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8 juillet 2014 2 08 /07 /juillet /2014 16:00

Plusieurs études ont analysé la précision des prévisions de croissance économique à court terme. Par exemple, Allan Timmermann (2006) s’est penché sur les prévisions de croissance du PIB réel que fournit régulièrement le FMI au travers de ses Perspectives de l’économie mondiale (World Economic Outlooks). Il constate tout d’abord que celles-ci sont systématiquement optimistes. De plus, c’est en particulier lorsqu’elles sont réalisées lors d’une récession que les prévisions tendent à être excessivement optimistes [FMI, 2014]. Jeffrey Frankel (2011) a étudié les prévisions de taux de croissance et de soldes budgétaires par les agences gouvernementales de 33 pays. Celles-ci se caractérisent également par un large biais positif, mais celui-ci serait plus important lors des booms. Timmermann, Frankel et bien d’autres suggèrent en outre que le biais d’optimisme est d’autant plus important que l’horizon temporel sur lequel porte la prévision est éloigné. 

Giang Ho et Paolo Mauro (2014) ont cherché à évaluer le biais d’optimisme dans les prévisions de croissance à long terme. Pour cela, ils se sont penchés sur les prévisions réalisées conjointement par le FMI et la Banque mondiale allant jusqu’à vingt ans. Ils constatent que les prévisions sont optimistes non seulement pour les économies dont les taux de croissance ont été récemment supérieurs aux moyennes passées, mais également pour celles dont les taux de croissance ont été récemment inférieurs aux moyennes passées. En l’occurrence, les prévisionnistes tendent à surestimer la persistance des taux de croissance élevés en se focalisant sur la plus récente période. Inversement, pour les pays qui ont connu une croissance faible, voire négative, les prévisionnistes ne considèrent pas que la croissance va simplement revenir à sa moyenne, mais bien qu’elle va dépasser celle-ci. Ho et Mauro notent également que le biais d’optimisme s’accroît avec l’allongement des horizons de prévision.

Les économistes prévoient souvent une forte croissance économique à moyen et long terme pour les pays qui ont précisément connu une forte croissance au cours des récentes années. Pourtant, William Easterly, Michael Kremer, Lant Pritchett et Lawrence Summers (1993) ont montré que les taux de croissance économique d’un pays au cours d’une décennie donné sont faiblement corrélés avec ceux observés lors de la précédente décennie. Vingt ans plus tard, Pritchett et Summers (2013) se sont également penchés sur les prévisions que le FMI offre dans ses Perspectives de l’économie mondiale. Selon eux, la faible persistance des taux de croissance est le plus robuste constat empirique que l’on peut avoir à propos de la croissance économique. Ensuite, la croissance économique n’est pas du tout caractérisée par des fluctuations de cycle d’affaires autour d’une moyenne relativement stable, en particulier pour les pays qui n’appartiennent pas à l’OCDE. Les épisodes de croissance fortement rapide tendent à être de courte durée et se soldent par un retour des taux de croissance vers les moyennes mondiales. Pritchett et Summers concluent notamment de leur analyse que les prévisions de croissance à moyen et long termes de la Chine et de l’Inde disponibles lors de leur étude sont excessivement optimistes.

De leur côté, Hites Ahir et Prakash Loungani (2014) ont cherché à évaluer la capacité des économistes à prévoir les récessions, notamment la Grande Récession. Pour cela, ils se sont penchés sur les prévisions du Consensus Forecasts qui compile pour chaque pays les prévisions du PIB réel de nombreux analystes économiques proéminents. Entre 2008 et 2012, il y eu au total 88 récessions. 62 récessions ont eu lieu entre 2008 et 2009, mais aucune d’entre elles ne fut prévue à la clôture de l’année précédente. Les récessions qui se sont produites entre 2011 et 2012 ont également pris les prévisionnistes par surprise.

Ahir et Loungani concluent de leur analyse que les prévisionnistes ont une capacité limitée pour prédire les points de retournement. En outre, réduire l’horizon de prévision n’améliore par significativement la capacité des économistes à prévoir les points de retournement. Ensuite, les résultats ne changent pas lorsque les auteurs utilisent une définition plus précise des récessions qui serait basée sur les données trimestrielles. De plus, les prévisionnistes n’ont pas seulement échoué à prédire la Grande Récession ; ils ont également échoué à prédire les précédentes récessions. Enfin, les institutions publiques et les agences internationales comme le FMI et l’OCDE ne sont pas significativement meilleures dans leurs prévisions que les organisations privées. 

