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23 mars 2015 1 23 /03 /mars /2015 22:23

De nombreuses études suggèrent que les mesures budgétaires et monétaires associées au New Deal de Roosevelt ont contribué à la reprise américaine en stimulant la demande globale. L’impact sur l’offre est toutefois plus controversé. D’un côté, parmi les nouveaux keynésiens, Gauti Eggertsson (2012) a affirmé que la sortie de la déflation joua un rôle important dans la sortie de la dépression. En facilitant la collusion entre les travailleurs et les entreprises, le New Deal entraîna une hausse des prix et des salaires et mit ainsi un terme à la déflation. A l’opposé, des économistes comme Christopher Erceg, Michael Bordo et Charles Evans (2000) ou encore Harold Cole et Lee Ohanian (2004) affirment que ces mesures eurent des effets récessifs en accroissant les salaires réels et en restreignant la production.

Jérémie Cohen-Setton, Joshua Hausman et Johannes Wieland (2015) ont voulu éclairer ce débat en se penchant sur l’expérience française au milieu des années trente. En 1936, le gouvernement du Front populaire abandonna politiques déflationnistes que lui imposait l’étalon-or, il procéda à une dévaluation et il adopta plusieurs politiques d’offre ayant pour effet de stimuler l’inflation. En l'occurrence, avec les accords de Matignon de juin 1936, les salaires privés furent relevés de 7 à 15 %, les travailleurs bénéficièrent de deux semaines de congés payés et la durée hebdomadaire du travail fut ramenée à 40 %, à nouveau sans réduction de salaire. L’élection du Front populaire en mai 1936 conduisit à une forte révision à la hausse des anticipations d’inflation. Les prix de gros avaient chuté de 5 % en 1935, mais ils augmentèrent de 16 % en 1936, de 38 % en 1937 et de 14 % en 1938. La forte accélération de l’inflation, dans un contexte où les taux d’intérêt nominaux ne varièrent que faiblement, entraîna une chute des taux d’intérêt réels de près de 40 points de pourcentage. Selon les modèles des nouveaux keynésiens, cette baisse des taux d’intérêt réels aurait dû conduire à une hausse soutenue de la production. Pourtant, contrairement aux prédictions de ces modèles et à l’expérience des autres pays, la production française stagna : entre mai 1936 et novembre 1938, la production industrielle (corrigée des variations saisonnières) chuta de pratiquement 10 %.

Les données temporelles et transversales suggèrent que les politiques d’offre, en particulier les 40 heures, contribuèrent effectivement à la stagnation française. Comparé aux autres pays durant les années trente, la France fut quasiment la seule à connaître à la fois une forte accélération de l’inflation et une stagnation de la production. Les variations des prix et de la production au sein de l’économie française coïncidèrent véritablement avec les actions entreprises par le gouvernement. Les prix commencèrent à augmenter lorsque le gouvernement du Front populaire fut élu en mai 1936 et ils grimpèrent encore plus rapidement lorsque la France abandonna l’étalon-or en septembre 1936. La production chuta tout d’abord suite à la prise de pouvoir du gouvernement du Front populaire, puis elle se releva peu après que la France ait dévalué. Lorsque la réduction de la durée hebdomadaire du travail fut pleinement entrée en vigueur, la production chuta à nouveau.

Cohen-Setton et ses coauteurs proposent alors un modèle de déséquilibres qui soit cohérent, d’une part, avec les effets expansionnistes associés à la baisse des salaires réels et, d’autre part, avec les effets récessifs associés à la hausse des salaires réels. Ils supposent que les salaires ne peuvent chuter en-deçà d’un certain seul. Lorsque la productivité du travail chute en-deçà de ce seuil, les entreprises considèrent qu’il n’est plus rentable d’embaucher de nouveaux travailleurs et d’accroître la production. Il y aurait donc un niveau maximal de production. Aussi longtemps que l’économie n’est pas contrainte en termes d’offre, la production croît d’autant plus que les anticipations d’inflation sont révisées à la hausse. Par contre, une hausse excessive des salaires réels empêche les entreprises de répondre à une plus forte demande, même lorsque la production est bien inférieure à son niveau potentiel. Lorsque la demande des ménages est rationnée, même une large baisse des taux d’intérêt réels peut échouer à stimuler la production.

Cette étude est particulièrement éclairante pour les politiques économiques menées aujourd’hui. De nombreuses banques centrales, incapables de baisser leurs taux d’intérêt en raison de la borne inférieure zéro, cherchent à relever les anticipations d’inflation, notamment la Banque du Japon en déployant la « première flèche » de l’abenomics. Cohen-Setton et ses coauteurs considèrent qu’un relèvement des anticipations d’inflation est essentiel pour sortir l’économie d’une trappe à liquidité. Leur étude les amène toutefois à conclure qu’il y a de bonnes et de mauvaises manières de les relever. En l’occurrence, la dévaluation du franc fut une bonne manière de stimuler les anticipations d’inflation ; elle permit ainsi à l’économie française de renouer avec une expansion, même de courte durée. Ce résultat est cohérent avec la conclusion de Barry Eichengreen et Jeffrey Sachs (1985) selon laquelle la plupart des pays connurent une reprise, suite à la Grande Dépression, que lorsqu’ils procédèrent à une dévaluation. Malheureusement le gouvernement du Front populaire s’appuya également sur une mauvaise manière pour relever les anticipations d’inflation : il imposa une hausse des salaires et des restrictions d’offre.  En l’absence de contraintes du côté de l’offre la France aurait connu une reprise rapide après avoir abandonné l’étalon-or. Ils confirment ainsi l’hypothèse de Barry Eichengreen (1992) selon laquelle les politiques d’offre du Front populaire ont pu annuler les gains que la France tira de la dévaluation.

Cohen-Setton et ses coauteurs soulignent que leur étude se contente d’observer les conséquences macroéconomiques des politiques d’offre françaises et non leurs répercussions sur le bien-être de la population. Ces politiques ont peut-être été la meilleure option qui se présentait au gouvernement français au vu des contraintes sociales et politiques auxquelles il faisait face. En d’autres termes, elles ont pu être un « moindre mal ».

 

Références

COHEN-SETTON, Jérémie, Joshua K. HAUSMAN & Johannes F. WIELAND (2015), « Supply-side policies in the Depression: Evidence from France », document de travail, 26 février.

COLE, Harold L., & Lee E. OHANIAN (2004), « New Deal policies and the persistence of the Great Depression: A general equilibrium analysis », in Journal of Political Economy, vol. 112, n° 4.

EGGERTSSON, Gauti B. (2012), « Was the New Deal contractionary? », in American Economic Review, vol. 102, février.

EICHENGREEN, Barry (1992), Golden Fetters: The Gold Standard and the Great Depression, 1919-1939.

EICHENGREEN, Barry, & Jeffrey SACHS (1985), « Exchange rates and economic recovery in the 1930s », in Journal of Economic History, vol. 45, n° 4.

ERCEG, Christopher J., Michael D. BORDO & Charles L. EVANS (2000), « Money, sticky wages, and the Great Depression », in American Economic Review, vol. 90, n° 5.

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