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27 août 2023 7 27 /08 /août /2023 13:03
Les montagnes de dette ne sont pas près de disparaître 

Les dettes publiques ont atteint des niveaux sans précédent en temps de paix. Depuis la crise financière mondiale, les ratios dette publique sur PIB à travers le monde sont passés en moyenne de 40 % à 60 %. Dans les pays développés, ils ont atteint en moyenne les 85 %. Aux Etats-Unis, la dette fédérale se rapproche des 100 % du PIB, mais dans d’autres pays développés, comme l'Italie et le Japon, le ratio dette publique sur PIB atteint des niveaux encore plus élevés. Certains, notamment au sein des institutions internationales comme la BRI et le FMI, ont exprimé leurs inquiétudes et appelé à réduire rapidement cet endettement.

GRAPHIQUE Dette publique nette (en % du PIB)

Les montagnes de dette ne sont pas près de disparaître 

source : FMI

Dans un papier présenté hier à la conférence de Jackson Hole, Serkan Arslanalp et Barry Eichengreen (2023) ont développé l’idée qu'une forte réduction de la dette publique, aussi désirable soit-elle, est improbable dans un avenir proche.

Certes, le différentiel taux d’intérêt-taux de croissance (rg) a été particulièrement favorable ces dernières décennies, même négatif, ce qui a permis de pousser à la baisse le ratio dette publique sur PIB à mesure que la croissance se poursuivait [Blanchard, 2019]. Mais il apparaît improbable qu’il soit plus favorable : les taux d’intérêt réels ont atteint de très faibles niveaux et semblent amorcer une hausse durable, tandis que les perspectives de croissance à long terme restent moroses. Une innovation majeure, peut-être l’intelligence artificielle, pourrait peut-être fortement stimuler la productivité, mais par le passé l’effet des innovations majeures ne s’est pas matérialisé immédiatement [Eichengreen, 2015].  

En principe, les gouvernements peuvent fortement réduire leur ratio d’endettement en générant d’amples excédents primaires, c'est-à-dire en optant pour une certaine combinaison de hausse d'impôts et de baisse des dépenses publiques. Malheureusement, par le passé, les amples excédents primaires ont eu tendance à ne pas durer : au cours du dernier demi-siècle, les épisodes pendant lesquels les pays ont connu des excédents de 3 à 5 % du PIB ont généralement été brefs [Eichengreen et Panizza, 2016]. Le maintien d’amples excédents primaires nécessite en effet des conditions économiques favorables et un certain degré de solidarité politique. Au dix-neuvième siècle, c’est un tel contexte qui a par exemple permis à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et à la France de fortement réduire les dettes qu’ils avaient héritées des guerres : les gouvernements voulaient chercher à assainir rapidement leurs finances pour être capables de s’endetter fortement en cas de nouveau conflit (dans le cas français), les créanciers étaient très représentés au Parlement (dans le cas britannique), etc. Plus largement, l’Etat ne jouait pas à l’époque un rôle actif dans l’économie en temps normal. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et avec le vieillissement démographique, la transition vers la neutralité carbone, l'adaptation au changement climatique et peut-être même la remilitarisation du monde, il apparaît certain que le niveau de dépenses publiques continue d'augmenter. 

Le plafonnement des taux d’intérêt via des mesures de répression financière a pu contribuer à réduire les ratios dette publique sur PIB par le passé, en l’occurrence au sortir de la Seconde Guerre mondiale : les banques centrales, notamment sous la pression des autorités budgétaires, sont intervenues pour maintenir les taux d’intérêt des titres publics à un très faible niveau, malgré de fortes poussées d’inflation, tandis que les flux de capitaux, entre les pays et en leur sein, étaient très réglementés, canalisant l’épargne vers les titres publics [Reinhart et Sbrancia, 2015]. Mais Arslanalp et Eichengreen estiment improbable le recours à une telle option aujourd’hui. D’une part, les banques centrales jouissent d’une bien plus grande indépendance qu’à l’époque, si bien qu’elles sont notamment moins tolérantes à laisser l’inflation fortement varier. D’autre part, une remise en cause de la libéralisation financière semble peu probable, tandis que les innovations financières (avec l’exemple récent des crypto-actifs) contribuent à élargir toujours plus la gamme d’instruments à la disposition des épargnants.

