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27 septembre 2014 6 27 /09 /septembre /2014 09:30

Il existe une longue tradition dans la littérature macroéconomique qui associe les récessions américaines soit aux chocs monétaires et financiers, soit aux chocs pétroliers, soit à une combinaison de ces deux types de chocs. Historiquement, il s’est révélé difficile de distinguer le rôle que jouent respectivement ces deux types de chocs dans les cycles d’affaires, car la plupart des récessions ont été précédées par une hausse des prix du pétrole, une resserrement de la politique monétaire et une déstabilisation des marchés du crédit. C’est notamment le cas de la Grande Récession de 2007-2009.

A un extrême, certains auteurs ont souligné l’importance des hausses de prix du pétrole dans le récent ralentissement de l’activité économique. Alors que les précédents chocs pétroliers étaient provoqués par des perturbations du côté de l’offre, James Hamilton (2009) note que la hausse des prix du pétrole que l’on a pu observer avant 2008 s’explique par une forte demande de pétrole dans un contexte de stagnation de la production. Toutefois, même si les causes n’ont pas été les mêmes lors de ces divers épisodes, Hamilton considère que les répercussions macroéconomiques semblent avoir été similaires. Il s’agit notamment d’une baisse des dépenses de consommation et surtout des achats d’automobiles. Hamilton estime que si cette baisse n’avait pas eu lieu, il n’y aurait pas eu de récession entre le quatrième trimestre 2007 et le troisième trimestre 2008. A l’autre extrême, des auteurs comme Lawrence Christiano, Martin Eichenbaum et Mathias Trabandt (2014) affirment que les dynamiques de l’activité que l’on a pu observer au cours de la Grande Récession s’expliquent entièrement par l’interaction des frictions financières avec la borne inférieure zéro (zero lower bound). Dans une position intermédiaire, certains auteurs comme James Stock et Mark Watson (2012) concèdent que la hausse des prix du pétrole a joué un rôle dans le ralentissement initial, mais ils considèrent que la contraction de l’activité s’explique essentiellement par d’autres facteurs : à partir d’automne 2008, ce sont avant tout la volatilité financière, l’effondrement du secteur immobilier, l’accroissement de l’incertitude et la chute non anticipée de la richesse qui freinent l’activité. Stock et Watson confirment en outre que la borne inférieure zéro a contribué à aggraver la récession en rendant la politique monétaire excessivement restrictive. 

James Hamilton a été le premier à suggérer un lien entre les récessions américaines et les chocs pétroliers. Ces derniers pénalisent aussi bien l’offre que la demande des pays importateurs en accroissant le coût des consommations intermédiaires, en réduisant le pouvoir d’achat des ménages et en détériorant les termes de l’échange. Hamilton notait en 1983 que sept des huit récessions que les Etats-Unis avaient connues depuis la Seconde Guerre mondiale avaient été précédées par une hausse brutale du prix du pétrole brut. C’est notamment le cas des récessions de 1973-1975, de 1980 et de 1981-1982 qui suivirent les divers chocs pétroliers qui émaillèrent les années soixante-dix. Suite à la publication de l’article fondateur d’Hamilton, les Etats-Unis connurent trois autres récessions et celles-ci furent également précédées par une hausse rapide du prix du pétrole : l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 s’est traduite par un doublement du prix du pétrole à l’automne 1990 et elle fut suivie par la neuvième récession d’après-guerre en 1990-1991 ; le prix du pétrole fit plus que doubler, à nouveau, en 1999-2000, et les Etats-Unis basculèrent dans la récession en 2001 ; enfin, les prix du pétrole doublèrent à nouveau en 2007-2008 avant que l’économie américaine connaisse sa onzième récession d’après-guerre [Hamilton, 2011].

