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16 février 2016 2 16 /02 /février /2016 22:46

Plusieurs études publiées ces dernières années, notamment celles réalisées par Atish Ghosh et ses divers coauteurs (2010, 2011), ont suggéré que les contrôles de capitaux pouvaient s’avérer des plus efficaces pour contenir les risques associés aux entrées de capitaux et maintenir la stabilité financière, en particulier dans les pays en développement, au point de les préconiser dans le cadre de la politique macroprudentielle. Et pourtant, beaucoup d’économistes, d’analystes et de responsables politiques continuent d’être réticents à l’idée de les utiliser.

Atish Ghosh et Mahvash Qureshi (2016) ont alors cherché à expliquer pourquoi les restrictions aux entrées des capitaux ont une si mauvaise réputation. Pour cela, ils retracent l'histoire des contrôles de capitaux à travers le monde. Ils rappellent ainsi que de telles pratiques sont loin d'être récentes. Même à la fin du dix-neuvième siècle, que beaucoup considèrent pourtant être comme un âge d’or pour la globalisation financière, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, qui constituaient alors les principaux exportateurs de capitaux, restreignaient les entrées de capitaux, et ce avant tout pour des questions politiques. De leur côté, les importateurs de capitaux restreignaient les entrées de capitaux pour des raisons stratégiques. Durant l’entre-deux-guerres, les contrôles des sorties de capitaux se généralisèrent, en particulier dans les régimes autocratiques et autoritaires. Les années trente furent notamment marquées par la Grande Dépression et par des mouvements de capitaux fébriles ; les pays réagirent alors en instaurant des contrôles de changes, des mesures commerciales protectionnistes et des dévaluations compétitives. 

Durant l’immédiat après-guerre, les souvenirs de la Grande Dépression et des guerres de devises étaient encore fortement ancrés dans les consciences et notamment celles des principaux architectes du système de Bretton Woods. Aux yeux de John Maynard Keynes et de Harry Dexter White, cet épisode historique confirmait que la libre mobilité des capitaux était incompatible avec le libre-échange des biens et services. Ils estimaient notamment que les mouvements de capitaux pouvaient se révéler déstabilisateurs et n’inciter les pays qu’à embrasser le protectionnisme. Ils considéraient également que la mobilité des capitaux ne pouvait que réduire la capacité des gouvernements à mettre en œuvre des politiques conjoncturelles en vue de gérer la demande globale et de stabiliser les économies domestiques.

Au cours des premières années du système de Bretton Woods, les contrôles des capitaux sont restés assez répandus et, en l’occurrence, plus répandus parmi les pays avancés que parmi les pays en développement. En outre, ils portaient davantage sur les sorties de capitaux que sur les entrées de capitaux. Initialement, les restrictions des entrées de capitaux ont visé à limiter l'acquisition de secteurs jugés stratégiques par les étrangers. La libéralisation financière des pays avancés s’est amorcée dans les années soixante-dix, puis s’est accélérée dans les années quatre-vingt avec l’essor des doctrines du libre-échange. L’internationalisation des échanges commerciaux et l’essor des firmes transnationales réduisaient également l’attrait des contrôles de capitaux. Plus spécifiquement, les Etats-Unis et le Royaume-Uni désiraient rester les centres principaux de la finance internationale, or le maintien de barrières dans les mouvements de capitaux ne leur permettait pas de jouer ce rôle. De leur côté, les pays européens ont perçu le retrait des barrières aux mouvements des capitaux comme nécessaire pour poursuivre leur intégration régionale.

De leur côté, les pays en développement avaient des comptes courants relativement ouverts au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont eu tendance à les refermer à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, notamment pour poursuivre des stratégies de croissance introvertie. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt que les pays émergents commencent à libéraliser leurs comptes courants. A la veille de la crise financière mondiale de 2008, les mesures de restriction des entrées de capitaux avaient mauvaise réputation. Par exemple, lorsque la Thaïlande essaya de contenir les entrées de capitaux en instaurant un contrôle des capitaux en décembre 2006, mais face à la réaction violente des marchés elle fut forcée de l’abandonner rapidement. Même après la crise financière, les diverses tentatives des pays émergents  pour restreindre les entrées de capitaux n’ont pas toujours été accueilles favorablement. 

Au final, Ghosh et Qureshi suggèrent que plusieurs facteurs ont amené les pays à délaisser les contrôles de capitaux comme outils macroprudentiels. Premièrement, les contrôles de capitaux sont apparus comme inextricablement liés aux contrôles des sorties de capitaux, or ces derniers ont typiquement été associés aux régimes autocratiques (qui cherchaient à contenir toute fuite des capitaux), aux mauvaises politiques macroéconomiques et aux crises financières (au cours desquelles les résidents voient la valeur de leur épargne s’écrouler, tandis que les non-résidents ne peuvent rapatrier leurs capitaux). Deuxièmement, les restrictions des comptes de capitaux tendent souvent à être associées avec des restrictions de comptes courants. Or, comme les pays désirent approfondir leur intégration commerciale, ils perçoivent les contrôles des capitaux comme incompatibles avec le libre-échange. Troisièmement, l’usage des contrôles des capitaux, même pour des motifs macroprudentiels, est tombé en désuétude aux cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix avec l’essor des doctrines du libre-échange.

 

Références

GHOSH, Atish R., & Mahvash S. QURESHI (2016), « What’s in a name? That which we call capital controls », FMI, working paper, n° 16/25, février.

OSTRY, Jonathan, Atish GHOSH, Karl HABERMEIER, Marcos CHAMON, Mahvash QURESHI & Dennis REINHARDT (2010), « Capital inflows: The role of controls », FMI, staff position paper, n° 10/04.

OSTRY, Jonathan, Atish GHOSH, Karl HABERMEIER, Marcos CHAMON, Mahvash QURESHI, Luc Laeven & Annamaria Kokenyne (2011), « Managing capital inflows: What tools to use? », FMI, staff discussion note, n° 11/06

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