Pour expliquer ces difficultés de prévision, Ahir et Loungani rejettent l’idée selon laquelle les prévisionnistes n’actualiseraient pas suffisamment souvent leurs prévisions pour anticiper une récession. Elles ne sont tout simplement pas suffisamment révisées à la baisse. Les auteurs avancent alors trois types de raisons pour expliquer ce biais à la hausse. Premièrement, les prévisionnistes peuvent ne pas disposer suffisamment d’informations ou bien ils utilisent des modèles économiques qui ne sont pas suffisamment pertinents. En outre, les récessions sont générées par des chocs, telles que les crises politiques, qu’il est difficile d’anticiper. Deuxièmement, les prévisionnistes pourraient ne pas être incités à anticiper une récession. Ils subiraient des coûts importants, notamment en termes de réputation, s’ils anticipaient à tort une récession, alors qu’ils tireraient peu de bénéficies s’ils anticipaient correctement une récession. Troisièmement, Ahir et Loungani suggèrent des raisons proprement comportementales : les prévisionnistes pourraient avoir tendance à s’en tenir à leurs prévisions et ne les réviserait que lentement et insuffisamment en réponse aux nouvelles informations.

Ces divers résultats expliquent en partie les déficits budgétaires excessifs et l’incapacité des gouvernements à générer des excédents budgétaires lors des périodes d’expansion soutenue de l’activité. En surestimant la croissance future du PIB, les prévisionnistes surestiment le solde budgétaire et donc sous-estiment le ratio dette publique sur PIB. Les gouvernements eux-mêmes se basent sur leurs propres prévisions de croissance pour établir leur Budget. Si la croissance effective du PIB s’avère au final inférieure à la croissance anticipée, les recettes sont moindres que celles attendues. L’accroissement du ratio d’endettement public sera alors d’autant plus marqué que le sera le ralentissement de la croissance. S’ils craignent que la dette publique suive une trajectoire insoutenable, les gouvernements sont alors incités à resserrer leur politique budgétaire pour stabiliser leurs finances publiques. Or les prévisionnistes peuvent mal évaluer les répercussions de la consolidation budgétaire sur l’activité économique : si l’économie connaît une récession, le multiplicateur budgétaire est susceptible d’être élevé, en particulier si les taux d’intérêt butent sur leur borne inférieure zéro et si le système financier dysfonctionne. En supposant (erronément) que les multiplicateurs budgétaires sont aussi faibles qu’en période de croissance robuste, les prévisionnistes sous-estiment les répercussions que pourrait avoir un plan d’austérité mise en œuvre lors d’une récession. Les gouvernements ont ainsi sous-estimé l’efficacité des plans de relance et la nocivité des plans d’austérité lors de la Grande Récession, ce qui explique les erreurs dans les récentes prévisions de croissance et de trajectoire d’endettement public [Blanchard Leigh, 2013]

 

Références

AHIR, Hites, & Prakash LOUNGANI (2014), « "There will be growth in the spring": How well do economists predict turning points? », in VoxEU.org, 14 avril.

BLANCHARD, Olivier, & Daniel LEIGH (2014), « Growth forecast errors and fiscal multipliers », Fonds monétaire international, working paper, n° WP/13/1, janvier.

EASTERLY, William, Michael KREMER, Lant PRITCHETT, & Lawrence H. SUMMERS (1993), « Good policy or good luck? Country growth performance and temporary shocks », in Journal of Monetary Economics, vol. 32, n° 3.

FMI (2014), « IMF forecasts: Process, quality and country perspectives ».

FRANKEL, Jeffrey A. (2011), « Over-optimism in forecasts by official budget agencies and its implications », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 17239, octobre.

HO, Giang, & Paolo MAURO (2014), « Growth: Now and forever? », Fonds monétaire international, working paper, n° WP/14/117, juillet.

PRITCHETT, Lant, & Lawrence H. SUMMERS (2013), « Asiaphoria meet regression to the mean », Université d’Harvard, working paper.

TIMMERMANN, Allan (2006), « An evaluation of the World Economic Outlook forecasts », Fonds monétaire international, working paper, n° WP/06/59, mars.

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