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4 juin 2023 7 04 /06 /juin /2023 15:59
Quels sont les effets d'une dépréciation du taux de change sur l'activité économique ?

Après plusieurs décennies de débats, la littérature n’a pas abouti à un consensus sur les répercussions macroéconomiques d’une dépréciation du taux de change. Pour certains économistes, les dépréciations tendent à stimuler l’activité économique. En l’occurrence, elles le feraient en provoquant une réorientation des dépenses (expenditure-switching) sur les marchés des produits : selon le modèle Mundell-Fleming, une dépréciation augmente le prix relatif des biens produits à l’étranger vis-à-vis des biens domestiques, ce qui devrait inciter les résidents et les étrangers à consommer davantage de ces derniers, donc stimuler par ce biais la production domestique (1). Certains travaux focalisés sur années 1930 concluent que les dépréciations qu’ont connues les premiers pays à avoir abandonné l’étalon-or ont fortement stimulé leur activité domestique [Eichengreen et Sachs, 1985]. 

Pour d’autres économistes, les dépréciations tendent au contraire à déprimer l’activité domestique. C’est ce qu’a notamment suggéré la crise asiatique à la fin des années 1990 : les économies touchées par celles-ci se sont effondrées, alors même que leur monnaie était fortement dévaluée. En effet, en augmentant le prix des biens importés, la dépréciation va non seulement dégrader le pouvoir d'achat des ménages, mais aussi alourdir les coûts de production des entreprises, et ce d’autant plus que des importations sont incompressibles, c’est-à-dire n’ont pas de substituts domestiques [Wijnbergen, 1989]. En outre, une dépréciation peut entraîner un effet de revenu négatif : si les salaires ne s’ajustent pas immédiatement aux prix, il y a une redistribution des salaires aux profits, c’est-à-dire des agents à forte propension à consommer vers les agents à faible propension à consommer [Diaz-Alejandro, 1965 ; Cooper, 1971 ; Krugman et Taylor, 1978]. Une dépréciation peut aussi occasionner un effet de bilan négatif : lorsque les recettes des entreprises sont libellées en monnaie domestique, mais que celles-ci se sont endettées en devises étrangères, une dépréciation du taux de change augmente le poids de l’endettement, ce qui augmente le risque de faillites pour les entreprises et le risque de crise financière [Céspedes et alii, 2004]. C’est un tel effet qui aurait été à l’œuvre lors des crises de change des pays asiatiques selon Paul Krugman (1999). 

Enfin, pour d’autres économistes encore, les variations du taux de change sont pour l’essentiel déconnectées des agrégats macroéconomiques [Meese et Rogoff, 1983 ; Baxter et Stockman, 1989 ; Flood et Rose, 1995 ; Devereux et Engel, 2002]. Selon Maurice Obstfeld et Kenneth Rogoff (2000), cette apparente déconnexion constitue d’ailleurs l’une des six grandes énigmes en économie internationale. 

Cette question de l’effet de la dépréciation du taux de change sur l’activité économique est difficile à trancher en raison de problèmes d’endogénéité. D’un côté, de nombreux facteurs autres que les variations du taux de change sont susceptibles d’influencer l’activité domestique ; de l’autre, de nombreux facteurs autres que l’activité domestique sont susceptibles d’influencer le taux de change. Les études cherchant à déterminer l’éventuelle influence des variations du taux de change sur l’activité économique sont confrontés à la présence de facteurs confondants. Par exemple, quand un pays subit un choc négatif, son taux de change aura tendance à se déprécier et la croissance à ralentir. Dans ce cas-là, une analyse superficielle risque de conclure erronément que la dépréciation freine la croissance. 

Masao Fukui, Emi Nakamura et Jón Steinsson (2023) se sont alors appuyés sur une expérience naturelle pour déterminer les effets propres à une dépréciation. Certaines devises sont ancrées sur le dollar américain. Par conséquent, quand le dollar se déprécie, elles tendent à se déprécier vis-à-vis des devises qui flottent librement vis-à-vis du dollar. Fukui et ses coauteurs ont étudié les répercussions de ces dépréciations « induites » par le régime de change en comparant la performance des pays ayant ancré leur monnaie sur le dollar avec celle des pays qui l’ont laissée flotter. Dans la mesure où les chocs idiosyncratiques touchant chaque pays n’affectent pas le taux de change du dollar, cette approche permet d’exclure toutes les variations du taux de change dues à de tels chocs. 

