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2 avril 2022 6 02 /04 /avril /2022 09:45
Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

Suite à la première vague de confinements, la demande a rapidement rebondi, plus vite que ne pouvait le faire l’offre. Cette dernière restait notamment contrainte par la persistance de l’épidémie, alimentant notamment l’absentéisme parmi les travailleurs, et le maintien de mesures sanitaires, augmentant leurs coûts de production et réduisant l’efficacité de leurs travailleurs. En outre, le fait même que la demande augmente plus vite que l’offre a entraîné des goulots d’étranglement sur plusieurs marchés, notamment ceux de matières premières, se manifestant par une hausse des délais de livraison, une hausse des prix, voire des pénuries [Boissay et alii, 2021]. C’est l’ensemble des chaînes de valeur qui est resté perturbé, les difficultés touchant une étape de production sur une chaîne d’approvisionnement se répercutant sur celles à son aval, les amenant à ralentir leur production. Une telle situation est propice à une accélération de l’inflation. Et c’est précisément ce que nous avons observé ces derniers trimestres [Budianto et alii, 2021].

GRAPHIQUE 1  Taux d'inflation aux Etats-Unis (en %)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : FRED

Mais, alors même que les perturbations provoquées par la pandémie sont sensiblement similaires des deux côtés de l’Atlantique, l’inflation a augmenté plus vite aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. L’indice des prix des dépenses personnelles de consommation, l’indicateur que privilégie la Fed, a atteint 6,4 % en février, un niveau qui n’avait guère été observé au cours des quatre dernières décennies (cf. graphique 1). Cette accélération de l'inflation ne tient pas seulement à la hausse du prix de l'énergie : l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire excluant les prix (volatils) des produits alimentaires et de l’énergie, était à peine plus faible, s’établissant à 5,4 %. 

Retenant l’indice des prix à la consommation plutôt que l’indice des prix des dépenses de consommation personnelles comme indicateur, Òscar Jordà, Celeste Liu, Fernanda Nechio et Fabián Rivera-Reyes (2022) ont comparé l’évolution de l’inflation observée aux Etats-Unis avec celle observée dans un échantillon d’autres pays de l’OCDE, composé en l’occurrence de l’Allemagne, du Canada, du Danemark, de la Finlande, de la France, de la Norvège, du Royaume-Uni et de la Suède.

GRAPHIQUE 2  Taux d'inflation sous-jacente aux Etats-Unis et dans les autres pays de l’OCDE (en %)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Jordà et alii (2022)

En 2019 et 2020, les taux d’inflation sous-jacente étaient relativement similaires dans les autres pays de l’OCDE observés (cf. graphique 2). Celui des Etats-Unis était tout au long de ces deux années supérieur d’environ un point de pourcentage à la valeur médiane des autres pays de l’OCDE observés. La divergence entre les taux d’inflation sous-jacente des Etats-Unis et des autres pays de l’OCDE observés apparaît au début de l’année 2021 : le taux d’inflation sous-jacente des Etats-Unis est passé au cours de cette année-là de 2 % à 4 %, tandis que celle enregistrée dans les autres pays de l’OCDE observés a augmenté plus modérément, en passant de 1 % à 2,5 %.

GRAPHIQUE 3  Taux de chômage trimestriel aux Etats-Unis et dans la zone euro (en %)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Klitgaard (2022)

La divergence dans les situations observées sur le marché du travail contribue certainement à expliquer pourquoi l’inflation sous-jacente a augmenté plus rapidement aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. Avant même qu’éclate la pandémie, l’économie américaine était déjà dans une situation qualifiée de plein emploi. Des deux côtés de l’Atlantique, le taux de chômage ont augmenté au deuxième trimestre 2020, dans le sillage des premiers confinements, mais de façon bien plus limitée dans les pays de la zone euro, en raison des dispositifs de chômage technique adoptés par ces derniers, des dispositifs visant précisément à maintenir intact le lien entre les salariés et leur emploi (cf. graphique 3). Aujourd’hui, les taux de chômage sont revenus à des niveaux proches de ceux observés à la veille de la pandémie, mais si l’emploi est revenu à son niveau prépandémique dans la zone euro, ce n’est pas le cas aux Etats-Unis (cf. graphique 4). Pour une raison ou une autre, une partie de la main-d’œuvre américaine a des difficultés à revenir à l’emploi. En conséquence, les tensions sur le marché du travail sont bien plus marquées aux Etats-Unis que dans les pays de la zone euro, si bien que la croissance des salaires a été plus forte dans les premiers que dans les seconds. La question reste ouverte quant à savoir dans quelle mesure cette hausse des salaires contribue à alimenter les pressions inflationnistes.