La forte hausse de l’inflation observée au sortir de la pandémie laisse beaucoup espérer que l’inflation puisse jouer un rôle significatif dans l’allègement du poids réel des dettes publiques. Arslanalp et Eichengreen notent d’ailleurs qu’elle a d’ailleurs contribué avec le rebond de la croissance à réduire de 5 points de pourcentage le ratio dette publique sur PIB aux Etats-Unis et au niveau mondial en 2020 et 2021. Mais elle y a contribué parce que sa hausse n’a pas été anticipée. En effet, Daniel Garcia-Macia (2022) et Ichiro Fukunaga et alii (2022) concluent, à partir de données débutant dans les années 1990, que l’inflation exercé un impact sur le ratio d’endettement seulement lorsqu’elle n’est pas anticipée. Recourant à des données remontant jusqu’au dix-neuvième siècle, Barry Eichengreen et Rui Esteves (2022) n’ont pas repéré de claire relation positive entre inflation et consolidations de la dette publique. En outre, ils constatent qu’au cours des périodes où l’inflation a été durablement forte, les paiements d’intérêts ont eu tendance à fortement augmenter et la maturité de la dette à diminuer, réduisant l’impact positif de l’inflation sur le ratio d’endettement. Parmi les 30 épisodes de fortes réductions du ratio dette publique sur PIB dans les pays développés après la Seconde Guerre mondiale qu’ils ont observés, Sofia Bernardini et alii (2022) constatent que l’inflation n’a joué un rôle déterminant dans le désendettement public qu’en atteignant des taux très élevés et, plus largement, qu’elle n’a contribué à réduire le poids de la dette qu’en étant accompagnée de mesures comme la répression financière et le contrôle des capitaux, c'est-à-dire dans un contexte peu probable aujourd'hui.

Ainsi, Arslanalp et Eichengreen estiment qu’il faut considérer les dettes élevées comme un « état semi-permanent ». Pour autant, cela ne veut pas dire que cette situation ne posera pas problème. Et, en l’occurrence, elle risque d’être davantage problématique pour les pays en développement que pour les pays développés. Il y a en effet à travers le monde une forte demande de titres sûrs. Cette demande émane certes des banques centrales des pays émergents, mais aussi du secteur privé. Elle s’explique notamment par la volonté de ces agents de détenir des actifs sûrs comme moyen d’assurance contre les risques. Or, les pays émergents et, plus encore, les pays à bas revenu ont une capacité limitée à produire des actifs sûrs, si bien que cette demande ne peut être satisfaite qu’auprès des gouvernements des pays développés. Cela permet à ces derniers quasiment assurés de la soutenabilité de leur dette publique.

Par contre, non seulement les pays émergents et à bas revenu ne bénéficient pas d’une telle demande, mais la maturité et la composition de leur dette sont en outre moins favorables. Pour Arslanalp et Eichengreen, cela plaide en faveur d’une restructuration de leur dette. Or, celle-ci apparaît plus difficile à mettre en œuvre aujourd’hui, en raison de l’essor de la finance de marché et de créanciers publics extérieurs au Club de Paris.

 

Références

ARSLANALP, Serkan, & Barry EICHENGREEN (2023), « Living with high public debt ».

BERNARDINI, Sofia, Carlo COTTARELLI, Giampaolo GALLI & Carlo VALDES (2021), « Reducing public debt: The experience of advanced economies », in Journal of Insurance and Financial Management, vol. 4, n° 5.

BLANCHARD, Olivier (2019), « Public debt and low interest rates », in American Economic Review, vol. 109, n° 4.

EICHENGREEN, Barry (2015), « Secular stagnation: The long view », in American Economic Association Papers and Proceedings, vol. 105, n° 5.

EICHENGREEN, Barry, & Ugo PANIZZA (2016), « A surplus of ambition: Can Europe rely on large primary surpluses to solve its debt problem? », in Economic Policy, vol. 31.

EICHENGREEN, Barry, & Rui ESTEVES (2023), « Up and away? Inflation and debt consolidation in historical perspective », in Oxford Open Economics, vol. 1.

FUKUNAGA, Ichiro, Takuji KOMATSUZAKI & Hideaki MATSUOKA (2022), « Inflation and public debt reversals in advanced economies », in Contemporary Economic Policy, vol. 40, n° 1.

GARCIA-MACIA, Daniel (2023), « The effects of inflation on public finances », FMI, working paper, n° 23/93.

REINHART, Carmen M., & M. Belen SBRANCIA (2015), « The liquidation of government debt », in Economic Policy, vol. 30, n° 82.

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