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17 septembre 2023 7 17 /09 /septembre /2023 10:17

Aux Etats-Unis, la croissance économique au cours des 150 dernières années a été relativement stable ; elle s’est maintenue en moyenne à 2 % par an (cf. graphique 1) [Jones, 2016]. Continuera-t-elle de se maintenir à ce rythme ces prochaines décennies ? Il y a quelques semaines, Charles Jones (2023) a fait part de ses réflexions sur cette question à la conférence de Jackson Hole.

GRAPHIQUE 1  PIB réel par tête aux Etats-Unis (en dollars de 2022, échelle logarithmique)

Quelles sont les perspectives de croissance à long terme ?

Il est tout d’abord revenu sur les sources de la croissance. Pour les tenants des théories de la croissance endogène, la hausse du niveau de vie dans les pays situés à la frontière technologique tient avant tout à l’apparition de nouvelles idées. Selon Paul Romer (1990), les idées se singularisent par leur non-rivalité : elles sont utilisables à l’infini. Une fois qu’une idée est inventée, elle peut potentiellement être utilisée simultanément par d’innombrables personnes : le fait qu’un individu utilise le théorème de Thalès n’empêche pas d’autres individus de l’utiliser également. Par conséquent, les niveaux de vie sont liés au stock total d’idées qui ont été inventées et non au stock d’idées par tête. Par conséquent encore, les niveaux de vie dépendent du nombre de personnes cherchant des idées (les scientifiques, les entrepreneurs…), si bien que le taux de croissance des niveaux de vie à long terme dépend du taux de croissance du nombre de personnes cherchant des idées, donc du taux de croissance démographique dans les pays qui produisent des idées. 

La croissance américaine s’est maintenue de façon stable au rythme de 2 % depuis un siècle et demi. Cela ne signifie pas qu’elle va nécessairement se maintenir à ce rythme dans le futur. Jones évoque plusieurs « vents contraires » (headwinds), des facteurs susceptibles selon lui de ralentir la croissance économique dans les pays à la frontière. En fait, celle-ci a déjà ralenti. Aux Etats-Unis, la croissance de la productivité globale des facteurs s’élevait en moyenne à 1,1 % par an entre 1990 et 2003 ; elle n’a atteint en moyenne que 0,6 % par an après 2003 (cf. graphique 2). Au sein du seul secteur manufacturier, le ralentissement a été encore plus impressionnant.

GRAPHIQUE 2  Productivité globale des facteurs aux Etats-Unis (en indices, base 100 en 2000)

Quelles sont les perspectives de croissance à long terme ?

Des facteurs autres que la création de nouvelles idées ont pu contribuer jusqu’à présent à la croissance, mais temporairement. C’est le cas de la hausse du niveau d’éducation. Celui-ci s’est fortement accru au vingtième siècle : la durée de scolarité a augmenté d’un an par décennie aux Etats-Unis [Goldin et Katz, 2008]. Mais pour les plus récentes cohortes, le niveau d’éducation a augmenté bien plus lentement, voire il a stagné [Autor et alii, 2020].

La hausse du taux d’investissement dans les nouvelles idées a aussi contribué temporairement à la croissance. Le taux d’investissement dans la propriété intellectuelle a déjà fortement augmenté : aux Etats-Unis, il est passé de 1 % du PIB dans les années 1930 à plus de 6 % du PIB au cours des dernières années. Autrement dit, la croissance s’est maintenue à 2 % avec une hausse de la part du PIB investie dans la production des nouvelles idées. Or, il est improbable que cette part puisse augmenter indéfiniment.

En fait, c’est peut-être la mécanique même de la création de nouvelles idées qui s’enraye également : les nouvelles idées sont de plus en plus dures à trouver [Bloom et alii, 2020]. Par exemple, la loi de Moore est restée valide, autrement dit les capacités des semi-conducteurs ont continué de doubler tous les deux ans, mais au prix d’un investissement croissant dans la recherche sur les semi-conducteurs : dans les années 2010, il fallait 18 fois plus de chercheurs que dans les années 1970 pour obtenir le doublement de la capacité des semi-conducteurs. Cette moindre productivité de la recherche est susceptible de tarir l’innovation et ainsi la croissance économique [Gordon, 2012]

En outre, la croissance démographique, qui constitue la source des nouvelles idées à long terme selon Jones, pourrait également se tarir. En effet, les taux de fertilité chutent à travers le monde ; ils sont même déjà inférieurs au taux de renouvellement de la population dans plusieurs pays développés. La croissance démographique devrait ainsi ralentir et peut-être même s’inverser. Or, pour Jones (2020), la décroissance démographique pourrait marquer la fin de la croissance économique en réduisant le nombre de personnes à la recherche de nouvelles idées. 