GRAPHIQUE 4  Emploi aux Etats-Unis et dans la zone euro (en indices, base 100 au quatrième trimestre 2019)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Klitgaard (2022)

Ce n’est toutefois pas la situation sur le marché du travail qui retient l’attention de Jordà et alii (2022). A travers le monde, les autorités budgétaires ont cherché à neutraliser les répercussions économiques de la pandémie et des mesures sanitaires adoptées en vue de la contenir. Ces mesures de soutien budgétaire ont été exceptionnellement fortes dans le cas des Etats-Unis : sur un intervalle d’un an, l’économie américaine a connu la plus ample impulsion budgétaire depuis la Seconde Guerre mondiale, voire depuis le New Deal des années 1930. En mars 2020, l’administration Trump a fait passer la loi CARES, dont le montant s’élevait à 2.300 milliards de dollars, soit l’équivalent de 11 % du PIB. Une tranche additionnelle de soutien budgétaire, d’un montant de 868 milliards de dollars, soit l’équivalent de 4,1 % du PIB, est fournie en décembre de la même année. En mars 2021, l’administration Biden, fraîchement mise en place, a fait adopter l’American Rescue Plan (ARP), d’un montant de 1.844 milliards de dollars, soit 8,8 % du PIB de l’année 2020. Ces diverses mesures budgétaires ont directement affecté le revenu disponible des ménages ; elles comprenaient notamment d’amples baisses d’impôts pour les particuliers et une meilleure indemnisation du chômage. Pour des économistes comme Larry Summers (2021) et Olivier Blanchard (2021), l’adoption d’un nouveau plan de soutien budgétaire d’ampleur dans un contexte où l’économie américaine avait déjà amplement entamé sa reprise post-pandémique ne pouvait que la mettre en surchauffe.

Pour évaluer l’impact que les programmes de soutien budgétaire ont pu avoir en définitive sur l’activité économique, Jordà et ses coauteurs ont observé l’évolution du revenu disponible réel des ménages (cf. graphique 5). Alors que dans les autres pays de l’OCDE observés, le revenu disponible des ménages a été simplement stabilisé, il a connu deux pics aux Etats-Unis, au deuxième trimestre 2020 et au premier trimestre 2021, c’est-à-dire respectivement dans le sillage de l’adoption des lois CARES et ARP. Avec les revenus de transfert accordés dans le cadre de ces deux lois, le soutien budgétaire a été bien plus puissant aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. 

GRAPHIQUE 5  Revenu personnel disponible réel aux Etats-Unis et dans les autres pays de l’OCDE (en indices, base 100 au quatrième trimestre 2019)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Jordà et alii (2022)

Afin de déterminer dans quelle mesure le soutien budgétaire explique l’inflation aux Etats-Unis, Jordà et ses coauteurs ont étudié le lien entre revenu disponible des ménages et inflation au prisme de la courbe de Phillips. En l’occurrence, ils ont cherché à déterminer quelle aurait été l’inflation américaine si le soutien budgétaire aux Etats-Unis avait été de la même ampleur que dans les autres pays de l’OCDE qu’ils observent. En comparant l’évolution observée de l’inflation et sa trajectoire contrefactuelle, ils estiment que les mesures de soutien budgétaire au profit des ménages qui ont été adoptées pour contrer les répercussions de la pandémie sur l’économie expliquent trois points de pourcentage du taux d’inflation observée aux Etats-Unis (cf. graphique 6). Cela dit, ils soulignent que cette estimation est sujette à une forte incertitude. 

GRAPHIQUE 6  Inflation américaine : trajectoires observée et simulée en l’absence de soutien budgétaire (en %)

Pourquoi l’inflation est-elle plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ?

source : Jordà et alii (2022)

Pour Jordà et ses coauteurs, en l’absence des mesures de soutien budgétaire exceptionnelles que les administrations Trump et Biden ont adoptées, l’économie américaine aurait pu connaître de la déflation et une bien moindre croissance économique. En définitive, l’inflation semble bien constituer le prix à payer pour la vigueur de la reprise post-pandémique.

 

Références

BARNICHON, Regis, Luiz E. OLIVEIRA & Adam H. SHAPIRO (2021), « Is the American Rescue Plan taking us back to the ’60s? », FRBSF Economic Letter, n° 2021-27, octobre.

BLANCHARD, Olivier (2021), « In defense of concerns over the $1.9 trillion relief plan », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 18 février.

BOISSAY, Frederic, Emanuel KOHLSCHEEN, Richhild MOESSNER & Daniel REES (2021), « Labour markets and inflation in the wake of the pandemic », BRI, BIS Bulletin, n° 47, octobre.

BUDIANTO, Flora, Giovanni LOMBARDO, Benoit MOJON & Daniel REES (2021), « Global reflation? », BRI, BIS Bulletin, n° 43, juillet.

JORDÀ, Òscar, Celeste LIU, Fernanda NECHIO & Fabián RIVERA-REYES (2022), « Why Is U.S. Inflation higher than in other countries? », FRBSF Economic Letter, n° 2022-07, mars.

KLITGAARD, Thomas (2022), « How have the euro area and U.S. labor market recoveries differed? », New York Fed, Liberty Street (blog), 30 mars.

REES, Daniel, & Phurichai RUNGCHAROENKITKUL (2021), « Bottlenecks: Causes and macroeconomic implications », BRI, BIS Bulletin, n° 48, novembre.

SUMMERS, Lawrence H. (2021), « The Biden stimulus is admirably ambitious. But it brings some big risks, too », in Washington Post, 4 février.

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