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26 avril 2023 3 26 /04 /avril /2023 15:03

Les banques centrales peuvent-elles parvenir à ramener l’inflation à un faible niveau sans provoquer de récession ? Le débat a suscité de nombreuses analyses outre-Atlantique autour de la capacité de la Réserve fédérale à faire atterrir en douceur l’économie américaine. Alan Blinder (2023) estime qu’elle n’y est parvenue qu’une seule fois au cours des six dernières décennies, à savoir lors du resserrement monétaire du mitan des années quatre-vingt-dix. Pessimistes, Alex Domash et Larry Summers (2022a, 2022b) n’ont guère trouvé d’épisodes au cours desquels la Fed ait réussi à faire atterrir en douceur l’économie américaine avec un taux d’inflation et des tensions sur le marché du travail aussi importants que ceux observées actuellement. Partant de la courbe de Beveridge, Andrew Figura et Chris Waller (2022) et Brandyn Bok et alii (2022) estiment que les tensions sur le marché du travail américain peuvent diminuer sans que le taux de chômage ne s’accroisse significativement. Olivier Blanchard et alii (2022) en doutent : suite à la pandémie, la courbe de Beveridge s’est déplacée vers le haut, visiblement sous l’effet de la réallocation sectorielle et en raison de plus grandes difficultés d’appariement entre travailleurs et emplois, si bien qu’il leur paraît hautement improbable que le taux de postes vacants puisse diminuer sans que le taux de chômage n’augmente fortement. 

Dans une nouvelle analyse, Stephen Cecchetti, Michael Feroli, Peter Hooper, Frederic Mishkin et Kermit Schoenholtz (2023) ont étudié les grandes désinflations qui ont été observées depuis 1950 dans quatre pays développés, à savoir l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ils en repèrent 17, dont 16 qu’ils estiment provoquées par un resserrement monétaire. Plusieurs d’entre elles n’ont guère été efficaces, dans le sens où elles ont été suivies par une remontée de l’inflation. En l’occurrence, les désinflations du début et du milieu des années soixante-dix ont été suivies par une forte hausse de l’inflation. C’est notamment le cas aux Etats-Unis, la Fed ayant assoupli sa politique monétaire dès que l’économie américaine basculait dans la récession. Les désinflations de la fin des années cinquante, du début des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix ont été plus efficaces, dans la mesure où elles ont été suivies par une inflation relativement modeste. En l’occurrence, la seule désinflation qui a débuté avec des taux d’inflation supérieurs à ceux que l’on observe actuellement et qui s’est révélée efficace est celle du début des années quatre-vingt, celle amorcée par Volcker. 

Taux d’inflation aux Etats-Unis (en %)

Une désinflation sans récession ?

En reprenant la méthodologie de Laurence Ball (1994), Cecchetti et ses coauteurs ont cherché à déterminer le ratio de sacrifice des désinflations, c’est-à-dire la perte d’activité et d’emplois qu’elles ont entraînée. Ils ne trouvent guère d’épisode au cours duquel une ample désinflation impulsée par la banque centrale n’aurait pas entraîné de récession. A cet égard, la sortie de l’actuel épisode inflationniste avec une « désinflation immaculée », c’est-à-dire qui ne serait pas accompagnée d’une récession, serait sans précédent. 

En poursuivant leur analyse des désinflations passées, Cecchetti et ses coauteurs notent toutefois que le ratio de sacrifice varie d’un épisode à l’autre : certaines désinflations sont plus coûteuses que d’autres. Le coût d’une désinflation semble notamment déprendre du taux d’inflation initial et de la vitesse de la désinflation. En l’occurrence, une baisse d’un point de pourcentage de l’inflation détériore moins l’activité et l’emploi si elle débute à partir d’un taux d’inflation élevé ou si elle s’opère rapidement. Cela dit, comme le montre notamment le choc Volcker au tournant des années quatre-vingt, même quand le ratio de sacrifice est faible une ample désinflation s’avère coûteuse en termes d’activité et d’emploi.

Cecchetti et ses coauteurs ont alors utilisé les estimations qu’ils ont tirées des désinflations passées pour simuler les trajectoires probables des taux d’intérêt et de l’économie américaine au cours des trois prochaines années. Ils se sont demandé jusqu’à quel point le taux directeur doit augmenter pour ramener l’inflation à sa cible et quels seraient les coûts de cette désinflation en termes de chômage. Leurs estimations suggèrent que la Fed devra resserrer bien plus amplement sa politique monétaire pour ramener l’inflation à 2 % d’ici l’année 2025 et qu’un tel retour de l’inflation à sa cible serait associé à une récession.