Contrairement à Gordon (2012), Jones fait abstraction de la question environnementale ; en se focalisant sur le rôle des idées dans la croissance économique, il a tendance à oublier la matérialité de la production, le fait que celle-ci nécessite une main-d'œuvre, du capital physique, des ressources naturelles comme intrants. Pourtant, le changement climatique, la transgression des autres limites planétaires et l’adoption de mesures en vue de contenir l’impact écologique des activités humaines vont freiner la croissance et occasionner d’amples pertes en production [Dell et alii, 2012 ; Burke et Tanutama, 2019 ; Kahn et alii, 2021]. Ceux-ci n’épargneront pas la création des nouvelles idées, notamment en privant de ressources la recherche et en réduisant l’efficacité des chercheurs.

Jones n’écarte pas toute lueur d’optimisme dans sa réflexion. Il évoque trois « vents arrière » (tailwinds), des facteurs susceptibles de stimuler à l'avenir la création d’idées et par là la croissance économique. Le premier est l’essor de pays émergents comme la Chine et l’Inde. Ceux-ci se rapprochent peu à peu de la frontière technologique et leurs chercheurs contribuent de plus en plus à accroître le stock d’idées disponibles au niveau mondial. Ensuite, l’« allocation des talents » tend à progresser ; par exemple, le plafond de verre tend à s'effriter et les femmes peuvent de plus en plus facilement participer à la recherche. Cette meilleure allocation des talents stimule la croissance ; selon Chang-Tai Hsieh et alii (2019), elle pourrait expliquer 40 % de la croissance du revenu par tête observée aux Etats-Unis au cours du dernier demi-siècle. Enfin, les intelligences artificielles devraient contribuer de plus en plus, et en l'occurrence de plus en plus efficacement, à la recherche de nouvelles idées, si bien que celle-ci pourrait ne plus  être contrainte par la taille de la population [Aghion et alii, 2019]. 

 

Références

AGHION, Philippe, Benjamin F. JONES & Charles I. JONES (2019), « Artificial intelligence and economic growth », in Ajay Agrawal, Joshua Gans & Avi Goldfarb (dir.), The Economics of Artificial Intelligence: An Agenda, University of Chicago Press.

AUTOR, David, Claudia GOLDIN & Lawrence F. KATZ (2020), « Extending the race between education and technology », in AEA Papers and Proceedings, vol. 110.

BLOOM, Nicholas, Charles I. JONES, John VAN REENEN & Michael WEBB (2020), « Are ideas getting harder to find? », in American Economic Review, vol. 110, n° 4.

BURKE, Marshall, & Vincent TANUTAMA (2019), « Climatic constraints on aggregate economic output », NBER, working paper, n° 25779.

DELL, Melissa, Benjamin F. JONES & Benjamin A. OLKEN (2012), « Temperature shocks and economic growth: Evidence from the last half century », in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 4, n° 3.

GOLDIN, Claudia, & Lawrence F. KATZ (2008), The Race between Education and Technology, Belknap Press.

GORDON, Robert J. (2012), « Is U.S. economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », NBER, working paper, n° 18315.

HSIEH, Chang-Tai, Erik HURST, Charles I. JONES & Peter J. KLENOW (2019), « The allocation of talent and U.S. economic growth », in Econometrica, vol. 87, n° 5.

JONES, Charles I. (2016), « The facts of economic growth », in John B. Taylor & Harald Uhlig (dir.), Handbook of Macroeconomics, vol. 2, Elsevier.

JONES, Charles I. (2020), « The end of economic growth? Unintended consequences of a declining population», NBER, working paper, n° 26651.

JONES, Charles I. (2023), « The outlook for long-term economic growth », NBER, working paper, n° 31648.

KAHN, Matthew E., Kamiar MOHADDES, Ryan N. C. NG, M. Hashem PESARAN, Mehdi RAISSI & Jui-Chung YANG (2021), « Long-term macroeconomic effects of climate change: A cross-country analysis », in Energy Economics, vol. 104.

ROMER, Paul M. (1990), « Endogenous technological change », in Journal of Political Economy, vol. 98, n° 5.

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