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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 16:43

Ces dernières décennies, les modèles des nouveaux keynésiens ont suggéré que le bilan des entreprises non financières  jouait un rôle déterminant dans les cycles d’affaires en faisant propager les chocs dans l’économie et en les amplifiant. Par exemple, selon l’idée d’accélérateur financier développée notamment par Ben Bernanke, les banques ont une information imparfaite sur la solvabilité des entreprises désirant emprunter ; elles vont prêter en observant la valeur de leurs actifs (elles les utilisent comme « collatéraux »). Lorsque les prix d’actifs s’accroissent, les banques sont plus enclines à prêter et elles réduisent leurs primes de risque, ce qui incite les entreprises à emprunter et à investir. Inversement, avec l’effondrement des prix d’actifs (par exemple, une baisse des cours boursiers ou des prix de l’immobilier), la valeur nette des entreprises se détériore, si bien que les banques se montrent plus réticentes à prêter. Or, ce faisant, elles détériorent davantage la situation financière des entreprises et accroît le risque de faillite. Au niveau agrégé, la chute des prix d’actifs conduit donc à une baisse de la production et à une hausse du chômage (qui conduit elle-même à aggraver la contraction de la production en réduisant la consommation).

Pourtant, ce n’est pas sur le bilan des entreprises que les études insistent pour expliquer l’accumulation des déséquilibres qui ont conduit à la crise, les répercussions de cette dernière sur l’activité ou encore la faiblesse de la subséquente reprise. Par exemple, Atif Mian et Amir Sufi se sont focalisés sur l’endettement des ménages au travers leurs divers travaux. En effet, la dette des ménages a fortement augmenté au cours des années qui ont précédé la Grande Récession, tandis que la dette des banques d’investissement (qui atteignait déjà des niveaux historiquement élevés) s’est accrue encore davantage ; par contre, la dette des entreprises non financières est restée essentiellement stable. Avec la hausse des prix des logements (utilisés comme collatéraux par les ménages), les banques ont été incitées à davantage prêter aux ménages ; la hausse du crédit bancaire a stimulé les achats immobiliers, ce qui a entretenu la hausse des prix de l’immobilier ; tant que le processus était à l’œuvre, la croissance américaine s’en trouvait stimulée, notamment car les ménages étaient incités à davantage consommer via les effets de richesse. Par contre, la baisse des prix de l’immobilier a incité les ménages américains et les institutions financières à se désendetter, ce qui a incité les premières à réduire leurs dépenses (donc les débouchés des entreprises) et les secondes à réduire les prêts (compliquant le financement de l’ensemble des agents économiques).

Or, Xavier Giroud et Holger Mueller (2015) notent que la stabilité du levier d’endettement médian des entreprises entre 2002 et 2006 dissimule de larges écarts. En l’occurrence, beaucoup d’entreprises ont fortement consolidé leurs bilans, tandis que d’autres se sont fortement endettées au cours de cette période. Giroud et Mueller affirment que les bilans des entreprises ont contribué à la propagation des chocs au cours de la Grande Récession. Les deux auteurs ne remettent pas en cause les conclusions des précédentes études quant à l’importance de l’endettement des ménages et des sociétés financières lors de la crise économique et financière ; ils montrent juste que l’endettement des entreprises a également joué un rôle dans l’effondrement de l’activité, en l’occurrence un rôle déterminant.

En effet, ils montrent à partir des données relatives aux différents établissements que les entreprises qui se sont le plus endetté au cours de l’expansion ont précisément été celles qui ont le plus fortement réduit l’emploi face à la réduction de la consommation des ménages entre 2007 et 2009. En outre, l’ensemble des pertes d’emplois associées à la chute des prix au cours de la Grande Récession sont concentrées parmi les établissements appartenant aux entreprises les plus endettées. A l’inverse, il n’y a pas de corrélation significative entre les variations des prix de l’immobilier et les variations de l’emploi au cours de la Grande Récession parmi les établissements des entreprises peu endettées. Au niveau agrégé des Etats-Unis, Giroud et Mueller constatent que les comtés ayant une grande part d’établissements appartenant aux entreprises les plus endettées ont présenté la plus forte chute de l’emploi face à la chute de la consommation des ménages.

Selon l’interprétation que privilégient les auteurs, les entreprises les plus endettées auraient été contraintes financièrement. D’une part, elles ont des niveaux élevés d’endettement et elles ont de mauvais résultats sur les mesures populaires des contraintes financières. D’autre part, face à l’effondrement de la consommation des ménages, les entreprises très endettées n’ont pas lever des fonds externes additionnels au cours de la Grande Récession. En fait, elles réduisirent leur personnel, fermèrent des établissements et réduisirent leurs dépenses d’investissement. En outre, les chocs touchants les établissements d’une entreprise très endettée ont eu tendance à se répercuter aux  autres établissements de l’entreprise. A l’inverse, les entreprises peu endettées n’ont pas réduit leur personnel, ni fermé des établissements, ni réduit leurs dépenses d’investissement et il n’y a pas eu d’effets de débordement entre les établissements. En fait, les entreprises peu endettées accrurent leur emprunt durant la Grande Récession.

Nick Bunker (2015) note que Giroud et Mueller n’expliquent pas pourquoi certaines entreprises se sont fortement endettées à la veille de la Grande Récession. Il avance quelques raisons : les achats à effet de levier, les rachats d’actions, les opérations de fusions et acquisitions... Enfin, Bunker estime que l’un des principaux enseignements de l’étude de Giroud et Mueller est que les répercussions de l’endettement des ménages et l’assèchement des marchés du crédit sont peut-être bien plus étroitement liés que ce que l’on pensait jusqu’alors. L’éclatement de la bulle immobilière a peut-être été à l’origine des chocs qui ont fait basculer les Etats-Unis (et l’économie mondiale) dans la Grande Récession, mais la dette des entreprises a fortement contribué à la propagation de ces chocs.

 

Références

BUNKER, Nick (2015), « U.S. firms’ high debt loads amplified the Great Recession », in Equitable growth, 15 mars.

GIROUD, Xavier, & Holger M. MUELLER (2015), « Firm leverage and unemployment during the Great Recession », NBER, working paper, n° 21076, avril.

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