Fukui et ses coauteurs concluent que les dépréciations induites par le régime de change sont fortement expansionnistes. Une dépréciation du dollar américain entraîne une dépréciation du taux de change, tant nominal que réel, des devises des pays ancrées sur le dollar relativement aux devises qui flottent librement vis-à-vis de ce dernier. Cette dépréciation est assez durable, dans la mesure où elle dure à peu près cinq ans. La production, la consommation et l’investissement connaissent un boom dans les pays ayant ancré leur monnaie sur le dollar. Ce boom se manifeste graduellement et atteint son pic cinq ans après le début de la dépréciation. En définitive, Fukui et ses coauteurs estiment qu’une dépréciation de 10 % induite par le régime de change se traduit par une hausse du PIB de 5,5 % au cours des cinq années suivantes. 

Ils ont alors observé l’effet des dépréciations sur d’autres agrégats macroéconomiques pour déterminer la mécanique à l’œuvre. Ils notent, d’une part, que les exportations nettes chutent suite à une dépréciation induite par le régime de change et, d’autre part, que les taux d’intérêt nominaux tendent à augmenter suite à celle-ci. Le premier constat amène à douter que la dépréciation stimule l’activité domestique en stimulant les exportations via une réorientation des dépenses. Le second amène à douter que la dépréciation se traduise par un assouplissement de la politique monétaire dans les pays ayant ancré leur monnaie au dollar relativement aux pays ayant laissé leur monnaie flotter vis-à-vis de celui-ci. De tels constats amènent à écarter les modèles traditionnellement utilisés pour expliquer l'impact des variations du taux de change.

 

(1) Ce résultat n’est toutefois attendu que si la condition Marshall-Lerner est vérifiée, c’est-à-dire si la somme des élasticités des exportations et des importations est supérieure à l’unité. Les études ne prêtent guère à l’optimisme. 

 

Références

BAXTER, Marianne, & Alan C. STOCKMAN (1989), « Business cycles and the exchange rate system », in Journal of Monetary Economics, vol. 23.

CÉSPEDES, Luis Felipe, Roberto CHANG & Andrés VELASCO (2004), « Balance sheets and exchange rate policy », in American Economic Review, vol. 94.

COOPER, Richard N. (1971), « Currency devaluation in developing countries », in Essays in International Finance, n° 86.

DEVEREUX, Michael B. & Charles ENGEL (2002), « Exchange rate pass-through, exchange rate volatility, and exchange rate disconnect », in Journal of Monetary Economics, vol. 49.

DIAZ ALEJANDRO, Carlos F. (1963), « A note on the impact of devaluation and the redistributive effect », in Journal of Political Economy, vol. 71.

EDWARD, Sebastian (1986), « Are devaluations contractionary? », in The Review of Economics and Statistics, MIT Press, vol. 68, n° 3. 

EICHENGREEN, Barry, & Jeffrey SACHS (1985), « Exchange rates and economic recovery in the 1930s », in Journal of Economic History, vol. XLV, n° 4.

FLOOD, Robert P., & Andrew K. ROSE (1995), « Fixing exchange rates: a virtual quest for fundamentals », in Journal of Monetary Economics, vol. 36.

FUKUI, Masao, Emi NAKAMURA & Jón STEINSSON (2023), « The macroeconomic consequences of exchange rate depreciations », NBER, working paper, n° 31279.

KRUGMAN, Paul (1999), « Balance sheets, the transfer problem, and financial crises », in International Tax and Public Finance, vol. 6.

KRUGMAN, P., & L. TAYLOR (1978), « Contractionary effects of devaluation », in Journal of International Economics, vol. 8.

MEESE, Richard A., & Kenneth ROGOFF (1983), « Empirical exchange rate models of the seventies: Do they fit out of sample? », in Journal of International Economics, vol. 14, n° 1-2.

OBSTFELD, Maurice, & Kenneth ROGOFF (2000), « Six major puzzles in international macroeconomics: Is there a common cause? », in NBER Macroeconomics Annual, vol. 15.

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