Cecchetti et ses coauteurs se sont interrogés sur l’opportunité de relever la cible d’inflation. Il y a une douzaine d’année, dans le sillage de la crise financière mondiale, plusieurs économistes avaient proposé de relever la cible d’inflation à 3 %, voire 4 % [Blanchard et alii, 2010 ; Leigh, 2010 ; Ball, 2014]. Selon eux, cela permettrait notamment de donner à la banque centrale une plus grande marge de manœuvre pour baisser ses taux en cas de choc déflationniste en réduisant le risque que les taux se retrouvent contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound). L’un des risques était que les banques centrales perdent en crédibilité : elles ne parvenaient alors pas augmenter suffisamment le taux d’inflation pour le ramener à 2 % ; relever la cible aurait creusé davantage l’écart entre le taux d’inflation et la cible. Olivier Blanchard (2022) a suggéré à plusieurs reprises que les banques centrales profitent des niveaux relativement élevés que l’inflation atteint actuellement pour relever leur cible. Cela permettrait notamment de réduire les coûts de la désinflation, dans la mesure où les banques centrales auraient à procéder à une désinflation d’une moindre ampleur.

Cecchetti et ses coauteurs n’y sont guère favorables. En effet, un relèvement de la cible aurait selon eux deux coûts à long terme. D’une part, elle augmenterait l’incertitude et amènerait ainsi les ménages et les entreprises à prendre des décisions moins efficaces, dans la mesure où l’inflation est d’autant plus volatile qu’elle est en moyenne élevée. D’autre part, si les ménages et les entreprises ne semblent guère prêter attention à l’inflation quand elle se maintient à un faible niveau (ce qui contribue à la stabiliser à ce faible niveau), ils auraient par contre tendance à y prêter attention lorsqu’elle dépasse un certain seuil (ce qui complique tout effort pour stabiliser l’inflation). Selon Oleg Korenok et alii (2022), ce seuil a été franchi. Cecchetti et ses coauteurs mettent également en avant un problème d’incohérence temporelle : si les banques centrales révisent leur cible d’inflation, la population va partir du principe qu’elles risquent de la modifier de nouveau et, plus simplement, qu’elles ne chercheront plus franchement à l’atteindre, si bien qu’elles risquent de perdre en crédibilité dans leur mission de stabilité des prix et que les anticipations d’inflation ne soient plus ancrées à un faible niveau. En définitive, Cecchetti et ses coauteurs jugent que les coûts d'un relèvement de la cible seraient supérieures à ses bénéfices. 

Par contre, ils se disent en faveur d’un retour à une stratégie préventive de lutte contre l’inflation. Selon eux, les banques centrales ne doivent pas attendre de voir l’inflation « dans le blanc des yeux » pour resserrer l’inflation, dans la mesure où laisser l’inflation s’éloigner de sa cible accroît l’ampleur de la désinflation à opérer, donc ses coûts. Anticiper l’inflation reste toutefois difficile. Le lien inverse entre vitesse et coûts des désinflations plaide pour que les banques centrales resserrent agressivement, et non graduellement, leur politique monétaire dès que l’inflation apparaît excessive.

 

Références

BALL, Laurence (1994), « What determines the sacrifice ratio? », in N.G. Mankiw (dir.), Monetary Policy, The University of Chicago Press. 

BALL, Laurence (2014), « The case for a long-run inflation target of four percent », FMI, working paper, n° 14/92, juin.

BLANCHARD, Olivier (2022), « It is time to revisit the 2% inflation target », in Financial Times, 28 novembre.

BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL’ARICCIA & Paolo MAURO (2010), « Rethinking macroeconomic policy », FMI, staff position note, n° 10/03, février.

BLANCHARD, Olivier, Alex DOMASH & Lawrence H. SUMMERS (2022), « Bad news for the Fed from the Beveridge space », PIIE, policy brief, n° 22-7, juillet. 

BLINDER, Alan S. (2023), « Landings, soft and hard: The Federal Reserve, 1965–2022 », in Journal of Economic Perspectives, vol. 37, n° 1.

BOK, Brandyn, Nicolas PETROSKY-NADEAU, Robert G. VALLETTA & Mary YILMA (2022), « Finding a soft landing along the Beveridge curve », Federal Reserve Bank of San Francisco, Economic Letter, n° 2022-24, août.

CECCHETTI, Stephen, Michael FEROLI, Peter HOOPER, Frederic S. MISHKIN & Kermit L. SCHOENHOLTZ (2023), « Managing disinflations », CEPR, discussion paper, n° 18068.

DOMASH, Alex, & Lawrence H. SUMMERS (2022a), « How tight are U.S. labor markets? », NBER, working paper, n° 29739, février.

DOMASH, Alex, & Lawrence H. SUMMERS (2022b), « A labor market view on the risks of a U.S. hard landing », NBER, working paper, n° 29910, avril.

FIGURA, Andrew, & Chris WALLER (2022), « What does the Beveridge curve tell us about the likelihood of a soft landing? », FEDS Notes, 29 juillet.  

KORENOK, Oleg, David MUNRO & Jiayi CHEN (2022), « Inflation and attention thresholds », GLO, discussion paper, n° 1175.

LEIGH, Daniel (2010), « A 4% inflation target? », in VoxEU.org, 9 mars.

TETLOW, Robert J. (2022), « How large is the output cost of disinflation? », Federal Reserve Board, finance and economics discussion paper, n° 2022-078, novembre.

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