenue par les 1 % les plus riches aux Etats-Unis (en %)

Comment les inégalités de revenu ont évolué depuis un siècle aux Etats-Unis ?

source : Piketty et alii (2016)

L’essor des hauts revenus s’expliquait initialement du côté du revenu du travail : les plus riches s’enrichissaient avant tout parce que leurs salaires augmentaient rapidement. Mais à partir de 2000, cet essor s’explique plutôt du côté du revenu du capital : si les plus riches se sont enrichis plus rapidement que le reste de la population, c’est avant tout grâce à leur détention d’obligations et d’actions. Autrement dit, ces dernières décennies, les travailleurs riches (working rich) se sont mués en rentiers ou bien ces derniers les ont remplacés au sommet de la répartition. En outre, si les plus riches avaient tendance à rajeunir jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, ils ont par contre eu tendance à vieillir par la suite.

Piketty et ses coauteurs montrent que les inégalités de revenu entre les hommes et les femmes ont fortement diminué au fil des décennies, notamment grâce à la hausse du taux d’activité de ces dernières. Cette réduction des inégalités a contribué à contenir la hausse des inégalités parmi les adultes, mais l’écart de revenu entre les deux sexes demeure encore élevé. Parmi la population des 20-64 ans, les hommes gagnent en moyenne 1,7 fois plus que les femmes aujourd’hui, contre 3,7 au début des années soixante. La part du revenu détenue par les femmes décline fortement à mesure qu’elles progressent le long de la répartition du revenu du travail, ce qui dénote la présence d’un véritable plafond de verre. Les femmes détiennent seulement 16 % de la part du revenu national détenue par les 1 % les plus riches et 11 % de celle détenue par les 0,1 % les plus riches.

C’est environ un tiers des fruits de la croissance économique que le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux redistribuent. Pourtant, Piketty et alii montrent que cette redistribution n’a contenu que de façon très limitée la hausse des inégalités. Même après redistribution, la croissance du revenu des 50 % des adultes en âge de travailler les plus modestes est proche de zéro depuis 1980. Le montant global de revenus de transfert a certes augmenté, mais les prestations sociales ciblent avant tout les retraités et les classes moyennes, c’est-à-dire ceux qui gagnent un revenu compris entre la médiane et le 90ème centile. Piketty et ses coauteurs doutent de l’efficacité du système redistributif américain, si bien qu’ils jugent plus efficace pour l’Etat américain de chercher à réduire les inégalités dans la répartition même des revenus primaires, que ce soit en favorisant l’accumulation d’actifs (capital humain et capital financier) parmi les plus modestes ou en augmentant le pouvoir de négociation de ces derniers. Cela peut passer par des politiques de scolarisation, une amélioration du financement de l’éducation, une réforme des institutions du marché du travail, un relèvement du salaire minimum, etc.

 

Références

ALVAREDO, Facundo, Anthony B. ATKINSON, Thomas PIKETTY & Emmanuel SAEZ (2013), « The top 1 percent in international and historical perspective », NBER, working paper, n° 19075, mai.

PIKETTY, Thomas, & Emmanuel SAEZ (2003), « Income inequality in the United States, 1913-1998 », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 1.

PIKETTY, Thomas, Emmanuel SAEZ & Gabriel ZUCMAN (2016a), « Distributional national accounts: Methods and estimates for the United States », NBER, working paper, n° 22945, décembre.

PIKETTY, Thomas, Emmanuel SAEZ & Gabriel ZUCMAN (2016b), « Economic growth in the United States: A tale of two countries », Equitable growth, 6 décembre.

SAEZ, Emmanuel (2016), « Striking it richer: The evolution of top incomes in the United States », juin.

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