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25 septembre 2014 4 25 /09 /septembre /2014 17:47

Le Japon connaissait une croissance particulièrement rapide au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, mais il connaissait sur la même période le gonflement de bulles spéculatives. Lorsque celles-ci éclatèrent, l’économie nippone bascula dans une longue stagnation. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer ce ralentissement de la croissance japonaise. L’une d’entre elles est que le Japon manque d’entrepreneurs et que, contrairement aux Etats-Unis, il a échoué à développer un secteur des nouvelles technologies dynamique. Le Japon se caractérise en effet par la plus faible propension d’entrepreneurs parmi les pays développés. Selon les théories dominantes, l’entrepreneuriat joue pourtant un rôle essentiel dans la croissance économique. Sans création de nouvelles entreprises, il est difficile d’imaginer comment les technologies radicales pourraient se diffuser et bouleverser l’environnement économique. Les entreprises en place peuvent certes moderniser leurs produits et techniques de production, mais les innovations radicales tendent à être associées avec l’entrepreneuriat et l’émergence de nouvelles entreprises. 

Pourtant, le manque d’entrepreneurs dont souffre le Japon ne semble pas s’expliquer par un manque d’investissement technologique. En effet, ses dépenses en recherche-développement représentent à 3 % de son PIB, soit à un niveau supérieur à celui des autres pays développés. Le Japon est à l’origine de nombreux brevets, mais ceux-ci sont particulièrement sous-utilisés. En fait, le manque d’entrepreneuriat au Japon ne s’expliquerait pas vraiment par le manque d’idées ou d’opportunités, mais par le manque de compétences nécessaires pour identifier et exploiter ces opportunités et traduire les idées innovantes par la création de nouvelles entreprises. 

Le Japon se caractérise également par un vieillissement démographique rapide et un déclin de sa population active. Peu après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le taux de fertilité du Japon chuta rapidement et devint inférieur au niveau de remplacement dans les années soixante. Le taux de fertilité du Japon est actuellement l’un des plus faibles dans le monde. Ces dynamiques démographiques contribuent à expliquer pourquoi la croissance nippone a fortement ralenti et n’a pas retrouvé un rythme soutenu depuis. Non seulement elles pénalisent directement l’offre en réduisant en déprimant facteur travail à la croissance, mais elles conduisent également par une forte dégradation des finances publiques et elles génèrent par de fortes pressions déflationnistes. Or le vieillissement de la population pourrait également freiner l’activité en étouffant l’innovation et l’entrepreneuriat. 

C’est précisément le lien entre la démographie et l’entrepreneuriat qu’explorent James Liang, Hui Wang et Edward Lazear (2014) dans une récente étude où ils s’inspirent directement des travaux de Gary Becker (1962, 1975) sur le capital humain. Ils rappellent que l’entrepreneuriat requiert de la créativité et le sens des affaires affaires : pour devenir entrepreneur, un individu doit avoir une idée d’affaires à lancer, mais pour faire de cette nouvelle affaire un succès, il nécessite d’autres compétences, qui ne sont généralement acquises qu’à travers la formation sur le tas. La créativité peut décliner avec l’âge, mais les compétences en affaires s’accroissent avec l’expérience dans des positions au niveau élevé. Si la main-d’œuvre d’un pays est âgée, l’entrepreneuriat s’en trouve pénalisé. En effet, non seulement les séniors sont moins innovants mais, comme ils occupent les positions clés au sommet de la hiérarchie, ils empêchent également les jeunes travailleurs d’acquérir les compétences en affaires. Bref, plus une société vieillit, plus le taux agrégé d’entrepreneuriat est susceptible de diminuer. Et effectivement, l’analyse des données issues du Global Entrepreneurship Monitor suggère que l’accroissement d’une année de l’âge médian d’un pays diminue le taux de création de nouvelles entreprises de 2,5 points de pourcentage.

En fait, le modèle que développent Liang et ses coauteurs suggère en fait qu’il existe une relation en U inversé entre l’entrepreneuriat et l’âge : au fur et à mesure que l’âge s’élève,  l’entrepreneuriat s’accroît tout d’abord, puis décroît une fois passé un certain seuil. En effet, les très jeunes travailleurs ne possèdent pas les compétences nécessaires en affaires pour créer une entreprise, tandis que les très vieux travailleurs manquent de créativité ou d’énergie pour s’engager dans l’entrepreneuriat.

Le modèle prédit un « effet de rang » (rank effect) : les agents économiques sont moins susceptibles de devenir entrepreneurs dans un pays où la taille de la cohorte diminue au cours du temps. En effet, dans un pays vieillissant, il y a une proportion plus élevée de travailleurs séniors, ce qui ralentit la promotion des jeunes travailleurs. Les plus jeunes travailleurs accumulent alors plus lentement du capital humain, car ils doivent attendre plus longtemps pour atteindre les niveaux hiérarchiques qui sont les plus propices à l’accumulation de compétences. Par conséquent, à tout âge, les travailleurs disposent d’un moindre capital humain pour lancer une entreprise et l’entrepreneuriat s’en trouve freiné. Le modèle suggère ainsi que les pays dont la population est relativement jeune présentent de plus hauts taux d’entrepreneuriat dans chaque groupe d’âge que les pays avec les populations les plus vieillissantes. Autrement dit, plus une économie vieillit, moins les taux d’entrepreneuriat sont élevés à chaque âge. Les données empiriques confirment cette prédiction.

L’explication basée sur le « rang » se distingue de l’explication basée sur la seule « créativité ». Selon cette dernière, les jeunes seraient par nature plus innovants. En fait, s’il n’y avait pas d’effet de rang, l’entrepreneuriat diminuerait de façon monotone avec l’âge et les plus jeunes actifs seraient ceux qui créent de nouvelles entreprises. L’analyse empirique suggère que ce n’est pas le cas : les différences constatées d’un pays à l’autre en termes de taux d’entrepreneuriat s’expliquent davantage par l’effet de rang que par l’effet de composition selon lequel les plus jeunes pays ont de plus hauts taux d’entrepreneuriat parce qu’ils ont davantage de travailleurs jeunes.  

Enfin, le modèle suggère que les taux d’entrepreneuriat des travailleurs d’âge mature devraient être davantage sensibles au rythme auquel la population vieillit que les taux d’entrepreneuriat des plus jeunes et des plus vieux. En d’autres termes, les taux d’entrepreneuriat des très jeunes et des séniors sont relativement similaires d’un pays à l’autre, tandis que les taux d’entrepreneuriat des moyennement âges varient plus facilement d’un pays à l’autre. Les données empiriques tendent effectivement à confirmer que les taux d’entrepreneuriat des moyennement âgés sont plus sensibles à la structure démographique. 

 

Références

BECKER, Gary S. (1962), « Investment in human capital: A theoretical analysis », in Journal of Political Economy, vol. 70, n° 5.

BECKER, Gary S. (1975), Human Capital: A Theoretical and Empirical Analysis, with Special Reference to Education.

LIANG, James, Hui WANG & Edward P. LAZEAR (2014), « Demographics and entrepreneurship », National Bureau of Economic Research, working paper, n° 20506, septembre. 

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