Ainsi, chaque récession que les Etats-Unis ont connue après 1974 a été précédée par une hausse des prix du pétrole. Lutz Kilian et Robert Vigfusson (2014) jugent toutefois plus pertinent de se demander si chaque hausse des prix du pétrole a été suivie par une récession. Ils reconstituent alors l’historique des choses pétroliers et des récessions américaines en utilisant l’indicateur proposé par Hamilton (2003), en l’occurrence le prix net du pétrole. Ce faisant, lorsqu’ils considèrent les hausses du prix du pétrole net entre 2004 et 2006 comme un épisode unique, ils constatent qu’il y a eu depuis 1974 huit épisodes au cours desquels les prix nets du pétrole ont augmenté. Seulement cinq de ces épisodes ont été suivis par des récessions. Dans certains cas, notamment en 2000, la hausse du prix net du pétrole eut lieu bien avant la récession. Dans d’autres cas, notamment en 1981 et en 1990, ces hausses ont eu lieu immédiatement avant ou durant les récessions. Dans trois cas, les hausses de prix n’ont pas du tout été suivies par une récession : il s’agit de l’année 1996, de la période 2004-2006 et de la période 2011-2012. Une explication pourrait être que durant ces trois derniers épisodes, les hausses de prix nets du pétrole furent trop faibles pour générer une récession. Or ce n’est pas nécessairement le cas. Par exemple, la hausse observée entre 2011 et 2012 est comparable en magnitude à celle de 1981, ce qui suggère qu’une hausse d’une telle amplitude ne suffit pas en soi à provoquer une récession. Réciproquement, la hausse observée entre 2004 et 2005 est plus importante que celle de 2000, mais elle ne fut pourtant pas suivie par une récession ; cela pourrait tout simplement suggérer par le fait que la récession de 2000 ne résulte pas de la hausse du prix du pétrole observée la même année. Ou encore, la hausse observée entre 2004 et 2006 fut aussi élevée que celle de 1979, mais elle ne fut pas suivie par une récession ; elle fut pourtant plus ample que la hausse observée en 2007, à la veille de la Grande Récession. Bref, dans l’absolu, seulement cinq des huit épisodes pourraient être associés aux récessions subséquences, ce qui contredit l’idée que pratiquement toutes les récessions américaines ont été provoquées par des chocs pétroliers. 

Kilian et Vigfusson en concluent qu’il n’y a pas de lien mécanique entre les hausses des prix nets du pétrole et les récessions subséquentes, et ce même si l’on prend en compte la magnitude de ces hausses. Une explication pourrait être que l’impact récessif associé aux hausses des prix nets du pétrole varie au cours du temps. En d’autres termes, la même hausse est dans certains cas suivie par une récession plus sévère que dans d’autres cas. Les rares travaux qui ont cherché à déterminer si les chocs pétroliers contribuaient aux récessions américaines se sont focalisées sur des modèles linéaires. Par exemple, James Hamilton (2003) suggère, d’une part, que les hausses de prix du pétrole sont plus dommageables que leurs baisses et, d’autre part, que les hausses sont moins susceptibles d’entraîner une récession si elles corrigent simplement des baisses passées. Si la relation entre le prix du pétrole et l’activité économique aux Etats-Unis est effectivement non linéaire, il est alors nécessaire de la conditionner à l’état de l’économie à la veille du choc pétrolier. 

Les études qui ont cherché des non linéarités ont eu tendance à se focaliser sur la réponse non conditionnelle (ou moyenne) du PIB réel américain aux chocs pétroliers à partir d’un échantillon. De leur côté, Kilian et Vigfusson se sont focalisés sur l’impact conditionné des chocs pétroliers pendant et après les épisodes de hausses du prix du pétrole. Ils quantifient les effets récessifs de plusieurs chocs pétroliers en examinant, d’une part, les différentes récessions répertoriées par le National Bureau of Economic Research (NBER) depuis la fin des années soixante-dix et, d’autre part, les épisodes au cours desquels les hausses du prix du pétrole n’ont pas été suivies par une récession. Selon une modélisation non linéaire, les chocs pétroliers pourraient expliquer une réduction cumulative de 3 % du PIB réel des Etats-Unis à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, puis à une réduction cumulative de 5 % au cours de la récente crise financière mondiale. Ce pouvoir explicatif subsiste même après la prise en compte des conditions d’offre de crédit, de l’orientation de la politique monétaire et de la confiance des consommateurs. Par contre, le modèle linéaire suggère que les effets récessifs cumulés des chocs pétroliers représentent moins de 1 % du PIB au cours de ces trois épisodes.

 

Références

CHRISTIANO, Lawrence J., Martin EICHENBAUM & Mathias TRABANDT (2014), « Understanding the Great Recession », Réserve fédérale, international finance discussion paper, n° 1107.

HAMILTON, James D. (1983), « Oil and the macroeconomy since World War II », in Journal of Political Economy, vol. 91.

HAMILTON, James D. (2003), « What is an oil shock? », in Journal of Econometrics, vol. 113, n° 2. 

HAMILTON, James D. (2009), « Causes and consequences of the oil shock of 2007-08 », in Brookings Papers on Economic Activity, vol. 40, n° 1.

HAMILTON, James D. (2011), « Nonlinearities and the macroeconomic effects of oil prices », in Macroeconomic Dynamics, vol. 15, n° S3.

KILIAN, Lutz, & Robert J. VIGFUSSON (2014), « The role of oil price shocks in causing U.S. recessions », Réserve fédérale, international finance discussion paper, n° 1114, août.

STOCK, James H., & Mark W. WATSON (2012), « Disentangling the channels of the 2007-2009 recession », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 18094.

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